En référence au Décret obsolète du 23 mai 1989, les agents de l’Administration publique et du secteur privé sont invités à chômer ce jour sacré en mémoire de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, le fondateur de l’indépendance d’Haïti. Ce rappel, émanant du Secrétariat Général de la Présidence, dirigé par Mme Marie E. Régine Joseph Haddad, souligne la date du 17 octobre comme jour de commémoration. Mais, faut-il un décret gouvernemental de 1989 pour rappeler une date qui a marqué l’histoire de notre nation et de l’humanité tout entière ?
Le 17 octobre 2024, le Secrétariat Général de la Présidence, sous la signature de Marie E. Régine Joseph Haddad, rappelle à la nation la commémoration de la mort de l’Empereur Jean-Jacques Dessalines, conformément à un décret de mai 1989. Mais comment un simple décret pourrait-il être nécessaire pour honorer celui qui incarne l’essence même de notre indépendance ?
Il est regrettable que la Présidence juge utile de rappeler un texte d’un régime neo-duvaliériste qui, en 1989, marquait déjà le retour à une forme d’autoritarisme politique à travers des gouvernements de transition déconnectés des aspirations profondes du peuple. Faut-il vraiment se référer à des lois édictées par des régimes distants de l’esprit de Dessalines pour célébrer celui qui a donné sa vie pour la liberté d’Haïti ?
Il n’est pas anodin de mentionner que la première commémoration de la mort de l’Empereur Jean-Jacques Ier remonte à 1845, sous la présidence de Pierrot. Mais ce n’est qu’en 1892 que le président Florvil Hypollite marqua un tournant en érigeant un mausolée au Pont-Rouge, là même où Dessalines fut assassiné par ses propres compagnons. Ce geste, bien plus qu’un simple hommage, était une reconnaissance officielle de l’immense contribution du fondateur de notre indépendance. Sur cette stèle, il est écrit : « Jean-Jacques Dessalines, fondateur de l’indépendance d’Haïti. Mort en 1806, à l’âge de 48 ans. En témoignage d’admiration et de reconnaissance pour l’acte mémorable du 1er janvier 1804 ». Mais cette reconnaissance, bien que tardive, est souvent dévoyée par des cérémonies symboliques vidées de leur substance.
Le 17 octobre devrait être un jour de réflexion profonde, non seulement sur l’assassinat de Dessalines, mais sur les idéaux qu’il portait. Ceux qui prendront part aux cérémonies de cette année doivent répondre à une question cruciale : les membres du Conseil Provisoire de Transition iront-ils déposer une gerbe de fleurs au Pont-Rouge, lieu de l’ultime sacrifice de l’Empereur, ou choisiront-ils, comme tant d’autres avant eux, la voie plus commode du MUPANAH, au Champ-de-Mars ? Le lieu de cette commémoration est plus qu’un choix symbolique, il reflète l’engagement ou la trahison des idéaux dessaliniens. Car au Pont-Rouge, c’est tout un pan de notre histoire tragique qui refait surface, une histoire marquée par la trahison, la division, et la confiscation de la souveraineté populaire par des élites corrompues.
Dessalines, souvent incompris et détesté de son vivant par les concepteurs du système de « peze souse », était l’incarnation d’une Haïti intransigeante face aux compromis avec les puissances coloniales et les élites locales. Sa mort fut orchestrée par ceux-là mêmes qui craignaient sa vision d’une nation véritablement libre et indépendante. Depuis, son nom a été occulté pendant 39 ans, proscrit de tout débat public ou privé. Le 17 octobre 1806, c’était non seulement l’homme qui tombait, mais avec lui le rêve d’une Haïti gouvernée selon les principes de justice et d’égalité.
Aucun autre libérateur d’un peuple opprimé n’a connu une fin aussi tragique que celle de Dessalines. Contrairement aux héros nationaux d’autres nations, sa mort ne fut suivie d’aucune enquête, d’aucune commémoration officielle, d’aucun deuil national. Cette absence de reconnaissance témoigne de l’ingratitude historique de nos dirigeants, passés maîtres dans l’art d’oublier ou de déformer l’héritage des héros de notre indépendance. Ce n’est qu’en 1845, puis en 1892, que la mémoire de Dessalines fut lentement réhabilitée, alors que ses successeurs immédiats avaient tout fait pour effacer jusqu’à son nom.
Mais en ce 17 octobre 2024, alors que nous nous apprêtons à le commémorer, il est légitime de se demander si le rêve dessalinien a encore une place dans notre société. Les luttes politiques internes, la violence des gangs, la corruption des élites, et la marginalisation du peuple haïtien rappellent étrangement les maux contre lesquels Dessalines s’est battu. Peut-on réellement honorer sa mémoire tout en perpétuant le système de « peze souse » qu’il a dénoncé et qui continue à sévir sous d’autres formes ?
Les commémorations de cette année, comme tant d’autres avant elles, risquent de se limiter à des cérémonies sans conséquence. Mais il est encore temps pour les dirigeants de notre nation de renouer avec l’esprit de Dessalines. Leur présence au Pont-Rouge ou leur absence marquera la frontière entre l’hommage sincère et la commémoration creuse. Ce choix reflétera leur engagement envers la mémoire du fondateur de notre indépendance et envers le peuple qu’il a libéré.
Le 17 octobre 2024 doit donc être plus qu’un simple jour férié, il doit marquer un tournant, une redécouverte des principes fondateurs d’Haïti. Nous ne pouvons nous permettre de continuer à commémorer sans réexaminer profondément notre trajectoire. Le rêve dessalinien est toujours là, attendant d’être réalisé, mais il ne le sera que si nous avons le courage de confronter, comme lui, nos démons et nos trahisons historiques.
cba
