minute de la rédaction
L’impunité et l’insécurité ne relèvent plus de l’accident ; elles se sont muées en programme politique. À Morne-Tranchant, les factions armées frôlent l’ultime conquête : la mainmise sur les infrastructures nationales de communication. Et demain ? Détiendront-ils le contrôle des signaux téléphoniques, d’Internet, de ces artères vitales du pays, là même où René Préval, hier, avait déjà bradé ce droit d’aînesse aux intérêts vietnamiens ?
Au lever du jour sur Kenskoff, abandonné aux flammes et aux balles, le gouvernement de M. Alix Didier Fils-Aimé, qui se berce dans des communiqués de propagande ces derniers temps, hésite encore. Hésite-t-il à prendre ses responsabilités ou à peaufiner le programme des festivités carnavalesques ? Le questionnement serait risible s’il n’était pas aussi dramatique. Depuis 4 heures du matin, la commune est en état de siège, des bandes orchestrant des attaques coordonnées pour en prendre le contrôle total. Furcy, Morne-Tranchant, ces quartiers hier paisibles, basculent l’un après l’autre. Pourtant, au lieu d’une cellule de crise, c’est un défilé de costumes et de fanfares qui occupe l’esprit du gouvernement.
Dans cette République de la déraison, l’Etat ne lutte plus contre l’insécurité, l’impunité, il l’institutionnalise. La présence de trois braqueurs connus de la Banque Nationale de Crédit au sein du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en est une preuve éclatante. L’impunité n’est plus un accident, c’est un programme politique. Et dans cette comédie macabre, le PM Fils-Aimé joue le rôle principal. Ancien candidat malheureux aux sénatoriales, le voilà, neuf ans plus tard, parachuté à la tête d’un gouvernement dont personne ne sait qui il représente. À Kenskoff, les gens se sont terrés, ont prié et attendu en vain de l’aide. A Port-au-Prince, le débat fait toujours rage : faut-il vraiment interrompre le carnaval alors qu’une commune entière est en train de sombrer ?
Mais parlons chiffres, puisque le ministre des Finances s’est senti obligé de les aligner lors d’une conférence de presse. Un budget rectificatif, a-t-il dit, pour intégrer les dépenses de 2024-2025. Un « budget de guerre », que l’autre a même osé proclamer. Et pourtant, dans ce budget, 500 millions de gourdes ont déjà été englouties dans un projet qui n’a plus lieu d’être. Quelle est cette guerre qui justifie le maintien du chaos ? Pendant qu’on cherche à justifier les détournements de fonds, les gangs progressent. Au Morne-Tranchant, ils sont sur le point de s’emparer des infrastructures nationales de communication. Demain, contrôleront-ils les signaux téléphoniques, Internet et les communications vitales du pays ? Que fera le gouvernement ? Organiser un dernier bal avant l’extinction des feux ?
La comédie doit cesser. Le temps n’est plus aux discours creux et aux parades inutiles. Le carnaval, non seulement de la rue, mais aussi du pouvoir, devrait prendre fin. Si ce gouvernement ne veut pas ou ne peut pas agir, qu’il ait au moins la décence de ne pas aggraver le désastre. L’inaction tue. L’indifférence tue. Et pendant que la fête continue à Jacmel et bientô à Fort-Liberté san konsyans, Kenskoff s’éteint sous le regard impassible d’un État qui n’en a plus que le nom.
