Les coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine : entre exploitation historique et luttes contemporaines. Un héritage d’exploitation transfrontalière
L’envoi de travailleurs haïtiens dans les champs de canne à sucre de la République dominicaine trouve ses racines dans les premières décennies du XXe siècle, lorsque des milliers d’Haïtiens ont été recrutés pour travailler dans l’industrie sucrière dominicaine, souvent dans des conditions d’exploitation proches de l’esclavage moderne. Ces recrutements massifs, organisés à l’époque par les gouvernements haïtiens et dominicains, étaient motivés par la demande croissante de main-d’œuvre bon marché dans un secteur sucrier en plein essor, contrôlé en grande partie par des intérêts étrangers.
Dès les années 1930, la migration forcée ou contractuelle de travailleurs haïtiens dans les bateyes – les camps où sont logés les coupeurs de canne – devint une pratique systématique. Ces travailleurs étaient souvent attirés par des promesses de salaires meilleurs et d’opportunités économiques, mais se retrouvaient rapidement pris dans un cycle d’exploitation. Les bateyes, où vivaient et travaillaient ces coupeurs, étaient (et sont encore) marqués par des conditions de vie indignes, avec un accès limité aux soins de santé, à l’éducation, et à la protection sociale. L’absence de régularisation légale pour la plupart de ces migrants haïtiens a, au fil du temps, renforcé leur statut de main-d’œuvre vulnérable, sujette aux abus et aux déportations massives.
La répression actuelle : une continuité de l’histoire
Aujourd’hui, la situation des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine reflète cette continuité historique de l’exploitation, marquée par des violences physiques, des salaires misérables, et des conditions de travail dangereuses. En mai 2024, la répression violente des manifestations de travailleurs haïtiens au Consorcio Azucarero Central (CAC) a remis en lumière ces pratiques répressives. Cette répression, où des travailleurs ont été battus et certains blessés par balles, comme Junior Baptiste, n’est que la dernière illustration d’un schéma où les revendications des coupeurs de canne sont systématiquement étouffées par la force.
Les travailleurs haïtiens continuent de réclamer des salaires décents, des conditions de travail sécurisées, et surtout la possibilité d’obtenir des permis de travail réguliers, ce qui permettrait de réduire leur précarité et de leur accorder des droits fondamentaux. En effet, l’une des principales stratégies employées par les entreprises sucrières et les autorités dominicaines est de maintenir ces travailleurs dans l’illégalité, en refusant de leur fournir des documents officiels. Ce refus structurel des droits de ces travailleurs leur interdit l’accès aux services sociaux et les rend particulièrement vulnérables aux pressions et aux déportations.
La menace des déportations : un outil de contrôle
Les déportations massives, qui ont pris une ampleur sans précédent sous la présidence de Luis Abinader, sont un autre levier de contrôle utilisé pour maintenir les travailleurs haïtiens dans un état de soumission. L’intensification des expulsions, notamment depuis les tensions autour du canal d’irrigation sur la rivière Massacre à la frontière haïtiano-dominicaine, a exacerbé les conditions de vie des migrants haïtiens en République dominicaine. Chaque semaine, des milliers d’Haïtiens, y compris des enfants, sont expulsés vers Haïti, parfois sans procédure légale et dans des conditions inhumaines.
Cette politique de déportation, dénoncée par des organisations comme le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), vise non seulement à limiter l’immigration haïtienne, mais aussi à exercer une pression sur les travailleurs restants, les forçant à accepter des conditions de travail inacceptables par peur de l’expulsion. Comme l’a exprimé Sam Guillaume, responsable de la communication de GARR, « aucune catégorie de citoyens haïtiens en République dominicaine n’est épargnée, des écoliers aux commerçants, en passant par les travailleurs des champs de canne à sucre ».
Vers une réforme urgente ?
Si la situation des coupeurs de canne haïtiens en République dominicaine est ancrée dans une longue histoire d’exploitation transfrontalière, elle appelle aujourd’hui à une réforme urgente et à des mesures internationales pour protéger les droits de ces travailleurs. Des pressions diplomatiques, tant du côté haïtien que du côté des organisations internationales, devraient se renforcer pour pousser les autorités dominicaines à mettre en place un cadre légal assurant la régularisation des travailleurs haïtiens, l’amélioration des conditions de travail dans les champs de canne, et l’arrêt des pratiques abusives de déportation.
Pour les travailleurs comme Junior Baptiste, dont le rêve d’une vie meilleure en République dominicaine a été brisé par les abus, le combat continue. Les histoires de violence, d’exploitation et de souffrance des travailleurs haïtiens rappellent que derrière chaque paquet de sucre produit se cachent des vies marquées par la précarité et la lutte pour la dignité. Le chemin vers une réelle justice sociale et économique dans l’industrie sucrière dominicaine reste long, mais la résistance des travailleurs et le soutien international sont essentiels pour faire avancer la cause de ces oubliés des plantations.
source: Haitian Times / GARR (photos-crédit)