COPROPHAGIE
Au crépuscule, attirés par la pleine lune à l’instar des loups-garous, le crépitement des armes automatiques cadence nos nuits et, durant plus de six heures, nous gratifiera de sérénades, prélude aux festivités carnavalesques, avec en prime un défilé mortuaire.
Entre les salves d’assaut et les ripostes, la pause de deux minutes nous permet l’estimation suivante : considérant dix cartouches par rafale, deux rafales toutes les deux minutes, cinq quartiers identifiés, dix-huit mille cartouches à 7,00 $ auront été utilisées, soit seize millions cinq cent six mille gourdes ou l’équivalent du revenu annuel, bonus inclus, de quatre-vingt-trois foyers d’ouvriers (ou 147 personnes).
Dès l’aube, à l’affût de nouvelles fraîches, aucune victime n’aura été recensée, du moins aucune revendiquée par les gangs ou les forces de l’ordre, ce qui confirmerait, à notre avis, la théorie selon laquelle ce ne seraient que des exercices précarnavalesques…
Les ragots et commérages ponctueront la journée, ne laissant aucune place à la réflexion intelligente. On débattra plus de Trump et de Musk que du CPT et du PM Fils Aimé. Ainsi, toutes les réponses à nos questions légitimes et pertinentes, nous devrons nous-mêmes y répondre…
Les récentes productions cinématographiques haïtiennes ont du mal à atteindre le public, mais la diffusion de la série * »Survivre à la tempête »* de Jimitri Hérard connaît un succès fulgurant, bien que, entre humour noir et fiction, nous ayons du mal à lui trouver une catégorie…
Les affrontements sur le terrain ne pourront à eux seuls résoudre le problème de sécurité qui nous préoccupe. La capacité de recrutement de jeunes soldats par les gangs ne peut être contrecarrée qu’à partir d’une campagne où le narratif et le visuel démystifieront les leurs. Depuis trop longtemps, le contenu des réseaux sociaux se résume à trois genres d’images :
1. Celles des indexés de corruption, représentant l’État.
2. Celles des chefs de gangs exhibant leur butin.
3. Celles de nos biens pillés, volés, incendiés et des cadavres de nos innocentes victimes jonchant le sol.
L’inexistence de contenu valorisant le comportement citoyen ou les reportages sur des parcours de réussite constitue un éloquent témoignage de notre irresponsabilité collective.
Certains seraient tentés de mettre en cause nos élites, mais de quelles élites parlent-ils ? Parce que si « élite » désigne le regroupement des meilleurs dans un domaine ou un secteur d’activité précis, chez nous, que ce soit dans les secteurs :
– Économique
– Politique
– Culturel
– Artistique
– Sportif
– Sanitaire
– Éducatif
– Religieux
Tout projet collectif relève de l’impossible. Il n’existe donc aucune élite.
Bien que très profond, notre mal n’est pas irréversible. Il nous suffit d’accepter que le « vivre bien » passe forcément par le « mieux vivre collectif » et que tout dépend de notre détermination à éduquer sans relâche, en considérant nos malheurs comme des enseignements nous permettant de mieux articuler une ingénierie sociale valorisant l’être haïtien.
Résolvons nos problèmes d’hommes avant de nous intéresser à notre sous-sol, sinon, ceux qui, impunément, nous prennent nos biens et nos vies aujourd’hui seront aussi les propriétaires des richesses du pays. Nous ne serons plus que des pantins mal articulés.
Nous avons le droit, mieux encore, l’obligation d’exiger des comptes et de trouver anormal que :
– Nos représentations ne soient porteuses d’aucune proposition.
– Il n’existe aucun rapport d’évaluation des pertes dans les secteurs industriel et commercial.
– Aucune association ou chambre ne se soit plainte des rançons exigées pour la protection des conteneurs à la sortie de l’APN.
– Les chiffres publiés fassent état d’une augmentation scandaleuse du chiffre d’affaires des importateurs de produits alimentaires.
– Que nos soldats soient déployés dans les hauteurs sans vêtements appropriés, sacs de couchage, réserves d’eau potable et nourriture.
– Qu’aucun de nos policiers n’ait reçu publiquement de médaille ou autre récompense pour les risques consentis.
Et bien d’autres choses… alors que la décapitalisation des foyers est une réalité.
Vous comprendrez que les questions d’ordre politique ou relevant de la gestion des institutions de l’État sont laissées à la justice, bien qu’elles fassent également l’objet de nos préoccupations.
Le regretté professeur Manigat témoignait sa colère avec cette métaphore : * »Les chiens reviennent toujours à leurs vomissures »*. S’il avait parlé de chiens, il aurait plutôt dit :
_* »Comme chez les mauvaises chiennes, notre nation est atteinte de coprophagie. »*_
- Ashley Laraque
*14 février 2025*