Le coup d’État perpétré en Haïti dans la nuit du 29 au 30 septembre 1991 pour renverser le premier gouvernement démocratiquement élu du pays, après des décennies de régime autoritaire, a donné lieu à une série de bouleversements et de tragédies qui ont encore une résonance dans l’histoire de notre pays.
Pour comprendre la portée de cet acte il faut remonter à la genèse du processus électoral de 1990, aux dynamiques militaires en jeu et aux conséquences socio-politiques de ce coup d’Etat.
Contexte historique des élections de 1990
Jean-Bertrand Aristide, élu lors des élections de décembre 1990, représentait une lueur d’espoir pour la population haïtienne, en particulier pour les classes défavorisées qui avaient longtemps souffert des régimes dictatoriaux. Les élections de 1990 ont été saluées comme les plus crédibles depuis les tentatives électorales de 1806, bénéficiant d’un large soutien populaire et d’une supervision internationale garantissant leur transparence. Elles ont marqué un rare moment d’unité nationale, où l’armée haïtienne, jusqu’alors instrument de répression, a fait montre d’un certain respect pour le processus démocratique.
Cependant, dès le départ, le mandat d’Aristide a été menacé par des forces internes. Le retour de la démocratie haïtienne a bouleversé les structures traditionnelles du pouvoir, notamment l’armée et les élites économiques. Ce contexte instable a favorisé le coup d’État qui a eu lieu moins d’un an après l’élection.
La nuit du 29 au 30 septembre 1991 : une opération militaire brutale
La nuit du 29 au 30 septembre 1991 reste gravée dans la mémoire collective des Haïtiens comme le moment où l’espoir démocratique a été violemment anéanti. Sous la direction du général Raoul Cédras, l’armée haïtienne a pris d’assaut le Palais national, délogeant le président Aristide de ses fonctions. Les scènes qui ont suivi ont été marquées par une répression brutale des partisans du régime démocratique. Une évaluation de l’armée haïtienne durant cette période révèle une institution corrompue, inefficace en termes militaires, mais extrêmement efficace dans ses pratiques répressives.
« Si vous n’avez jamais vu l’armée haïtienne en action, c’est que vous n’avez pas encore compris les forces armées d’Haïti ». Cette expression évoque l’illusion que l’armée haïtienne, créée sous l’occupation américaine dans les années 1915-1934, n’a jamais été réellement une force armée destinée à protéger la nation. Conçue comme un instrument de contrôle social, assurant la perpétuation d’un ordre oligarchique, elle a davantage servi à réprimer la population qu’à la défendre.
L’armée haïtienne : une force répressive plutôt que défensive
L’armée haïtienne, dont la structure remonte à l’occupation américaine, s’est toujours caractérisée par sa propension à s’immiscer dans la vie politique. L’analyse du rôle de l’armée lors du coup d’Etat de 1991 révèle une organisation plus axée sur la protection des intérêts de quelques-uns que sur la défense nationale. Les actions de cette « force armée », si on peut dire, mettent en évidence l’absence d’une véritable doctrine militaire nationale. Elle a été entraînée et structurée non pas pour faire face à des menaces extérieures, mais pour réprimer toute forme de dissidence interne.
L’armée a agi avec une violence disproportionnée lors du coup d’État, réprimant les partisans d’Aristide et créant un climat de terreur dans tout le pays. Les quartiers populaires, qui avaient massivement soutenu le président, sont devenus les cibles privilégiées de l’oppression militaire. Le nombre exact de morts et de disparus au cours de cette période est difficile à établir, mais les récits des survivants témoignent de la brutalité et de l’ampleur de la répression.
Conséquences et rôle de la communauté internationale
Le coup d’État du 30 septembre 1991 a donné lieu à une vague de condamnations internationales. La communauté internationale, qui avait soutenu le processus électoral de 1990, s’est trouvée dans une position délicate, cherchant à concilier la souveraineté haïtienne et la nécessité d’une intervention pour restaurer la démocratie. Le rôle de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de l’Organisation des États américains (OEA) a été crucial dans les négociations qui ont suivi, visant à rétablir Aristide au pouvoir.
Malgré les efforts diplomatiques, l’armée haïtienne a continué à contrôler le pays jusqu’en 1994, plongeant Haïti dans une profonde crise humanitaire et économique. Le coup d’État fit ressortir les limites de la démocratie dans un pays où l’armée avait longtemps été utilisée comme un outil de domination plutôt que de défense.
L’héritage du coup d’État de 1991 : la refonte de l’armée et la fragilité de la démocratie
L’événement du 30 septembre 1991 a eu un impact durable sur la scène politique haïtienne. D’une part, il a accéléré la réflexion sur le poids de l’armée dans la société haïtienne. La décision d’Aristide de dissoudre l’armée lors de son retour au pouvoir en 1994 avait pour but de rompre le cycle de l’intervention militaire dans la vie politique. Cette dissolution a marqué une tentative de reconstruction de l’État, mais a également laissé un vide sécuritaire qui a été comblé par la suite par la prolifération de groupes armés et de gangs.
D’autre part, le coup d’État a démontré la fragilité de la démocratie haïtienne, constamment menacée par des forces internes et externes. Une armée au service du peuple et non d’intérêts particuliers aurait pu être un pilier de la démocratie. En Haïti, cependant, l’armée est restée une force de division, symbolisant les contradictions profondes de la société.
cba
ex-cadet de l’Académie Militaire Navale du Venezuela