Une question dérangeante résonne au sein de la diaspora haïtienne et au-delà : pourquoi le nom d’Haïti n’apparaît-il pas sur les cartes récentes produites par Google, alors que de petits territoires y sont mentionnés avec précision ? S’agit-il d’un simple oubli technique, ou est-ce le symptôme d’un effacement plus profond de l’existence d’Haïti dans l’imaginaire mondial après avoir, le 18 novembre 1803, reconfiguré la planète et accéléré un nouveau mode de vie ?
Sur une carte de 2024, tous les pays de la région sont identifiés, même les plus petits, à l’exception notable d’Haïti, un territoire pourtant significatif avec ses plus de 27 000 km² de superficie. Ironiquement, la République Dominicaine, qui partage la même île, est bien présente. Ce constat nous amène à nous demander: sommes-nous arrivés à un stade où Haïti n’existe plus que dans les marges, effacée, non seulement dans la réalité politique et économique, mais désormais dans la sphère numérique ?
Ce questionnement s’inscrit dans un contexte national alarmant : Haïti traverse une crise politique profonde. Il n’y a plus de constitution en vigueur, le pays est dirigé par un premier ministre intérimaire, qui a passé plus de 12 ans hors du pays, et des « présidents-conseillers » qui se partagent le pouvoir dans une structure sans réelle légitimité populaire. Par ailleurs, la formation du Conseil Électoral Provisoire, autrefois composée de neuf membres, pourrait être réduite à sept, reflet d’une désorganisation continue. Tous ces éléments témoignent d’une auto-destruction institutionnelle, une dynamique où l’effacement progressif d’Haïti, de ses structures démocratiques et de sa souveraineté, se dessine de l’intérieur.
Mais, alors que l’attention se tourne vers Google, un géant de la technologie, la question essentielle est la suivante : pourquoi ne pas d’abord interpeller nos propres compatriotes qui travaillent dans cette entreprise ? Haïti compte parmi sa diaspora des centaines d’ingénieurs et d’experts en informatique, formés dans les meilleures universités, et qui contribuent à des entreprises comme Google. Où sont-ils lorsque le nom de leur propre pays disparaît des cartes ? Sont-ils au courant de cette situation ? Si oui, pourquoi ne prennent-ils pas la parole ?
Cette question va au-delà de la simple dénonciation d’une multinationale. Elle soulève un problème plus large, celui de la responsabilité et du devoir envers sa patrie. Ces Haïtiens bien formés, intégrés dans des structures internationales, sont-ils encore attachés à leur patrie ? Pourquoi ne prennent-ils pas l’initiative de corriger ces « oublis » qui affectent l’image et la visibilité de leur nation ? Avant de se tourner vers les autorités haïtiennes de fait, comme la ministre des Affaires Étrangères, Dominique Dupuy, ou le responsable de la Culture, s’ils veulent vraiment être utiles, un appel à la mobilisation de nos experts s’impose.
Haïti lutte pour exister, non seulement sur le plan géopolitique, mais aussi sur le plan politique, car trop d’ » esclaves domestiques à talent » s’alignent pour diriger et mettre en œuvre un programme imposé. Cet épisode révèle une réalité douloureuse : l’effacement d’Haïti de la carte de Google 2024 ne se limite pas à sa politique intérieure chaotique ou à son manque de projets de développement durable qui lui sont retirés de plein droit, mais s’étend même à son existence virtuelle, dans un monde où la visibilité numérique est essentielle pour être reconnu sur la scène internationale. Ce processus, qui a commencé de manière subtile, touche aujourd’hui tous les domaines.
Le débat va bien au-delà de Google ou des données numériques. Il touche à la question fondamentale de l’existence d’Haïti, de son rôle dans le monde, et de la manière dont ses citoyens, qu’ils soient en Haïti ou à l’étranger, peuvent agir pour contrer cette disparition. Car si Haïti n’est plus visible, c’est peut-être aussi parce que nous avons cessé de la faire exister dans nos actions, dans nos discours, et dans notre engagement collectif.
En Haïti, un phénomène inquiétant tend à s’installer : une sorte de syndrome de Stockholm collectif, où les Haïtiens, malgré les souffrances infligées par leurs dirigeants, s’obstinent à applaudir leurs bourreaux. Cette dynamique toxique se manifeste par une étrange complaisance, où l’oppression est perçue comme inévitable et où ceux qui contribuent à la misère nationale sont souvent réhabilités dans l’imaginaire populaire. Les figures de pouvoir, même celles qui sont responsables de la détérioration sociale et économique, sont acclamées plutôt que tenues pour responsables, comme si l’acceptation de la servitude était devenue la norme. Ce syndrome révèle une profonde blessure psychologique, née de décennies d’abus et de manipulations, où l’opprimé en vient à défendre son oppresseur, persuadé que toute alternative serait pire.
Alors, que reste-t-il à faire ? Il importe que la diaspora haïtienne, en particulier les intellectuels, les techniciens et les ingénieurs, se lève et défende la place d’Haïti dans le monde. Ce n’est que par un engagement collectif que le pays pourra retrouver non seulement sa place sur la carte du monde, mais aussi sa dignité perdue.
cba