Par Patrick Prézeau Stephenson
Dans le panthéon des récits sociologiques, peu de figures se dressent avec autant de prestance que W.E.B. Du Bois. Son travail novateur en visualisation de données, présenté à l’Exposition universelle de Paris en 1900, a transformé des statistiques froides en récits percutants sur la vie des Noirs, en utilisant des graphiques innovants pour déconstruire les stéréotypes et redéfinir l’identité noire. Plus d’un siècle plus tard, l’héritage de Du Bois perdure – non seulement dans les annales de l’histoire, mais aussi dans notre manière d’analyser aujourd’hui les disparités sociales.
En ce Mois de l’Histoire des Noirs, les chercheurs et passionnés de données revisitent les méthodes de Du Bois pour tracer de nouvelles réalités, y compris le statut matrimonial en Haïti selon les groupes ethniques – un sujet qui offre un aperçu profond des structures sociales de l’île, de ses défis économiques et de son héritage historique.
Le Paysage Matrimonial Haïtien : Une Étude de Contrastes
Les données récentes révèlent des disparités marquées dans le statut matrimonial entre les Haïtiens noirs et ceux qui s’identifient comme appartenant à d’autres minorités. Si le mariage reste un pilier de la stabilité sociale, les pressions économiques, les normes culturelles et l’héritage historique continuent de façonner les dynamiques de l’amour et du deuil en Haïti.
1. Veuvage : Une Disparité Accablante
L’un des constats les plus frappants est que le taux de veuvage est presque six fois plus élevé parmi les Haïtiens noirs que chez les autres minorités ethniques. Cela traduit une série d’inégalités sous-jacentes : une espérance de vie plus courte, des difficultés économiques accrues et une exposition potentiellement plus grande à la violence politique et aux crises sanitaires.
L’histoire tumultueuse d’Haïti – des dettes écrasantes imposées après l’indépendance aux catastrophes naturelles dévastatrices du siècle dernier – a affecté de manière disproportionnée les communautés noires. Les femmes, en particulier, en subissent les conséquences, contraintes de survivre dans une société où les filets de sécurité économique sont rares.
2. Divorce : Une Barrière Juridique ou Culturelle ?
À l’inverse, le divorce est quatre fois plus courant chez les minorités « autres » que chez les Haïtiens noirs. Ce phénomène traduit-il une plus grande endurance matrimoniale chez ces derniers, ou bien révèle-t-il des obstacles juridiques à l’obtention du divorce, tels que son coût, les croyances religieuses ou la stigmatisation sociale ? Le système juridique haïtien rend le divorce notoirement difficile et coûteux, en particulier pour ceux qui n’ont ni fortune ni relations. Pour de nombreux Haïtiens noirs, les séparations informelles remplacent souvent le divorce légal.
3. Unions de Fait : Une Adaptation Culturelle
Environ 20 % des Haïtiens noirs vivent en union de fait, contre 18 % dans l’autre groupe. Ce phénomène peut s’expliquer par le coût économique du mariage civil, qui nécessite des frais d’enregistrement et d’autres dépenses que beaucoup ne peuvent pas se permettre. Historiquement, les unions libres ont offert une flexibilité dans une société où l’instabilité financière rend les engagements à long terme plus incertains.
4. Le Célibat Majoritaire
Le célibat est légèrement plus répandu dans le groupe « autre » (39 % contre 37 % chez les Haïtiens noirs), tandis que le taux de mariage est légèrement plus faible chez les Haïtiens noirs (24 % contre 27 %). Bien que cette différence soit minime, elle devient significative lorsqu’elle est examinée en parallèle avec le taux de veuvage, suggérant que les Haïtiens noirs connaissent davantage d’unions rompues en raison de difficultés externes plutôt que par choix personnel.
L’Héritage des Graphiques en Éventail de Du Bois
Les graphiques en éventail de W.E.B. Du Bois ont révolutionné la manière dont l’identité noire était représentée à travers les données. Plutôt que de raconter une histoire de déficience, ils ont mis en lumière la résilience, le progrès et l’organisation des communautés noires. Appliquer sa méthodologie au paysage matrimonial haïtien permet d’obtenir un aperçu tout aussi puissant : derrière chaque statistique se cache une histoire de survie, d’adaptation et de résistance.
Du Bois comprenait que les données ne sont pas que de simples chiffres – elles sont une trame où s’entrelacent l’histoire, la sociologie et la lutte. Alors que nous célébrons le Mois de l’Histoire des Noirs, son œuvre nous rappelle que, même dans des sociétés façonnées par des obstacles systémiques, il existe une force dans la visibilité. En cartographiant les disparités matrimoniales en Haïti, nous ne faisons pas que documenter des tendances – nous reconnaissons les forces historiques qui continuent de les façonner.
Comme Du Bois l’écrivait lui-même : « La fonction de la sociologie, comme celle de toute science, est de découvrir la vérité. » Et la vérité, telle que révélée par les données sur le statut matrimonial en Haïti, est que l’amour – qu’il s’agisse du mariage, des unions libres ou de la résilience des veuves – continue d’être sculpté par la main impitoyable de l’histoire.
Références
[1] Data: Vanderbilt U. | https://ps-consults.com/ 2006, LAPOP: Haiti, Enquête menée auprès de 1,625 Citoyens(es) des 10 départements âgés de 18 ans et plus.
Contact Médias Patrick Prézeau Stephenson: Éditeur manifeste1804@gmail.com
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