Par Ives Isidor
Comme un avion traversant une zone de turbulence, la république d’Haïti vient de connaitre un moment de cafouillage avec l’arrestation le 27 octobre dernier du député de Delmas/Tabarre Arnel Bélizaire à l’aéroport Toussaint Louverture. Cette arrestation, orchestrée en violation de la Constitution de 1987 qui consacre l’immunité et l’inviolabilité de corps des parlementaires, a remis en cause le principe sacré de la séparation et de l’équilibre des trois pouvoirs. Les pouvoirs sont donc entrés en collision dans un imbroglio juridico-politique presque sans issue. Pour plus d’un, la séquestration du député Arnel Bélizaire au pied même de l’avion s’apparente à une instrumentalisation de la justice au profit des quatre volontés du chef de l’exécutif. C’est de bonne guerre que des voix fusent de toutes parts pour dénoncer cet acte arbitraire, fortuit et gratuit.
A ce carrefour critique de la vie nationale, il importe que les haïtiens et haïtiennes renouvèlent leur vœu et leur attachement à un état de droit, à un état démocratique et institutionnel. A cet égard, je propose la lecture ou la relecture du texte La politique-ailleurs des politicailleurs écrit en août 1990 et paru dans le journal Haïti en Marche en février 1998. (https://rezonodwes.com/?p=295944). Ce texte se veut l’apologie du coumbitisme national et de la république démocratique, libre de toute visée dictatoriale ou de dérive autoritaire.
La nation toute entière doit se mettre debout pour protéger et consolider les acquis démocratiques de 1986. Le temps du totalitarisme et de l’absolutisme est dépassé. Fini le temps du macoutisme. On ne peut aucunement remonter le fil du temps et remettre les pendules en quadrature arriérée et déphasée. L’horloge du temps démocratique est en marche, rien ne peut l’arrêter. Il est temps que les haïtiens en finissent avec la politique de sautes d’humeur. Il est grand temps que les chefs s’en tiennent aux intérêts supérieurs de la nation au lieu de s’acharner à faire respecter envers et contre tous leurs quatre volontés, truffées d’arrogance et de vengeance politique. Ils doivent s’évertuer à contrôler leur ego, leur émotion, et leurs nerfs à fleur de peau.
Haïti a trop de problèmes pour faire les frais d’une crise inutile créée à l’emporte-pièce en vue de la satisfaction d’un désir de pouvoir absolu et de suprématie chimérique. Il est temps que les trois pouvoirs se respectent mutuellement et ne se débordent pas comme des rivières de leur lit.
Que le pouvoir judiciaire se prenne en charge dans la mise en branle de l’action publique et cesse d’être la caisse de résonnance de l’exécutif dans la persécution politique. Ce pouvoir se doit d’être plus proactif et plus autonome dans l’exercice équitable de la justice au lieu de se comporter comme le bras prédateur et persécuteur de l’exécutif. Il est temps qu’il travaille en toute indépendance et en toute impartialité sans bride, sans influence de toute sorte et sans contrôle à distance des ambassades étrangères.
Pour leur part, que les parlementaires s’en tiennent au respect scrupuleux de la constitution et des règlements internes lors de la validation de pouvoir des pairs et/ou de la ratification de la politique générale du gouvernement au lieu de faire monter les enchères dans des calculs politiques, idéologiques et électoralistes. Qu’ils remplissent convenablement leur rôle de contrôle de l’action gouvernementale, qu’ils s’attèlent à faire ou à réviser des lois au regard des nouvelles données du 21e siècle au lieu de faire la navette dans les ministères en quête de dividendes ou de prébendes.
Que le pouvoir exécutif sache que l’exercice du pouvoir n’implique pas l’élimination de l’opposition. L’opposition doit être le corollaire obligé de tout pouvoir qui se veut démocratique. L’opposition peut aider le pouvoir à réaliser des merveilles au profit de la population. Nous avons en voulons pour preuve le boom économique qu’a connu les Etats-Unis à un moment où l’administration de Bill Clinton faisait face à une opposition farouche des républicains.
La mobilisation spectaculaire orchestrée par la puissance publique le 27 octobre dernier à l’aéroport de Port-au-Prince pour la simple satisfaction d’un ego suffisant et chimérique est la preuve que l’Etat haïtien peut conjuguer des forces en vue de l’atteinte des objectifs fixés, et ce pour le bonheur de la population. Mais quand la force, l’énergie et les ressources se combinent dans l’effort dans le mal et dans l’arbitraire, il y a lieu de s’inquiéter. Comme les postdiluviens à la tour de Babel, les forces ont été mobilisées à la poursuite d’une cause ignoble et crottée.
Si seulement nous pouvions canaliser ces efforts pour le bien, pour le progrès et le développement, que de belles choses aurions-nous accomplies pour ce pays que nous aimons tous ! Il est temps que l’exécutif mobilise toutes les forces vives du pays pour des projets de développement humain tels que la scolarisation universelle, la création d’écoles professionnelles dans les communes, le projet de grands axes routiers, le projet de stimulation d’une nouvelle classe entrepreneuriale, le projet de logement pour la masse qui croupit encore sous les tentes au lieu de s’attarder à une logique de provocation malséante et malsaine.
Nous avons passé trop de temps dans des querelles puériles et stériles. Un autre quinquennat de perdu serait trop catastrophique pour le pays. Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire se doivent donc de créer un cadre démocratique, un cadre serein qui invite à la paix, au progrès, à l’investissement et au développement réel et durable du pays.
Ives Isidor, 5 novembre 2011