17 février 2025
L’Edito du Rezo – Constitution de 1987 : l’héritage démocratique menacé par des intérêts obscurs
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L’Edito du Rezo – Constitution de 1987 : l’héritage démocratique menacé par des intérêts obscurs

Le projet de réforme constitutionnelle relancé lundi par le Premier Ministre de facto Alix Didier Fils-Aimé s’inscrit dans une continuité historique de manipulation des textes fondamentaux au service d’intérêts politiques obscurs. Au lendemain de sa rencontre avec Isabelle Maria Salvador du BINUH, l’annonce de ce projet ressuscite les ambitions du régime PHTK de remplacer la Constitution de 1987 par un texte prétendument « plus moderne », dont les contours font l’objet de nombreuses interrogations. Loin de s’inscrire dans un processus démocratique authentique, cette relance ressort comme une initiative imposée, déconnectée des réalités vécues par la population haïtienne.

La Constitution de 1987, bien qu’imparfaite, représente un acquis historique, fruit de luttes démocratiques contre des décennies de dictature. En voulant remplacer ce texte par une nouvelle charte déjà « écrite », le gouvernement actuel rompt brutalement avec cet héritage, sans proposer un cadre participatif et inclusif qui rassurerait la population. Cette tentative de rupture sur le plan politique répond davantage à des motivations politiques et à des pressions extérieures qu’à une véritable volonté de refondation de la nation. La question est claire : peut-on réellement parler de réforme constitutionnelle lorsqu’elle est initiée par un gouvernement sans mandat légitime, incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens et de garantir un minimum de stabilité institutionnelle ?

L’annonce de cette réforme intervient dans un contexte de chaos généralisé. Le pays est paralysé par l’insécurité, où des bandes armées contrôlent une grande partie du territoire, et où l’Etat, impuissant, abandonne ses prérogatives régaliennes. En pleine période de fêtes de fin d’année, le principal aéroport international reste fermé, coupant Haïti de sa diaspora et aggravant les difficultés économiques. Dans ce contexte, la réforme constitutionnelle intervient non seulement comme une priorité malvenue, mais aussi comme une insulte à une population qui réclame avant tout des solutions aux problèmes urgents de sécurité, d’accès aux services de base et de rétablissement d’un semblant de normalité.

L’initiative jette également le doute sur la transparence et la légitimité du processus. L’implication du BINUH et d’autres acteurs internationaux dans cette relance alimente le sentiment que cette réforme est dictée par des agendas extérieurs, loin des aspirations du peuple haïtien. La promesse de « consultations populaires “ et d’un éventuel référendum ” équitable » tient du dérisoire dans un pays où les droits fondamentaux sont quotidiennement bafoués et où l’organisation d’un scrutin crédible relève de l’impossible. Comment prétendre consulter un peuple plongé dans la peur, la misère et la désillusion, dont la voix est systématiquement ignorée dans les processus de décision ?

De plus, l’annonce de cette réforme ravive les souvenirs des violations systématiques de la Constitution de 1987. Depuis son adoption, ce texte a été constamment saboté par des forces rétrogrades, notamment l’armée et ses alliés politiques, qui ont cherché à en limiter la portée démocratique. Aujourd’hui, ces mêmes forces rôdent autour du pouvoir, prêtes à utiliser cette réforme comme prétexte pour consolider une dynamique autoritaire. Peut-on croire à la sincérité d’un projet constitutionnel porté par des acteurs politiques qui ont eux-mêmes participé à la déconstruction progressive de l’Etat de droit en Haïti ?

Enfin, cette tentative de réforme révèle une profonde méconnaissance des besoins réels de la population. Les Haïtiens ne demandent pas une nouvelle Constitution, mais des mesures concrètes pour rétablir la sécurité, stabiliser l’économie et restaurer la confiance dans les institutions. Dans un pays où l’accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’éducation et aux soins de santé reste un défi quotidien, cette initiative est perçue comme une distraction cynique, une manière de détourner l’attention des échecs criants du gouvernement actuel.

Le projet de réforme constitutionnelle, tel qu’il est présenté, incarne un double décalage : d’une part, avec les réalités du peuple haïtien et, d’autre part, avec les exigences fondamentales d’un processus démocratique. Il s’agit moins d’une tentative de refondation nationale que d’un exercice politique visant à consolider le pouvoir en place et à satisfaire les pressions internationales. Loin de résoudre les crises actuelles, cette approche risque d’aggraver encore les fractures sociales et politiques, tout en renforçant le sentiment d’abandon et de trahison de la population. Dans un contexte où tout manque sauf la souffrance et l’insécurité, cette réforme constitutionnelle apparaît non pas comme une solution, mais comme une provocation.

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