minute de la rédaction
Le sablier du destin haïtien a laissé s’écouler une semaine des plus spectaculaires : en l’espace de quelques jours seulement, le pays a changé d’heure et changé de président. Un double bouleversement temporel et politique, qui, dans un monde normal, aurait pu marquer une avancée, mais qui, en Haïti, se résume à un cercle vicieux où l’on tourne en rond sans jamais avancer.
Il est des nations qui avancent avec la force de l’histoire, et il en est d’autres qui, au mieux, tournent en rond, au pire, reculent sous prétexte d’un pas en avant. Haïti, cette semaine, a fait mieux : elle a changé d’heure et changé de président dans un synchronisme presque poétique, comme si, enfin, le pays s’accordait au rythme du monde. Mais faut-il en rire ou en pleurer ?
Le départ de Leslie Voltaire s’est fait sans éclats ni regrets. Lui, qui a traversé son mandat de transition en esquivant les balles—au propre comme au figuré—s’en va en laissant un pays à genoux, où le vacarme des armes couvre les cris des déplacés et où la cendre des incendies se mêle à la poussière des promesses non tenues. Mais fidèle à la tradition haïtienne du discours creux, il dresse un bilan : un recueil de phrases creuses, une énumération de réussites invisibles. Ce n’est pas qu’il ment, non, c’est bien pire : il récite la litanie rituelle d’une classe dirigeante qui, à force d’ignorer la réalité, a fini par en oublier l’existence.
Peut-être trouvera-t-il une consolation dans le changement d’heure, cette heure de plus, ce coup de baguette magique où Haïti, par décret, prend de l’avance sur son destin. Et pourtant, dans les rues de Port-au-Prince, l’heure n’a pas changé. Elle reste figée à cet instant où la peur a pris le contrôle, où l’État n’est plus qu’un mirage, où l’avenir se conjugue au conditionnel.
Un référendum contre la mémoire
Mais le grand projet, la grande manœuvre, c’est bien sûr ce référendum. Ce projet de destruction nationale, initié sous Martelly, nourri sous Moïse, sanctifié par Voltaire et remis aujourd’hui entre les mains de Fritz Pichat. Une chaîne de commandement qui ne cache même plus ses intentions : effacer la Constitution de 1987 et avec elle, le souvenir de 29 ans de dictature.
Pourtant, ce texte—certes imparfait, mais issu d’un élan démocratique sincère—avait une clause explicite : aucun référendum ne peut être utilisé pour le modifier. L’article 284-3 est sans appel, mais qu’importe. L’intelligence haïtienne est désormais au service du viol juridique. On plie les règles, on tord les lois, on force la porte du pouvoir à coups de « modernisation ». Car en Haïti, le progrès est une machine à remonter le temps.
Et c’est ainsi que sous prétexte de simplifier le système législatif, l’on réinvente l’Assemblée nationale : non plus une réunion des deux chambres, mais une chambre unique, investie de tous les pouvoirs. Une solution inspirée de certaines républiques autoritaires, où la démocratie n’est plus qu’une mise en scène. Une mise en scène d’autant plus risible que ses auteurs se réclament des meilleures universités américaines, canadiennes, européennes… Comme si le vernis académique pouvait masquer l’absurdité de leur entreprise.
Dès lors, il ne serait pas surprenant qu’à cette Assemblée fantôme vienne s’ajouter une Primature tournante, ou mieux, un Conseil des Esprits, où les décisions se prennent par séances de spiritisme politique. Après tout, en Haïti, tout tourne : les tables, les promesses, les mandats, les alliances. Rien ne dure, sauf l’incertitude.
Ce serait risible si ce n’était pas tragique. Car derrière ces manœuvres grotesques se cache une vérité brutale : le pays est à la dérive, et ceux qui en ont le contrôle n’ont d’autre projet que leur propre survie. L’heure avance, le pouvoir change de mains, mais la réalité, elle, reste implacable : Haïti continue de sombrer, lentement, méthodiquement, sous le regard impassible de ceux qui prétendent la gouverner.

