International Crisis Group – Un rapport accablant dénonce la mauvaise gouvernance en Haïti et alerte sur le risque d’échec des élections, compromis par l’absence de registre électoral actualisé. La tenue d’élections « transparentes et inclusives » est compromise par le climat d’insécurité généralisée.

Veuillez lire le rapport complet de 40 pages intitulé Locked in Transition: Politics and Violence in Haiti, qui analyse la situation catastrophique du pays, dirigé par des responsables déterminés à organiser un référendum bidon, suivi d’élections tout aussi contestées.
L’emprise croissante des gangs : une menace existentielle pour l’État haïtien
Le rapport met en exergue l’intensification du pouvoir des gangs à Port-au-Prince et dans les régions périphériques. Ces groupes criminels, estimés à plus de 12 000 membres armés, contrôlent désormais plus de 80 % de la capitale et plusieurs corridors stratégiques reliant les régions rurales. L’alliance Viv Ansanm, dirigée par le chef de gang Jimmy “Barbecue” Chérizier, illustre la mutation du phénomène : les gangs, autrefois fragmentés, ont uni leurs forces pour déstabiliser l’État et bloquer toute tentative de restauration de l’ordre.
L’intervention de la mission de sécurité dirigée par le Kenya n’a pas permis de contenir la violence de manière durable. Les effectifs insuffisants, le sous-équipement et l’absence de stratégie coordonnée ont limité son efficacité. Le rapport souligne également que la mission fait face à une population méfiante, fatiguée des interventions étrangères sans résultats concrets. De plus, les gangs ont intensifié leurs stratégies de terreur : enlèvements de masse, attaques contre les infrastructures critiques, et massacres ciblés dans les quartiers vulnérables.
Les élections en suspens : un processus miné par l’insécurité et l’instabilité politique
La tenue d’élections transparentes et inclusives est compromise par le climat d’insécurité généralisée. Le rapport dénonce les nombreuses failles logistiques et structurelles : absence de registre électoral actualisé, manque de financements et incapacité à sécuriser les bureaux de vote dans les zones sous contrôle des gangs. Le risque majeur est que les élections puissent être instrumentalisées par les groupes criminels, en imposant leurs candidats ou en manipulant les résultats grâce à l’intimidation des électeurs.
Les scénarios envisagés par les autorités — comme l’organisation d’élections par phases régionales ou la mise en place de “zones libres” pour les électeurs des quartiers contrôlés par les gangs — restent fragiles et inapplicables à grande échelle. Le spectre d’une abstention massive, similaire au faible taux de participation de 2016 (20 %), plane sur le scrutin à venir, menaçant la légitimité du futur gouvernement.
Corruption systémique : un frein majeur à la stabilisation
Le rapport met en lumière les pratiques de corruption enracinées au sein du gouvernement de transition. Des membres du Conseil présidentiel de transition sont accusés de détournements de fonds et d’extorsions, notamment dans la gestion des banques publiques et l’allocation des marchés publics. Ces scandales, loin d’être isolés, révèlent un système profondément gangrené par des réseaux d’intérêts où politique et crime organisé se confondent.
Les conflits internes entre les membres du Conseil et les “secteurs” politiques qui les ont nommés exacerbent l’instabilité. Cette fragmentation rend la gouvernance incohérente et inefficace. Les accusations de favoritisme, les luttes d’influence et le clientélisme minent la crédibilité du gouvernement, compromettant sa capacité à diriger les réformes essentielles, notamment dans les domaines électoral et sécuritaire.
Le dilemme international : entre soutien humanitaire et fatigue d’ingérence
La réponse internationale est marquée par l’ambiguïté. Bien que la mission kényane ait été approuvée par le Conseil de sécurité de l’ONU, le financement reste incertain, et les effectifs déployés sont en deçà des besoins. Le rapport souligne la réticence croissante des États-Unis, principal bailleur, à continuer de financer une opération jugée coûteuse et inefficace. Parallèlement, le débat sur la transformation de la mission actuelle en force de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU révèle les hésitations stratégiques de la communauté internationale.
L’implication des bailleurs étrangers est également entravée par les critiques d’ingérence et la perception d’une “souveraineté confisquée”. Les acteurs internationaux doivent naviguer entre l’obligation morale de stabiliser Haïti et la crainte d’alimenter davantage les tensions sociales et politiques.
Recommandations : repenser les priorités pour éviter l’effondrement
Le rapport propose plusieurs axes stratégiques pour sortir de l’impasse :
- Renforcer les capacités locales de sécurité : investir dans la formation et l’équipement de la Police Nationale d’Haïti (PNH) et favoriser une coopération plus étroite entre les forces locales et internationales.
- Lutter contre la corruption institutionnelle : instaurer des mécanismes de transparence dans la gestion des fonds publics et imposer des sanctions aux membres du gouvernement impliqués dans des pratiques illicites.
- Repenser la stratégie électorale : au lieu de se précipiter vers des élections vouées à l’échec, le rapport recommande un processus graduel, intégrant des consultations nationales et une révision des modalités électorales.
- Favoriser un dialogue inclusif : impliquer les acteurs de la société civile, les organisations communautaires et les représentants des victimes de violences dans les discussions politiques, pour restaurer la confiance entre l’État et la population.
Le rapport brosse le portrait d’un État haïtien au bord de l’effondrement, pris entre les feux croisés des gangs, la corruption politique et les hésitations internationales. La voie vers des élections crédibles et une gouvernance stable passe par un recentrage des priorités : restaurer la sécurité, rétablir l’État de droit et réconcilier les forces politiques et sociales. L’alternative serait une spirale de violence et de chaos, avec des conséquences humanitaires et géopolitiques régionales majeures.