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Un Etat haïtien dysfonctionnel confronté aux exigences internationales d’un référendum, tout en invoquant Dessalines et son intrépidité déterminée à abolir l’esclavage.
La tenue d’un référendum constitutionnel en Haïti, qui serait suivi d’élections générales en 2025, est une entreprise qui questionne experts et observateurs avertis sur les plans juridique, institutionnel et pratique. En effet, la question primordiale est de déterminer si un pays en crise profonde peut raisonnablement envisager un tel projet dans des conditions où la légitimité politique, la sécurité publique et la confiance institutionnelle sont gravement compromises. Cette réflexion requiert une exploration rigoureuse des conditions préalables nécessaires, des risques encourus et des alternatives possibles.
Sur le plan juridique, les dispositions actuelles de la Constitution haïtienne interdisent explicitement le recours au référendum pour modifier le texte fondamental. Cette interdiction repose sur la volonté historique d’éviter les manipulations politiques et les dérives autoritaires. Toute tentative d’organiser un référendum en dehors des mécanismes prévus par la loi fondamentale constitue une violation flagrante de l’ordre constitutionnel. A cet égard, les recommandations de la Commission de Venise, référence en matière de réforme constitutionnelle, mettent en garde contre l’illégalité et l’inefficacité d’un tel processus dans un contexte d’absence de consensus national et de faiblesse des institutions.
La crédibilité de l’organe électoral est un autre volet important. En Haïti, le Conseil Electoral Provisoire (CEP), dont les membres ont été nommés de manière très controversée, souffre d’un déficit de légitimité et de confiance populaire. Les précédents électoraux du pays ont fréquemment été marqués par des accusations de fraudes massives, de violences et d’intimidations. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que le même CEP puisse superviser un référendum ou des élections générales qui seraient crédibles et représentatives. La désignation « manu militari » de ses membres ajoute à la perception d’un processus captif, davantage guidé par des intérêts partisans que par le souci de l’intérêt général.
La situation sociopolitique actuelle d’Haïti fait aussi partie des obstacles incontournables. L’insécurité généralisée, caractérisée par la montée en puissance des gangs armés, rend l’accès à de nombreuses régions du pays infranchissable. Des milliers de citoyens vivent sous la menace constante de la violence, ne leur permettant pas d’exercer librement leurs droits civiques. En outre, les données socio-économiques indiquent une pauvreté endémique et une insécurité alimentaire affectant une grande partie de la population, réduisant l’implication des citoyens dans un processus électoral à une priorité secondaire, voire inexistante.
La corruption, omniprésente dans l’administration publique, mine également tout effort de légalisation d’un référendum ou d’un processus électoral. Lorsque des conseillers gouvernementaux sont publiquement dénoncés pour corruption et que ces accusations restent impunies, il devient difficile de convaincre la population de la transparence des intentions des autorités. La culture de l’impunité mine encore plus la capacité de l’État à restaurer la confiance du public dans ses institutions.
Enfin, les défis logistiques et calendaires liés à l’organisation d’un référendum et d’élections générales fiables en 2025 sont tout simplement insurmontables dans les conditions actuelles. Les comparaisons internationales montrent que la préparation d’un tel processus nécessite un cadre de gouvernance stable, des institutions solides et des ressources matérielles considérables, généralement sur une période minimale de 18 à 24 mois. En Haïti, où l’appareil d’État est largement dysfonctionnel et les ressources financières limitées, ces exigences sont hors de portée.
En conséquence, il faut privilégier non pas l’organisation précipitée d’un référendum illégal et inconstitutionnel ou d’élections « pike kole », mais la mise en œuvre de mesures transitoires pour restaurer la confiance dans les institutions, stabiliser la situation sécuritaire et promouvoir un dialogue national inclusif. Cela pourrait inclure la constitution d’un gouvernement provisoire selon les dispositifs constitutionnels loin d’un Exécutif à 9 Têtes, la réforme du système judiciaire pour lutter contre la corruption et l’impunité, et l’établissement d’un calendrier réaliste et consensuel pour la tenue d’élections dans des conditions viables. Seule une approche méthodique et inclusive permettra d’éviter que ces processus ne deviennent de nouvelles sources de division et d’instabilité perpétuellement renouvelée.
