Les coups foireux des neuf vacanciers d’État
par Lynnd J. Jasmin
Attention : « Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence ».
—————————————————————————————————————————-
Tout commença un vendredi après-midi, lorsque Smarth, Eminem et Gerry se retrouvèrent seuls dans la salle de réunion du Conseil. Les six autres membres étaient soit partis à des « réunions urgentes », soit absorbés dans des discussions philosophiques et spirituelles dont personne ne comprenait les termes.
Smarth, en particulier, semblait tout excité, les yeux brillants comme un enfant dans un magasin de bonbons. Il frappa sur la table avec un grand sourire.
- « Messieurs, messieurs, j’ai une grande nouvelle ! Vous savez ce qu’on raconte ? Il y a un trésor caché dans cette ville ! Un vieux coffre rempli de richesses, datant de l’époque coloniale. Il a été enterré quelque part à Port-au-Prince ! Imaginez les possibilités ! »
Eminem, toujours à la recherche de projets grandioses, se leva immédiatement, son costume impeccable lui donnant l’air d’un homme d’affaires prêt à conquérir le monde.
- « Un trésor ! Je peux gérer ça. Je vais créer une commission. Un comité. Une sous-commission même, si nécessaire. Peut-être un partenariat avec une société privée. La gestion sera parfaite. Je m’occupe de tout ! »
Gerry, qui n’avait jamais pris de décision de sa vie sans demander à Smarth ou Eminem ce qu’il fallait faire, hocha la tête frénétiquement.
- « Oui, oui ! On pourrait… acheter des pelles, et des pioches ! Et des cartes ! Et des… et des… je ne sais pas. Mais on va y arriver ! »
Smarth se frotta les mains avec excitation.
- « Exactement, Gerry ! Mais imaginez : un trésor pour notre pays ! Et bien sûr, je serais là pour superviser… à condition qu’on puisse garder une petite partie des ‘frais de recherche’, bien entendu. »
Le trio décida de lancer l’opération Chasse au Trésor sans en parler à personne d’autre, mais les rumeurs se propagèrent rapidement. L’enthousiasme de Smarth et Eminem fit effet : ils avaient trouvé un moyen d’engranger encore plus de fonds pour leurs petites affaires. Mais, bien sûr, ils avaient omis un détail : aucun d’eux n’avait jamais trouvé un trésor de leur vie. Ni sous terre, ni sous la mer, ni même dans les vieux livres de comptabilité.
Le plan était simple. Ils allaient « explorer » les différentes zones de la villa, chaque membre du Conseil ayant une « mission spéciale » dans la quête. Emmanuel, en tant que manager, s’occuperait de l’organisation de la « logistique » (c’est-à-dire, il allait acheter des pelles et des cartes au marché noir). Gerry, lui, serait chargé de « l’orientation », malgré le fait qu’il n’ait jamais utilisé une boussole dans sa vie.
Mais Smarth avait une idée encore plus brillante : chaque « zone » trouvée où ils allaient chercher le trésor serait en réalité un terrain qu’il pourrait acheter et revendre ensuite à des prix absurdes. Il prévoyait de faire fortune sur les « liens commerciaux » qu’il créerait avec ces “trésors” qui, en réalité, étaient des propriétés vides.
La chasse au trésor débuta sous les applaudissements de Smarth et Eminem, mais les choses prirent rapidement une tournure absurde. Filo, l’intello, arriva avec un livre vieux de cent ans sur les « trésors perdus d’Haïti ». Il était convaincu que la solution se trouvait dans un document qu’il avait retrouvé dans la bibliothèque de la BRH. Le problème, c’est qu’il passait plus de temps à lire qu’à chercher le trésor.
Fréro, le pasteur, décida qu’il était plus sage de prier avant de commencer. Il leva les mains au ciel et commença un sermon, incitant les employés de la villa à se joindre à la prière pour la « bénédiction divine » du trésor. « Frères et sœurs, le trésor du compte de Bourdon ne sera trouvé que si nous cherchons avec foi et patience », répéta-t-il, sans se rendre compte qu’il avait perdu tout le monde, y compris ses propres collègues.
Pendant ce temps, Lester, le président, surveillait l’opération, mais ne faisait rien. Il s’est contenté de répéter : « Nous allons gérer la situation en toute transparence, bien sûr, et nous allons publier un rapport détaillé. » Sauf qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il disait, et encore moins de la localisation exacte du “trésor”.
Edwige, le silencieux, était – comme toujours – silencieux, mais ses yeux disaient tout : il n’avait absolument aucune idée de ce qui se passait, mais il approuvait le chaos de loin, tout en savourant un cigare.
Réjeane, l’absente, était « en mission à l’étranger », ce qui ne surprenait personne. Quant à Laurent, l’entrepreneur, il se contentait de noter des contacts dans son carnet, persuadé que les propriétés qu’ils « découvraient » pourraient un jour devenir de bons investissements. Mais aucun trésor n’était jamais trouvé. Au lieu de cela, ils creusaient des trous dans des endroits où ils étaient sûrs de ne rien trouver, juste pour que Smith puisse revendiquer des terrains vides.
Après trois jours de recherche dans des endroits aussi improbables que les toilettes publiques et un ancien champ de canne à sucre derrière la villa, le groupe se rendit compte qu’ils n’avaient rien trouvé… sauf quelques pièges à souris et un paquet de biscuits périmés.
Smarth, pourtant, n’abandonna pas.
- « Ce n’est pas un échec ! Ce n’est qu’un retard dans notre processus de découvertes. Nous allons rapporter tout ça au peuple, et… et nous allons… ouvrir un rapport sur nos efforts de recherche. Une ‘recherche en continu’, voilà ce qu’on appelle cela dans les entreprises internationales! »
Mais Eminem, toujours prêt à sauver la situation, promit qu’ils continueraient la recherche.
- « Nous allons… investir dans plus de cartes ! Et dans des détecteurs de métaux ! Cette fois, on est sûrs de trouver quelque chose, n’est-ce pas, Smith ? »
Smarth, le sourire aux lèvres, regarda Gerry, qui semblait à moitié perdu dans ses pensées.
- « Bien sûr, bien sûr… Nous trouverons certainement un trésor. Ou, du moins, un très bon contrat. Peut-être même deux. »
Le Conseil Présidentiel annonça officiellement qu’ils étaient « en pleine recherche de trésors pour le développement du pays », et qu’une « mission spéciale » serait lancée pour étudier le processus de “découverte”. Tous les membres partaient en vacances, sauf bien sûr Smarth, Eminem et Gerry, qui avaient de grands plans pour le “trésor” : l’achat de nouvelles propriétés vides.
Moralité : Parfois, la véritable richesse ne se trouve pas dans les trésors coloniaux enfouis, mais dans les terres que les copains-coquins peuvent acheter et vendre… encore et encore.
Lynnd J. Jasmin
LJ Electronics