10 juillet 2025
Non renouvellement du programme humanitaire « Biden » ou la fabrique des sans-papiers made in USA
Actualités Société

Non renouvellement du programme humanitaire « Biden » ou la fabrique des sans-papiers made in USA

Utilisée à des fins politiques depuis plusieurs années, l’immigration se révèle être le principal sujet de l’élection présidentielle de 2024 aux Etats-Unis. À travers les differents canaux médiatiques et lors des réunions, les Républicains continuent d’exploiter ce phénomène comme leur principal atout pour remporter cette élection. Les démocrates, acculés, sont contraints de se montrer fermes envers ce phénomène pour rassurer un certain pan de l’électorat américain. Dans ce combat titanesque, le programme humanitaire de libération conditionnelle, qui autorise l’entrée aux États-Unis pendant deux ans des citoyens issus de Cuba, du Venezuela, de Nicaragua et d’Haïti, a, semble-t-il,  fait les frais de cette bataille acharnée pour la maison blanche. Car, le département intérieur vient d’annoncer que le programme ne sera pas renouvelé. 

Ainsi, à la fin de la date de leur temps de séjour la plupart de ces citoyens seront obligés de quitter les États-Unis (Miami Herald, 4 octobre 2024)1.  Il est clair que la situation catastrophique des pays bénéficiaires ne risque pas de s’améliorer pendant ce laps de temps. De cette façon,  peut-on vraiment attendre un retour volontaire de la part des bénéficiaires du programme ? L’administration américaine aura-t-elle la volonté de mobiliser les moyens, si possible, pour expulser ces centaines de milliers de migrants ajoutés aux millions déjà présents sur son sol ? Par ailleurs, si les républicains se montrent plus hostiles envers les immigrants que les démocrates, existe-t-il vraiment une quelconque différence entre leurs politiques migratoires? Si la perception collective montre que les démocrates sont plus ouverts à l’immigration, cette assertion tient-elle en réalité ?

Immigration : fantasmes et réalités

Si le thème de l’immigration s’est imposé à la campagne présidentielle américaine de 2024 comme le principal sujet, ce n’est pas une nouveauté. Depuis les années 90, particulièrement dans la période post crise économique de 2008, ce sujet constitue le thème central de presque toutes les campagnes électorales dans les pays occidentaux. Si pour certains, les migrants sont porteurs de tous les maux de la société; pour d’autres, ils participent activement au rayonnement du pays notamment sur le plan économique. Souvent utilisée par les élites dans les moments électoraux pour influencer le vote des citoyens, l’immigration suscite tous les fantasmes dans l’espace public occidental. Si ce n’est un secret pour  personne que l’immigration peut être une arme redoutable pour manipuler les masses, il est nécessaire de mettre au point les faits afin de démêler le vrai du faux sur ce fameux sujet.  

Impact économique de l’immigration aux États-Unis

En matière d’immigration, il faut dire que les États-Unis occupent une place particulière. Contrairement aux européens, à certains égards, les États-Unis pourraient être considérés comme une terre d’immigration. Les premiers habitants, en l’occurrence, les amérindiens sont, d’une grande majorité, exterminés et le peu qui survivent brillent par leur absence dans le débat public. Communément appelé terre de liberté, les États-Unis ont vu sa population accroitre d’une manière exponentielle tout au long du 20ème siècle par des migrants venus du monde entier.  Durant le dernier quart du 20ème siècle, l’accroissement des flux migratoires était devenu une caractéristique majeure de l’économie américaine. Une bonne partie de l’économie se reposait sur des immigrés : médecins, infirmières,  serveurs, plongeurs dans les restaurants, les chauffeurs de taxi, les épiciers etc.. Pour mesurer l’impact des migrants, il faut prendre en compte leur nombre et leurs salaires. Selon un recensement des années 80, certaines catégories de migrants, de situation comparable, font mieux que les nationaux en termes de revenus. Si dans les premières années, ils gagnaient moins que certains nationaux, au bout de 11 ans, les revenus des immigrés étaient plus élevés soit 4% de plus que les natifs (Chiswick, 1990)2.

Selon les statistiques de 2017, les immigrés (sans prendre en compte leurs enfants) s’élèvent à 43 millions soit 14% de la population américaine. Les immigrants forment plus de 17 % de la population active aux États-Unis, dont les deux tiers sont entrés légalement. Les immigrants occupent 45 % des emplois de domestiques, 36 % de ceux de l’industrie, 33 % de l’agriculture et 32 % des services. Une étude du Pew Research Center considère que, sans les immigrants, la population active aux États-Unis déclinerait de 173,6 millions en 2015 à 165 millions en 2035 en raison du vieillissement de la population native aux États-Unis ; or, avec la poursuite d’un apport d’immigrants, celle-ci pourrait atteindre plus de 183 millions d’actifs. De 2015 à 2065, les immigrants et leurs descendants  pourraient  former 88 % de la croissance de la population états-unienne (Key findings about U.S. immigrants, juillet 2017)3. En 2010, plus de 40 % des entreprises à succès recensées par le magazine Fortune ont été créées par des immigrants ou leurs enfants. En tenant compte de ces données, il est clair que comme pour beaucoup de sujets, mais particulièrement pour celui-ci, les fantasmes qui sont agités à dessein dans le débat électoral ont peu de choses à voir avec la réalité. 

Les sans-papiers, véritables esclaves des temps modernes: Une aubaine pour le système

Partout dans le monde, les migrants sans-papiers sont devenus les véritables esclaves des temps modernes. Ils font généralement les métiers les plus durs et ils n’ont aucune reconnaissance du système. Ces travailleurs dans l’ombre sont parfois le moteur de certains secteurs clés de l’économie. La République Dominicaine est l’archétype de ce phénomène avec les « braceros » qui sont en premières lignes dans les plantations de cannes à sucre et, depuis quelques années, le secteur de la construction qui occupe une place de choix dans l’économie. D’un côté, ils sont sous-payés, exploités dans des conditions inhumaines, et de l’autre, ils n’ont aucun endroit pour porter plainte par peur de représailles. Ce qui explique en partie leur soumission. La situation de ces migrants sans-papiers n’est pas si différente de ceux qui évoluent aux États-Unis. Ils présentent les mêmes caractéristiques, à savoir, leur vulnérabilité vis-à-vis de leur environnement respectif. En effet, les sans-papiers font face à toute forme de discrimination. Selon toute vraisemblance, ils font l’affaire du système particulièrement des employeurs. Aux États-Unis, ils sont des millions qui participent à la population active. Ainsi, peut-on se demander si le contexte électoral actuel, peut être, la cause occasionnelle du non renouvellement du programme Biden, constitue-t-il vraiment la cause profonde ?

Les dernières statistiques du Département de la Sécurité intérieure et de Pew Research indiquent qu’environ 11 millions d’immigrants illégaux vivent actuellement aux États-Unis. La plupart sont des résidents de longue durée : près d’un quart d’entre eux vit dans le pays depuis plus de dix ans. Les migrants arrivés légalement aux États-Unis, mais dont le visa est périmé, forment une bonne part des immigrants en situation irrégulière. Selon le Center for Migration Studies (CMS), les personnes qui ont un visa périmé ont dépassé de 600 000 ceux qui sont arrivés légalement aux États-Unis depuis 2007 (Goussot, 2018)4. Ces chiffres montrent qu’il y a un risque élevé pour d’éventuels nouveaux arrivants de rester dans le pays après la date d’expiration de leur séjour. Alors qu’est-ce qui explique la création de nouveaux  programmes favorisant l’entrée temporaire de citoyens étrangers aux États-Unis malgré le risque de rester illégalement sur le territoire ? 

Selon Jean-Marie Dinard, si l’immigration illégale a pu se développer dans de telles mesures aux États-Unis, c’est vraisemblablement, à cause de deux facteurs. D’une  part cela se traduirait par un régime strict des règles en matière d’immigration qui poussent les immigrants à opter pour la clandestinité plutôt que les couloirs d’accès légaux au marché du travail. D’autre part, et ce qui nous intéresse plus dans ce travail, c’est la préférence des employeurs pour les travailleurs sans-papiers du fait des avantages qu’ils en retirent (Dinard, 1985)5. En fait, les immigrés avec des statuts vulnérables sont généralement les plus soumis aux conditions de travail les plus pénibles et sous-payés. Cette situation favorise non seulement une production à moindre coût mais aussi réduit-il davantage le risque de mouvement social qui déboucherait sur des arrêts de travail et ralentirait la bonne marche de l’économie. Donc, on l’aura compris, les immigrants illégaux et les autres avec des statuts temporaires réunis dans des programmes humanitaires qui regroupent ce qu’on peut appeler « les vulnérables du système » sont une aubaine pour les économies capitalistes particulièrement les États-Unis qui comptent le plus grand nombre d’actifs illégaux sur son territoire.

Programme Biden : geste humanitaire ou besoin économique des U.S

Si le programme est qualifié Humanitaire par les autorités américaines, il semble qu’en réalité le programme n’est d’humanitaire que de nom. Si dans les pays bénéficiaires il existe vraiment un problème humanitaire, il faudrait peut-être questionner la responsabilité des politiques américaines sur le revers de ces pauvres populations. En effet, Cuba, Venezuela, Nicaragua et même Haïti sont sous le joug des sanctions américaines qui les restreignent l’accès aux commerces internationales depuis des années.  Rappelons, qu’avant l’embargo dans les années 50, Cuba était l’un des pays les plus riches d’Amérique latine : son PIB/hab. le plaçait au troisième rang sur ce continent (Languepin, 2007, p. 25)6. Au début des années 2000 soit entre 2003 et 2009, Venezuela avait l’un des taux de croissance les plus élevés au monde soit 13.5 % sur environ 10 ans (Gouvernement et FMI, 2009)7.  Nicaragua était l’un des pays les plus sûrs du continent avec un taux d’homicides de 8 pour 100 000 habitants en 2015, le plus faible d’Amérique centrale et l’un des plus faibles d’Amérique latine après le Chili, la Bolivie et Cuba (France 24, 8 Avril 2015)8.  Alors que les armes américaines inondent les gangs en Haïti, le pays subit, paradoxalement, un embargo sur les armes à feu depuis le coup d’État de 1991 (Campagne Contrôlez les armes, janvier 2006)9. Incapable de contrôler ses frontières, l’afflux des armes à feu plonge le pays dans une crise sécuritaire et humanitaire désastreuse. De ce fait, il est pertinent de se demander si ce programme était le meilleur moyen pour aider ces pays  à résoudre la crise humanitaire dont ils font l’objet actuellement ? D’un autre côté, la question humanitaire ne constitue-t-elle pas un prétexte pour l’administration Biden/ Harris pour poursuivre d’autres finalités ?

En tenant compte des données existantes, nous avons des raisons de penser que le programme répond plus à un besoin économique des États-Unis plutôt qu’un geste humanitaire. Depuis un certain temps, le paradigme économique a changé et la taille de la population devient un facteur essentiel pour la production et consommation pour accroître les grandes économies; d’où le poids économique de l’Inde et la Chine dans l’économie mondiale. 

Dans un contexte de ré-industrialisation américaine avec les programmes de subventions en masse de l’administration Biden en vue de rapatrier les industries américaines de l’étranger et autres (IRA : Inflation Reduction Act, 2023)10, les États-Unis ont besoins de plus de bras pour faire fonctionner leur économie. Par ailleurs, démocrates ou républicains, tous, agitent régulièrement l’immigration pour poursuivre leur agenda. Pourtant, les deux partis, semble-t-il, s’accordent sur le fond du sujet. Ainsi,  l’appel à l’immigration se fait généralement en fonction des besoins du système autrement dit c’est le marché qui décide. 

En effet, l’accroissement de la population immigrée aux États unis se fait dans toutes les administrations : Démocrates ou républicains. Pour illustrer mes propos, l’une des plus grandes ouvertures pour l’immigration permanente aux États-unis pendant les dernières décennies a eu lieu dans les années 90 avec la loi Bush. À travers cette loi, sous l’administration des républicains, le Président Bush avait décidé d’accroitre de 35 % l’immigration permanente (Miller, 1991)11. À ce moment post guerre froide, les États-Unis étaient devenus la seule super puissance au monde qui coïncidait logiquement avec une croissance économique importante nécessitant une main d’œuvre stable. En outre, si d’aventure, l’administration Obama avait l’air plus favorable à l’immigration, il est important de souligner qu’elle a eu le record de déportation de migrants sur les dernières décennies soit plus de 2. 4 millions de déportés. Par conséquent, le président Obama a deporté plus d’immigrants que son successeur l’ex président Donald Trump (ICE : Immigration and Customs Enforcement, 2008-2019)12.  Ainsi, toute extravagance ou surenchère d’un camp ou de l’autre sur la question peut être assimilée à de la manipulation de l’opinion.

Vladimir Estefano MATHE, consultant en politique publique.

Contact : vladimirm219@gmail.com

Sources:

[1] https://www.miamiherald.com/news/local/immigration/article293494409.htm

[2] https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1990_num_6_1_1227

[3] https://shs.cairn.info/revue-population-et-avenir-2018-5-page-15?lang=fr#re3no3

[4] Michel Goussot, l’immigration aux États-Unis : enjeux et perspectives -, 2018, p.15 à 17

[5] https://www.persee.fr/doc/remi_0765-0752_1985_num_1_1_969

[6] Olivier Languepin, Cuba, la faillite d’une utopie, Gallimard, coll. « Folio actuel », 2007 (1re éd. 1999) (ISBN 978-2-07-034598-4)

[7] « The Chávez Administration at 10 Years: The Economy and Social Indicators [archive] », sur venezuelanalysis.com.

[8] « Lutte antigang : au Nicaragua, la prévention plutôt que la prison », France 24, ‎ 8 avril 2015 (lire en ligne [archive]).

[9] https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/08/amr360012006fr.pdf

[10] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/ira-le-plan-biden-provoque-une-maree-de-projets-industriels-aux-etats-unis-1906704

[11]https://www.persee.fr/doc/remi_07650752_1991_num_7_3_1306#:~:text=La%20d%C3%A9cision%20du%20pr%C3%A9sident%20Bush,qui%20a%20dur%C3%A9%2025%20ans.

[12] https://shs.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2020-4-page-3?lang=fr

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