6 décembre 2024
Les Haïtiens veulent pouvoir vivre, pas seulement survivre
Actualités Cas d'assassinat Corruption Insécurité|Kidnapping Pages d'Histoire d'Haiti PHTK autorise l'occupation du pays Société

Les Haïtiens veulent pouvoir vivre, pas seulement survivre

Haïti traverse une crise profonde. Environ 1,6 million de personnes dans le pays sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë, alors que la capitale, Port-au-Prince, se retrouve sous l’emprise de la violence des gangs armés qui a causé la mort de milliers de personnes depuis janvier de cette année et poussé plus de 700.000 personnes à quitter leur foyer.

Pour lutter contre cette violence, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé une mission multinationale d’appui à la sécurité non-onusienne, dont les premiers effectifs ont été déployés en début d’été, sous le leadership du Kenya.

Pour mieux comprendre la situation actuelle, Cristina Silveiro d’ONU Info a interviewé la Coordinatrice résidente et humanitaire de l’ONU pour le pays, Ulrika Richardson, lors de son dernier passage au Siège de l’ONU.

La situation dans ce pays des Caraibes est « critique », a dit Mme Richardson; soulignant que les Haitiens « veulent, comme vous et moi, pouvoir vivre, pas seulement survivre ».

L’entretien a été édité pour des raisons de clarté et longueur.

La Coordinatrice humanitaire de l’ONU pour Haïti, Ulrika Richardson, explique la dans le pays au micro d’ONU Info lors son dernier passage au Siège de l’ONU.
ONU Info La Coordinatrice humanitaire de l’ONU pour Haïti, Ulrika Richardson, explique la dans le pays au micro d’ONU Info lors son dernier passage au Siège de l’ONU.
Ulrika Richardson : La situation en Haïti est très critique surtout dans la capitale.

On peut dire même que dans le pays il y a deux réalités. Il y a une réalité dans la capitale qui est très alarmante où les gangs continuent leur influence, leur contrôle de beaucoup de quartiers de la capitale. Et donc ça veut dire que pour la population, la vie est presque impossible, avec le risque d’être tué par les balles perdues, mais aussi d’être attaqué et violé.

Beaucoup de quartiers sont complètement sous le contrôle des gangs qui imposent une violence très brutale. Et ils ne s’empêchent pas du tout d’utiliser le viol collectif contre les femmes, les enfants. Ils recrutent des enfants dans leur rang, et ça, c’est énormément inquiétant.

Il y a beaucoup de personnes déplacées ; on estime à plus de 700.000 le nombre de déplacés internes dans le pays. Les personnes sont obligées de fuir leurs maisons et leurs quartiers et donc la situation est très critique, notamment dans la capitale.

D’un autre côté, la réalité est un peu différente dans le reste du pays où la vie continue, même s’il y a beaucoup de déplacés qui s’enfuient vers le Sud et même dans le Nord.

Les gangs contrôlent la majeure partie de la capitale haïtienne, Port-au-Prince.
© UNOCHA/Giles Clarke
ONU Info : Face à cette situation, que réclament les Haïtiens ?
Ulrika Richardson : Les Haïtiens réclament ce que vous et moi voulons : ils veulent pouvoir vivre, pas seulement survivre.

Quand je parle aux Haïtiens, c’est ça qu’ils disent : je voudrais continuer avec ma vie. Les jeunes disent qu’ils ont des rêves et qu’ils veulent aussi avoir une opportunité de les réaliser, comme tous les autres dans le monde.

Les parents, eux, veulent que leurs enfants aillent à l’école. C’est un signe d’espoir pour eux. La réouverture des classes planifiée en octobre s’est faite dans des conditions très difficiles ; et tous les enfants n’ont pas pu retourner à l’école.

Et donc ça veut dire que les Haïtiens veulent vivre dans la dignité. Ils veulent pouvoir sortir de chez eux sans aucun risque pour leur vie. Ils veulent pouvoir vivre, avoir un travail et s’y rendre.

Lancement de la campagne « Rentrée » à l’École nationale mixte de Léogâne le 2 octobre.
UNICEF/ Herold Joseph Lancement de la campagne « Rentrée » à l’École nationale mixte de Léogâne le 2 octobre.
ONU Info : Face à cette situation de la violence, le Conseil de sécurité a mandaté une mission multinationale d’appui à la sécurité pour renforcer la police nationale haïtienne. Elle a en partie été déployée cette année, avec le leadership du Kenya. Est-ce que l’on ressent un impact palpable de sa présence ?
Ulrika Richardson : Ce que l’on peut constater, c’est que la violence est toujours là.

La violence est toujours là

Ça veut dire qu’il faut vraiment un appui beaucoup plus fort. Ça veut dire qu’il faut encore des investissements dans cette mission multinationale non onusienne. On appelle tous les États membres à contribuer à la mission pour faire sorte qu’elle ait les moyens dont elle aura besoin pour accompagner la Police nationale d’Haïti présente sur le terrain, et qui fait déjà un excellent travail, dans des conditions très difficiles.

Mais vraiment, il faut beaucoup plus d’investissements dans cette mission multinationale.

ONU Info : L’un des problèmes aussi, c’est l’afflux des armes… Les appels se sont multipliés pour stopper l’importation et donc l’afflux de ces armes. Comment faire ?
Ulrika Richardson : Il y a des sanctions et ça veut dire qu’il y a un accord autour de la nécessité de stopper cet approvisionnement en armes. En effet, quand on observe le fonctionnement des gangs, c’est tout unecriminalité organisée qui leur apporte un soutien, alimenté également par la corruption et l’impunité. Il faut absolument le couper.

ONU Info : Vous avez mentionné les jeunes et le fait que les gangs recrutent les jeunes. Cela complique la réponse aux gangs. Comment faire en sorte qu’il n’y ait pas plus de violation et de violence envers ces jeunes quand on apporte la réponse ?
Ulrika Richardson : Il faut une réponse qui soit très adaptée à la jeunesse, mais aussi aux enfants. Donc, il faut évidemment avoir une réponse différenciée et aussi une approche intégrée.

Nous sommes en train de travailler avec l’UNICEF, plusieurs agences de l’équipe pays des Nations Unies en Haïti, avec le BINUH et d’autres partenaires pour identifier les meilleurs mécanismes de prise en charge des enfants et des jeunes, incluant ceux qui ont été enrôlés dans les rangs des gangs, de sorte qu’ils puissent avoir l’opportunité d’avoir un futur meilleur. Cela peut passer par la scolarisation formelle ou non formelle, mais cela reste à définir.

Nous voulons leur donner cette chance de pouvoir rêver d’un demain meilleur, en menant des activités nobles, et dans la dignité.

ONU Info : Comment ce contexte très violent impacte-t-il votre travail humanitaire ? Est-ce que vous êtes capables d’apporter un appui à la population ? Est-ce qu’il a fallu trouver des réponses créatives ?
Ulrika Richardson : Pour nous, pour moi et pour beaucoup d’entre nous qui travaillons en Haïti, un pays énormément attachant, c’est très frustrant de voir la situation comme elle est maintenant.

Le pays a du potentiel. C’est un pays avec une histoire noble. Vraiment, il faut regarder l’histoire d’Haïti. C’était un des pays les plus avant-gardistes pour les droits des personnes, pour tout ce qui est de la liberté, donc des principes qui sont très proches de ce que sont nos valeurs d’aujourd’hui.

Donc, c’est frustrant de voir qu’il y a toute cette situation de violence. Il est primordial d’adresser le problème de la violence maintenant. C’est un critère sine qua non pour pouvoir faire d’autres choses.

Mais même dans un contexte pareil, on réussit à atteindre la population dans la capitale et dans le reste du pays qui demande une approche différente. Oui, on travaille avec la population, y compris les plus vulnérables. On travaille avec les acteurs humanitaires qui essaient vraiment, et qui réussissent à atteindre la population. Mais évidemment c’est Haïti, il faut aussi qu’on soit constant et très motivé.

Je pense qu’on a réussi non seulement grâce à la motivation très élevée des collègues, mais aussi grâce aux solides partenaires haïtiens. Et c’est ça qui renforce notre motivation.

On a des organisations des droits humains, des organisations humanitaires, des organisations locales, communautaires, des artisans qui sont énormément actifs, compétents et c’est avec eux qu’on travaille. Cela nous donne une motivation supplémentaire et nous rend plus efficace.

ONU Info : Et c’est donc un processus haïtien à la fois… Vous avez mentionné mettre fin à cette violence comme priorité. Quelles sont vos priorités actuelles, immédiates ?
Ulrika Richardson : On n’a pas une seule priorité…

Je dois dire que moi j’ai presque 30 ans avec les Nations Unies et c’est très rare que de trouver un pays où on travaille avec une seule priorité.

C’est une situation vraiment multifacette, multidimensionnelle, multisectorielle. Tout est lié, bien que la sécurité reste capitale dans ce contexte de violence extrême. Et c’est pour cela que nous appellons à un engagement plus fort à la mission multinationale d’appui à la sécurité. C’est aussi l’appel des Haïtiens, l’appel du Conseil présidentiel de transition et celui du gouvernement.

En même temps, il faut travailler en parallèle dans beaucoup de chantiers, dans beaucoup de domaines. Cela veut dire qu’il faut des approches qui soient parallèles, complémentaires.

Cela implique qu’en adressant la question de la sécurité, en même temps il faut travailler sur d’autres thématiques comme la question de la prévention, la lutte contre la corruption et l’impunité, et dans tout ce qui se rapporte à la mise en œuvre et la mise en place d’un État de droit.

ONU Info: Une cohésion sociale aussi ? Il faut que la société puisse aussi se réconcilier quelque part…
Ulrika Richardson: Je pense plutôt qu’il est temps de revenir à la normalité bien que je n’aime pas trop utiliser le mot « normal ». Mais tout ce qui est école, santé, protection sociale, travail, logement, assainissement des rues, environnement sain et la justice, cela n’existe pas aujourd’hui pour beaucoup d’haïtiens. Donc, il est temps de revenir à cette normalité, et avec cela, sans doute, la société est prête à avancer.

Nous sommes très frustrés de voir que c’est lent à concrétiser. Et c’est de là que vient la motivation, mais aussi l’engagement d’appeler tous les États membres à apporter l’assistance soutenue dont Haïti a besoin.

Je voudrais voir que nous, tous aux Nations Unies, continuons à aller dans cette dynamique d’engagement.

Ulrika Richardson (au centre), Représentante spéciale adjointe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Coordonnatrice résidente et humanitaire en Haïti, visite l’École nationale de Miserne aux Cayes.
© UNOCHA/Christian Cricboom Ulrika Richardson (au centre), Représentante spéciale adjointe du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), Coordonnatrice résidente et humanitaire en Haïti, visite l’École nationale de Miserne aux Cayes.
ONU Info : Vous avez parlé de motivation. Vous êtes amenée à rencontrer la population souvent et à échanger. Dans ces échanges, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Ulrika Richardson : Il y en a plusieurs, surtout les échanges avec les jeunes filles victimes de viols et qui sont tombées enceintes. Il y avait aussi un jeune garçon de 15 ans, environ. Je lui ai posé les questions suivantes : qu’est-ce que tu vois ? Qu’est-ce que tu voulais ? Il m’a répondu ceci : bon moi je voulais me coucher la nuit et savoir que ma famille et moi, nous allons nous réveiller tranquillement sans être obligés de le faire sous les bruits des coups de feu et des armes. Je veux simplement ça. Pas plus.

J’ai aussi rencontré un jeune homme de 18 ou 19 ans dans un quartier très marqué par la présence des gangs. Et j’ai conversé avec lui et ses amis. Je lui ai demandé ce qu’il faut faire. Il m’a regardé et il m’a dit : ‘Mais regarde autour de toi. Qu’est-ce que tu vois ?’

J’ai vu des montagnes, des déchets, des maisons détruites, des rues impassables, des personnes visiblement marquées par les difficultés, la violence, la pauvreté. Puis il m’a dit qu’il voulait le retour de l’État ; il voulait l’ordre ; il voulait encore une fois avoir une vie un peu normale.

Il m’a dit : ce qui manque, c’est la présence de l’État, ce que les gangs font tout pour empêcher.

ONU Info: D’où puisez-vous votre courage pour aller de l’avant et pour mener à bien votre mission ?
Ulrika Richardson : Moi je pense que c’est le fait de se sentir engagée dans une cause.

Pour moi, la cause, les valeurs des Nations Unies, l’humanité, c’est de pouvoir contribuer, de pouvoir assister, même si c’est limité, de pouvoir aider Haïti à reprendre sa place dans le concert des nations.

Ce pays était une inspiration pour la liberté, la souveraineté, pour tout ce qui concerne les droits de la personne. Donc pour moi, c’est motivant, inspirant. C’est un pays énormément beau et un peuple avec une histoire et une culture très riche, avec l’art, avec la littérature. Donc tout ça pour moi, ça me motive.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.