27 avril 2025
Relations haïtiano-dominicaines: au-delà d’une diplomatie au coup par coup dans l’obligation l’accommodement “
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Relations haïtiano-dominicaines: au-delà d’une diplomatie au coup par coup dans l’obligation l’accommodement “

Par Hancy PIERRE, spécialiste en relations internationales .

  Présidé par le président de la République Dominicaine, son Excellence Luis Abinader, le Conseil national de sécurité et de défense a approuvé, le mercredi 02 octobre 2024, une opération, visant à rapatrier jusqu’à 10 mille migrantes et migrants haïtiens par semaine. Cette annonce   survient à la date d’anniversaire des débuts des évènements du massacre de 1937. C’est un coup dur pour le gouvernement haïtien qui s’est encore entortillé dans les défis  tels que la pauvreté, la menace de famine et le terrorisme de groupes armés internes. Des opérations de “rapatriements”  sont une pratique  courante depuis les années 1991. C’est un levier politique pour faire prévaloir la suprématie de la République dominicaine  qui se capitalise sur l’épineux problème que devient la migration  longtemps perçue comme “une invasion pacifique” des haïtiens en République dominicaine. Plus de 100,000 retours des haïtiens en Haïti  ont été enregistrés en la circonstance. En 2016, ils étaient encore plus de 100,000 expulsés illégalement vers Haïti selon Amnesty International (Le Nouvelliste, 15 juin 2016). 68,000 au moins sont retournés spontanément. Entre aout 2015 et mai 2016, ils étaient plus de 40,000 dont plusieurs centaines d’enfants. Aussi a -t -on recensé encore plus de 100,000 d’ici 2019 (Le Nouvelliste ,19 novembre 2019). 

Le GARR  a noté les plus grandes vagues de rapartiements massifs à partir d’aout 2015 à aujourd’ hui. En effet, de juillet 2015 à  décembre 2018, plus de 295,946 personnes ont constitué cet effectif ainsi répartis 155,201 rapatriés et 140,745 retours volontaires spontanés. Ce nombre inclut aussi 4,746 mineurs non accompagnés. Les opérations de rapatriements massifs continuent en 2019 avec en moyenne plus de 6.000 personnes par mois. Et, en 2022, 300 haïtiens sont rapatriés par jour de la République dominicaine

La ministre des Affaires Etrangères et des Cultes,  dans une note de dénonciation, a qualifié la  décision de rapatriements « discriminatoire » et « raciste » . Ces propos rappellent  la déclaration faite par le président haïtien Jean Bertrand Aristide contre l’irrespect des droits humains par la République dominicaine à l’encontre des immigrants haïtiens en 1991. Et, Il a eu lieu la première grande opération de rapatriements massifs d’haïtiens de juin 1991 en réponse à cette position d’un officiel d’Haïti. En la circonstance, il a été promulgué et appliqué le décret 233-91 ordonnant l’expulsion de tous les Haïtiens sans papiers âgés de moins de 16 ans et de plus de 60 ans (Wooding et Moseley-Williams, 1997 :117). La Ministre a -t -elle tiré des leçons du passé d’une diplomatie au coup par coup et qui tient lieu d’une obligation d’accomodement . Ce, à défaut de la détermination et de la mise en place d’une vision nationale face à la République dominicaine afin que toutes les actions prises de part et d’autres soient cohérentes” tel que prévu par par l’Arrêté du 26 février 2009 concernant le rôle du Secrétariat technique de la Commission Mixte Bilatérale “. Est -ce un prélude à la préparation d’un dossier à introduire auprès des instances internationales compétentes en matière de contentieux dans le domaine des droits humains? La note du ministère ne devrait pas être une réaction ponctuelle pour la charge des qualificatifs “ discriminatoire” et “raciste” associés à la décision de rapatriements massifs qui se présageait.

En effet, on ne saurait se livrer dans des positions de parade pour plaire à la population dans son acharnement, certes juste, contre des mesures anti -migratoires du gouvernenement dominicain et la maltraitance qui caractérise les opérations de rapatriements. Le Ministère des Affaires Etrangères et des Cultes “ appelle au respect des droits inaliénables de chaque enfant, de chaque femme et de chaque homme, visés par cette regrettable décision, conformément aux traités et accords internationaux régissant la matière”. Il prévoit du même coup une accélération du renforcement des capacités de sa mission diplomatique et de ses postes consulaires, « afin d’assister dignement nos concitoyen-ne-s en République Dominicaine ».

A chaque situation de déportation importante, les officiels haïtiens font résonner  la formule “d’assistance digne des ressortisssantes et ressortissants” malgré l’absence de structures d’accueil et de prise en charge adéquates. Ce sont des organisations humanitaires qui oeuvrent le plus souvent à la place de l’Etat

   Ainsi “le Ministère des affaires étrangères et des cultes prévoit de se réunir avec des organisations de la société civile et des agences internationales, agissant sur la zone frontalière, afin de définir une stratégie d’accompagnement des personnes concernées”.

La tension monte sans issue entre les deux Etats sinon qu’il y a lieu de privilégier le dialogue tout en redynamisant les leviers diplomatiques et de communication éxistants. La raideur des positions des autorités étatiques au plus haut niveau contraste avec des relations de proximité établies par les autorités locales dans les zones frontalières et les organisations de la société civile à travers  l’organisation de tables de concertation sectorielle. Pourquoi ne pas approprier l’expérience de concertation en question pour promouvoir des relations d’ouverture dans le respect des normes , accords et traités signés et adoptés par les deux parties? Ce qui nous renvoie à l’appel de la Fondation Zile au dialogue face aux rapatriements massifs et aux tensions nationalistes en Republique dominicaine (Le Nouvelliste 4 octobre 2024). La dernière expérience de dialogue remonte à novembre 2021 quand l’envoyé spécial l’ancien ambassadeur, le sociologue  Daniel Supplice a realisé une mission auprès des officiels dominicains et a identifié quatre irritants à savoir la question de frontière, du dossier des étudiants haïtiens, de l’utilisation par des haïtiens du service de santé dominicain et la question de l’identification des haïtiens”. L’Envoyé a proposé la création d’une sous- commission au sein de la commission mixte bilatérale afin de se pencher sur ce sujet. Elle devrait être composée des forces de police et l’armée des deux pays, des membres des ministères des Affaires Etrangères et de l’Intérieur des deux pays. Cette proposition a été alors acceptée. Une autre commision est prévue pour traiter de la question du visa des étudiants haïtiens. Il a aplani les tensions entre le ministre des Affaires Etrangères haïtien , son Excellence Claude Joseph et le président dominicain Luis Abinader (Le Nouveliste du 17 novembre 2021).

Les relations conflictuelles entre les Etats sont imminentes du point de vue de Rousseau pour qui :”la sagesse humaine n’existe pas dans les rapports entre les Etats et ne peut pas exister”. Il réfute l’équilibre entre les Etats quand son optimistme porte sur la société civile au regard des principes de contrat social,l’union de chacun à tous , la souveraineté de la volonté générale, l’obéissance aux lois et la solidarité sociale “.  Cependant de la perspective des pères fondateurs de la nation dominicaine, aucun sentiment antihaïtien n’avait été nourri; ils avaient combattu plutôt le colonialisme. Aussi le général Jean Jacques Dessalines eut-il prôné la solidarité humaine et l’union des peuples opprimés et esclavisés en vue de leur libération collective. Ces deux visions originelles auraient scellé les principes de la diplomatie des deux Etats malgré des relations de tensions alternées a des situations -éclair de rapprochement et de convivialité des peuples. Ce qu’allait témoigner l’union haitïano-dominicaine de la période 1860-1900 qui eut contribué à la déroute de l’Espagne en 1865 et la consolidation de l’union par le Traité de Paix d’Amitié, de commerce, de navigation et d’extradition haïtiano-dominicain du 9 novembre 1874 qui garantit la souveraineté de l’ile. L’érosion dans les relations entre les deux Etats après le Massacre de 1937 et le refroidissement dans les années 1960 n’eut pas empêché des intermèdes d’ouverture en 1972 jusqu’aux dénonciations internationales de violation de droits humains par l’Etat dominicain et de pratique esclavagiste assimilé au travail des baceros haïtiens dans les années 1980. 

Par la suite,  le 13 mars 1996 s’est  réalisée la déclaration conjointe du président dominicain le Dr Joaquin Balaguer Amparo et le président haïtien René Garcia Préval associé à la mise en place de la Commission Mixte Bilatérale comme opportunité et instrument de dialogue. Ce, en vue d’un revirement à la diplomatie de confrontation au profit de nouveaux paradigmes tels la coopération, le développement durable, l’interdépendance, l’intégration régionale, la promotion des droits humains et d’une culture de la paix.

La Commission Mixte devrait, sous la direction du Premier Ministre et de la Ministre des Affaires Etrangères assurer le suivi des engagements pris dans les sessions précédentes en redynamisant les travaux des sous commissions. Les engagements consentis entre les deux Etats lors de la mission de l’ambassadeur Daniel Supplice devront être relancés à l’ordre du jour. Il y a aussi lieu d’accentuer les actions du gouvernement afin d’avoir une cohésion dans la politique étrangère face à la République dominicaine et se passer d’une diplomatie au coup par coup. Ce sont autant de recommandation et résolutions adoptees par la Commission Mixte dont l’obligation de suivi a été indiquée dans l’Arrêté du 26 février  2009.

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