4 octobre 2024
Rezo Nòdwès avec le soutien de ‘The Kettly Foundation Inc.’ présente « Haïti, l’Echo de la Province Oubliée »
Actualités Coin littéraire du Rezo Culture Education Société

Rezo Nòdwès avec le soutien de ‘The Kettly Foundation Inc.’ présente « Haïti, l’Echo de la Province Oubliée »

« Haïti, l’Écho de la Province Oubliée » est une œuvre littéraire diffusée en exclusivité sur Rezo Nòdwès, rendue possible grâce au soutien généreux de la Kettly Foundation Inc. Tous les dimanches soirs de septembre, découvrez un nouvel extrait de ce roman captivant dans le Coin littéraire de Rezo Nòdwès.

Note de l’auteur : Les personnages et les événements décrits dans ce roman sont purement fictifs. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite et involontaire.

cba

Kettly Foundation Incorporation est une organisation dédiée à la promotion de l’éducation, de la justice sociale, et du développement durable au sein des communautés haïtiennes et de la diaspora. Grâce à ses multiples initiatives, la fondation soutient des projets d’autonomisation, de bourses scolaires, et d’infrastructures locales visant à améliorer la qualité de vie et à encourager la résilience des populations vulnérables. Leur engagement envers l’éducation et l’amélioration des conditions de vie constitue une source d’inspiration pour toute la communauté.

Chapitre 1 : L’éveil des souvenirs


Montréal – Le retour aux racines

Le soleil se levait doucement sur Montréal, enveloppant la ville d’une lumière dorée qui glissait avec une grâce tranquille le long des immeubles de verre et d’acier, une architecture de ce genre, impossible chez nous, où l’absence d’un véritable état de droit compromet la protection des biens individuels et des vies humaines. Sans un cadre légal solide, il devient impensable de développer de telles infrastructures chez nous, car les citoyens sont privés de garanties fondamentales et vivent dans une insécurité permanente. L’air glacial du matin semblait figer le temps, créant un contraste saisissant avec la chaleur des souvenirs qui habitaient KEDA. Chaque dimanche matin, elle s’adonnait à un rituel immuable : quittant le cocon chaleureux de son appartement, elle revêtait une robe sobre, mais empreinte d’une élégance discrète, avant de se diriger vers l’église de la Grâce. Son cœur, débordant d’une piété sincère, demeurait inépuisable, comme une source intarissable de dévotion, nourrissant à la fois son esprit et son âme.

KEDA incarnait cette élégance subtile qui ne se manifestait pas uniquement dans sa tenue, mais bien dans la maîtrise de ses gestes, la tranquillité de son regard, et la profondeur de ses silences. Montréal, ville moderne aux contours acérés, l’avait charmée par ses contrastes vertigineux, entre l’effervescence des gratte-ciels et la quiétude de ses parcs. Cependant, ce matin-là, un écho lointain résonnait en elle, celui de Belvieu, son village natal niché dans les montagnes haïtiennes. Ce territoire oublié, marqué par des souffrances historiques, s’imposait à son esprit, comme un rappel douloureux de ce qu’elle avait laissé derrière elle. Le froid mordant du Québec n’effaçait en rien la chaleur des souvenirs de son enfance, qui revenaient, par vagues, imprégnés de l’odeur des champs, du murmure des rivières, et des cantiques entonnés par les anciens. Belvieu l’appelait, non pas comme un simple souvenir, mais comme une question irrésolue, suspendue entre l’oubli et le destin.

Alors qu’elle se tenait à l’entrée de l’église, ses yeux suivant distraitement la lente dispersion des fidèles, un sourire effleura ses lèvres, presque imperceptible. Dans ces instants suspendus entre la prière fervente et le retour à la banalité du quotidien, elle trouvait une paix rare, un répit face à l’agitation de la vie urbaine. L’église de la Grâce, avec ses murs de pierre grise et ses vitraux éclatants, était devenue bien plus qu’un lieu de culte : c’était un refuge, un rempart contre l’oubli dans une ville où le silence des anonymes pesait plus lourd que leurs paroles.

Soudain, une voix familière fendit l’air, tirant brusquement KEDA de ses rêveries. Comme un écho du passé, les souvenirs de son enfance à Belvieu revinrent flotter dans son esprit, doux et troublants, se mêlant à la morsure glacée du vent québécois, comme pour rappeler que certaines mémoires sont aussi vivantes que les cicatrices laissées par l’exil.

« KEDA, quelle surprise ! » lança Marc-Antoine en s’approchant, un sourire tranquille éclairant son visage, contrastant avec la fraîcheur matinale qui enveloppait Montréal.

Elle se retourna, son regard se fixant sur celui de son vieil ami. Marc-Antoine, imposant par sa stature et son assurance naturelle, n’était pas un habitué des messes dominicales. Ses visites à l’église étaient sporadiques, limitées à deux dimanches par mois, tout au plus. Ses multiples engagements sociaux, ses projets communautaires accaparaient la majorité de son temps, et pourtant, à chacune de ses apparitions, sa présence imposait une certaine gravité, une aura qui ne laissait personne indifférent. Pour KEDA, ces moments où ils se retrouvaient après le service étaient toujours des instants privilégiés. Ils échangeaient des pensées profondes sur la foi, l’évolution de la communauté, et, inévitablement, sur leur village d’enfance, ce lieu lointain devenu presque mythique.

« Bonjour Marc-Antoine, » répondit-elle, son sourire chaleureux accentué par une lueur dans ses yeux. « Le sermon t’a-t-il autant interpellé que moi ? »

Ils commencèrent à marcher, leurs pas résonnant sur les pavés de la vieille ville de Montréal, un écho qui semblait souligner la profondeur de leur conversation. Marc-Antoine, homme de réflexion et d’action, souvent déchiré entre les exigences de la communauté et ses propres responsabilités, paraissait plus pensif qu’à l’accoutumée.

« Le pasteur a abordé des sujets vitaux, » finit-il par dire, après un moment de silence où l’on pouvait presque percevoir le poids de ses pensées. « Mais parfois, je me demande si, dans cette quête incessante de modernité, nous ne perdons pas l’essence même de nos convictions spirituelles. »

Les mots flottaient dans l’air, mêlés au froid mordant du Québec, créant une étrange dissonance entre les souvenirs d’enfance qui traversaient son esprit et la réalité du monde dans lequel ils vivaient désormais. Une voix familière brisa soudain cette réflexion silencieuse, ramenant Marc-Antoine à la réalité, comme si les fantômes du passé avaient décidé de se manifester à travers le souffle glacé du vent. Un frisson parcourut KEDA, consciente que chaque mot échangé portait désormais un poids plus grand, comme si quelque chose de profond, d’inexprimé, se dessinait à l’horizon de cette matinée.

KEDA hocha la tête. « J’ai eu la même réflexion. Nous sommes appelés à nous renouveler constamment, mais Romains 12:2 nous rappelle de ne pas nous conformer au siècle présent, mais de transformer notre esprit. Et c’est là tout le défi, n’est-ce pas ?»

Leurs pas les menèrent vers un petit parc, où les arbres nus semblaient eux aussi attendre le retour du printemps. KEDA sentait une question monter en elle, une question qu’elle n’avait jamais osé poser directement.


Les échos du passé – Une sœur perdue et retrouvée

Alors qu’ils s’approchaient d’un banc isolé, KEDA perçut une tension subtile, presque imperceptible, flotter dans l’air glacial de Montréal. Cette atmosphère pesante résonnait en elle, plus intensément depuis l’arrivée récente de sa sœur, Naomi. Venue directement de Belvieu, Naomi représentait tout ce que KEDA avait laissé derrière elle. Plus jeune de quelques années, Naomi avait toujours incarné l’opposé de sa sœur aînée : effervescente, spontanée, dotée d’une énergie vive qui ne laissait personne indifférent. Leur relation, autrefois empreinte de complicité, s’était teintée d’une distance silencieuse, marquée par les années de séparation.

L’exil de KEDA, d’abord à Port-au-Prince pour ses études, puis au Canada, avait creusé un fossé invisible entre elles. Naomi, en quête d’un avenir meilleur à Montréal, espérait retrouver cette sœur qui, pour elle, avait toujours représenté un idéal inatteignable, presque mythique. Pourtant, derrière cette admiration persistait une blessure : celle de l’abandon ressenti lorsqu’enfants, KEDA avait quitté Belvieu, laissant Naomi dans un village déjà en déclin.

KEDA, quant à elle, portait en elle un poids plus lourd que celui des valises avec lesquelles elle avait quitté son pays. La culpabilité, un compagnon fidèle de son ambition, la hantait depuis ce jour où elle avait pris la décision de partir, consciente qu’elle abandonnait sa famille, sa communauté, ses racines. Les promesses lumineuses de Port-au-Prince et de Montréal lui avaient ouvert des horizons nouveaux, mais elles avaient également tissé un fil invisible, la maintenant attachée à ce passé dont elle tentait de s’éloigner.

Elle avait toujours été présente à distance : des lettres envoyées, de l’argent, des provisions, des vêtements, mais face à Naomi aujourd’hui, ces gestes semblaient dérisoires. Montréal, avec ses gratte-ciel imposants et ses rues givrées, ne pourrait combler le vide qu’elle avait laissé à Belvieu. KEDA sentait que le retour vers ce village oublié devenait une nécessité inéluctable.

Brisant le silence lourd qui s’était installé, KEDA murmura : « J’ai vu Naomi hier. Elle est encore un peu désorientée, mais je crois que Montréal finira par l’apaiser. »

Marc-Antoine, fidèle observateur des non-dits, déchiffra aisément la mélancolie derrière ses mots. « Ce n’est pas facile pour toi, je le sais. Après tout ce temps… vous avez été séparées si longtemps. »

KEDA hocha la tête, une vague de souvenirs l’envahissant. La nostalgie, avec son amertume douce, se fit sentir, poignante. « C’est vrai. Je me demande souvent si j’ai fait le bon choix. Elle est restée à Belvieu, là où moi… moi, j’ai fui. »

Marc-Antoine, dans un geste empreint de bienveillance, posa doucement sa main sur son épaule. Son regard, profond, cherchait à la rassurer. « Tu n’as pas fui, KEDA. Tu es partie pour t’offrir un avenir, et cela était nécessaire. Mais je comprends que ce retour en arrière soit douloureux. »

Le regard de KEDA se perdit dans l’horizon, là où Montréal, avec son modernisme glacial, se mêlait à ses souvenirs lointains d’Haïti. Belvieu, ce village qu’elle avait quitté il y a tant d’années, lui apparaissait désormais sous un jour nouveau. L’arrivée de Naomi n’avait fait que raviver ce lien, cet appel profond et irrésistible vers un passé auquel elle ne pouvait plus échapper.


Antoine – Les nouvelles d’un frère oublié

Assis sur un banc isolé, à l’ombre d’arbres massifs, Marc-Antoine semblait profondément absorbé par des pensées lointaines. KEDA le connaissait suffisamment pour reconnaître cette expression, celle qui trahissait une mélancolie rare chez lui, mais toujours présente lorsqu’il songeait à son passé, à sa famille, et plus précisément à son frère cadet, Antoine. Les deux frères n’avaient plus échangé depuis des années, et pourtant, Antoine restait ancré dans la mémoire de Marc-Antoine, comme une ombre persistante dans un coin de son esprit.

Antoine, ce frère qui n’avait jamais quitté Belvieu, s’était voué corps et âme à l’entretien des terres familiales, prenant sur lui la responsabilité d’un héritage que Marc-Antoine avait abandonné pour d’autres horizons, d’abord à Port-au-Prince, puis à Montréal. Antoine était l’incarnation même de la constance, une figure presque patriarcale pour le village. Il tenait la communauté informée des rares nouvelles venues de la ville, représentant un lien fragile entre le monde extérieur et Belvieu, ce village endormi, presque oublié du reste du pays.

Le silence entre les deux frères avait été long, creusant une distance non seulement géographique, mais émotionnelle. Chacun avait suivi un chemin différent, absorbé par les contraintes et les obligations de sa propre vie. Ce silence, cependant, était aujourd’hui rompu par un signe inattendu.

« J’ai eu des nouvelles d’Antoine récemment, » lâcha Marc-Antoine brusquement, presque à contrecœur, comme si l’idée d’évoquer son frère faisait ressurgir des émotions enfouies.

KEDA leva les yeux, surprise. Jamais Marc-Antoine n’avait abordé directement le sujet de son frère. Il avait toujours laissé entendre que leur relation s’était étiolée au fil du temps, que la vie et les circonstances avaient effacé les liens qui les unissaient autrefois.

« Que dit-il ? » demanda-t-elle doucement, son regard scrutant celui de Marc-Antoine.

Il sortit de sa poche une enveloppe froissée, témoignage silencieux du passage des années. « Il parle du village… de ce qu’il reste de Belvieu. Les jeunes continuent de partir, me dit-il, et les anciens, eux, ne savent plus comment maintenir l’équilibre fragile du quotidien. Antoine pense que nous devrions intervenir… avant qu’il ne soit trop tard. »

KEDA sentit un poids se former dans sa poitrine, une pression à la fois physique et émotionnelle. Belvieu semblait désormais si lointain, presque irréel, comme un rêve qui s’efface au réveil. Mais les mots d’Antoine faisaient renaître en elle des images familières, des souvenirs de ce village qui l’avait vue grandir, qui l’avait nourrie, mais qui, aujourd’hui, se délité sous le poids de l’oubli.

« Crois-tu qu’il y ait encore quelque chose à faire ? » demanda-t-elle, ses yeux reflétant à la fois l’incertitude et l’espoir. Elle cherchait une réponse dans le regard de Marc-Antoine, mais savait que ce dilemme le hantait depuis des années.

Marc-Antoine resta silencieux un moment, son regard perdu dans l’horizon lointain, là où la ville moderne de Montréal s’estompait pour laisser place à un paysage imaginaire, celui de Belvieu. Il n’avait jamais envisagé un retour. Pour lui, Belvieu appartenait à un passé révolu, une partie de lui-même qu’il avait tenté de laisser derrière. Mais cette lettre, ces mots d’Antoine, avaient ravivé quelque chose en lui, une étincelle de responsabilité.

« Il est peut-être temps… » finit-il par dire, sa voix grave marquée par une réflexion profonde. « Si nous ne faisons rien, qui le fera ? Le village ne peut pas survivre seul, et les jeunes ne reviendront pas tant qu’il n’y aura pas d’opportunités. Antoine a raison. »

KEDA sentit une bouffée d’espoir mêlée de peur la traverser. L’idée de revenir à Belvieu n’était plus une simple rêverie. Cela devenait une réalité, un projet, une nécessité. Mais elle savait aussi que ce retour serait semé d’embûches. Ils ne pouvaient pas simplement revenir en touristes, avec des promesses vides. Ce serait un engagement total.

Elle se leva brusquement du banc, comme mue par une force intérieure nouvelle. Son regard s’embrasa de détermination. « Alors, faisons-le, » déclara-t-elle avec une assurance qu’elle-même ne s’attendait pas à ressentir. « Il est temps d’agir. Nous avons trop longtemps parlé de Belvieu comme d’un souvenir. Il est temps de le rendre à nouveau vivant. »

Marc-Antoine la fixa, surpris par sa résolution, mais admiratif. KEDA n’était plus la jeune fille qui avait quitté le village en quête d’une éducation. Elle était devenue une femme forte, méthodique, et dotée d’une vision claire de ce qu’elle voulait accomplir. Son sens profond de la communauté et de l’engagement n’avait jamais été aussi palpable.

« Nous devons d’abord rassembler des fonds, » poursuivit-elle, son esprit déjà en mouvement, calculant les étapes, les obstacles, les stratégies à mettre en œuvre. « Nous ne pourrons pas tout faire seuls. La communauté haïtienne de Montréal a toujours été généreuse. Ils se soucient encore du pays. Nous pourrions faire appel à eux. »

Marc-Antoine hocha la tête en signe d’approbation. « Et moi, je pourrais contacter mes partenaires à Port-au-Prince. Certains organismes financent des projets de développement rural. Mais il faut être réalistes, KEDA. Ce sera long, ce sera difficile. Nous allons rencontrer des obstacles. »

KEDA s’arrêta net, plantant son regard dans celui de Marc-Antoine. Elle savait que chaque mot qu’il prononçait était vrai. Les défis seraient immenses, et les résultats incertains. Mais elle n’était plus la personne qui fuyait les difficultés. Elle était prête, armée non seulement de sa détermination, mais d’une vision pour Belvieu, pour Naomi, pour Antoine, et pour tous ceux qui, malgré tout, croyaient encore à la renaissance du village.

« Nous devons essayer, » dit-elle, sa voix douce mais empreinte d’une force inébranlable. « Nous devons le faire pour eux. »


La préparation du retour

Les jours qui suivirent furent marqués par une effervescence palpable, mais silencieuse. KEDA et Marc-Antoine, conscients de l’ampleur de la tâche qui les attendait, se plongèrent dans une série de réunions interminables, d’appels téléphoniques nocturnes, et de recherches méticuleuses. Leur objectif était clair : revitaliser Belvieu, ce village autrefois prospère mais désormais à l’abandon. Cependant, ils savaient que leur projet nécessitait bien plus que des ressources financières. Ils avaient besoin d’une vision claire, d’un plan structuré, et surtout, de l’adhésion pleine et entière de la communauté.

Naomi, bien que déstabilisée par son arrivée récente à Montréal, s’était rapidement immergée dans le projet. Sa fougue, son enthousiasme juvénile et sa capacité à se connecter aux autres étaient devenus des moteurs essentiels pour KEDA. Naomi incarnait cette nouvelle génération, prête à prendre les rênes, à redonner vie à un village en déclin. Son rôle était crucial : elle connaissait encore tous les habitants de Belvieu, chaque histoire, chaque lutte. À travers elle, un lien vital s’était tissé entre Montréal et Haïti, entre le présent de KEDA et le passé qu’elle ne pouvait plus fuir.

Un matin, alors que les deux sœurs savouraient un café dans l’atmosphère feutrée de l’appartement de KEDA, Naomi brisa le silence avec des mots qui pesaient lourdement sur son esprit.

« J’ai parlé à maman hier, » murmura-t-elle, sa voix teintée d’inquiétude. « Elle est de plus en plus angoissée. Les récoltes cette année ont été désastreuses. Beaucoup pensent à abandonner et partir pour Port-au-Prince. »

KEDA hocha la tête, absorbant cette nouvelle comme un coup de poignard silencieux. Elle savait que la situation à Belvieu était critique. Si davantage de villageois quittaient leur terre ancestrale, Belvieu deviendrait un village fantôme, l’un de ces lieux que l’histoire oublie et que le temps efface lentement. Comme tant d’autres villages en Haïti, Belvieu semblait s’effondrer sous le poids du désespoir collectif.

« Nous devons leur prouver qu’il y a encore de l’espoir, » répondit KEDA, son ton ferme mais marqué par une anxiété refoulée. « Nous devons leur montrer que partir n’est pas la seule option. Le village peut encore être sauvé. »

Naomi, dont les yeux brillaient d’une détermination nouvelle, acquiesça avec force. « Je suis avec toi, grande sœur. Ensemble, nous ferons revivre Belvieu. »

Le retour à Belvieu se profilait à l’horizon, un tournant décisif qui marquerait le début d’une aventure à la fois dangereuse et exaltante. KEDA et Marc-Antoine, après des semaines de préparation intense, prévoyaient de se rendre sur place pour rencontrer les anciens du village, établir un diagnostic précis des besoins réels et identifier les ressources encore disponibles. Ils savaient que la tâche serait monumentale, mais pour la première fois, ils étaient armés d’une détermination sans faille.

Pour KEDA, ce retour ne se résumait pas simplement à une mission humanitaire ou à un projet de revitalisation. C’était un voyage vers ses racines, une tentative de réconciliation avec son passé. Elle savait que les attentes des villageois seraient élevées, que les obstacles seraient nombreux, mais elle était prête à affronter chaque défi, motivée par une vision claire : redonner à Belvieu la dignité qu’il avait perdue.

Cependant, un sentiment d’appréhension persistait, comme une ombre qui ne disparaît jamais totalement. Le silence des anciens, l’absence de nouvelles directes, les départs constants des jeunes… tout cela ajoutait une tension sourde à l’atmosphère. Qu’allait-elle trouver en retournant à Belvieu ? Serait-il trop tard pour sauver ce qui pouvait encore l’être ?

Marc-Antoine, lui aussi, sentait le poids de cette entreprise peser sur ses épaules. Chaque décision serait cruciale, chaque faux pas pourrait s’avérer irréversible. Mais pour la première fois depuis des années, il se sentait prêt à relever le défi. Le chemin serait long, tortueux, semé d’embûches, mais la perspective de réussir redonnait à Marc-Antoine une énergie nouvelle. Il savait que ce projet serait un test, une épreuve non seulement pour lui, mais pour l’ensemble de la communauté.


Antoine et les nouvelles du front

Pendant que les jours s’étiraient avec une monotonie apparente à Montréal, Marc-Antoine continuait à recevoir des lettres de son frère Antoine, resté à Belvieu, ce village dont les contours s’effaçaient peu à peu de sa mémoire. Chaque lettre semblait être un miroir tendu entre deux mondes : d’un côté, le désespoir qui s’infiltrait à Belvieu avec la lente détérioration des infrastructures, l’exode massif des jeunes en quête d’opportunités ailleurs, et la détérioration générale des conditions de vie. De l’autre côté, subsistait une lueur ténue de résistance. Antoine parlait de la résilience des anciens, de ceux qui avaient traversé les âges d’or et d’ombre du village, qui continuaient à croire en une renaissance, malgré le déclin palpable.

Un soir, alors que Marc-Antoine lisait une nouvelle lettre, ses yeux fatigués parcourant les lignes imprégnées d’une réalité implacable, KEDA entra dans le bureau. Son visage, marqué par une réflexion profonde, trahissait la gravité des pensées qui l’assaillaient.

« Que dit-il cette fois-ci ? » demanda-t-elle, en s’asseyant à côté de lui. Sa voix, douce mais empreinte de curiosité inquiète, résonnait comme un appel à un passé qu’elle savait inévitable.

Marc-Antoine, avec un soupir lourd de sens, posa la lettre sur la table entre eux, comme si elle portait un poids bien plus grand que le papier ne pouvait le contenir. Ses yeux se voilèrent un instant avant qu’il ne parle.

« Il dit que la situation empire. Les routes sont devenues impraticables, les champs abandonnés, et les habitants, eux, perdent espoir. » Sa voix, habituellement ferme, vacillait légèrement, signe de l’impact émotionnel que ses mots lui infligeaient. « Mais il veut que nous revenions. Il pense que nous pouvons encore changer les choses. »

Un silence se fit, lourd et palpable, comme si les murs mêmes de la pièce s’étaient figés pour écouter la suite. KEDA se pencha légèrement en avant, son regard accrochant celui de Marc-Antoine avec une intensité nouvelle. Il y avait dans ses yeux une lueur qui mêlait la détermination à l’urgence.

« Nous devons y aller, » dit-elle finalement, sa voix ne souffrant d’aucune hésitation. « Mais pas seulement pour observer ou pour prendre la mesure du désastre. Nous devons y aller avec un plan, une vision, une mission, quelque chose de concret. »

Marc-Antoine hocha lentement la tête, conscient que ce moment, aussi banal qu’il puisse paraître, allait marquer un tournant dans leur existence. Le retour à Belvieu ne serait pas une simple visite, mais un engagement profond, une confrontation avec ce qu’ils avaient fui et ce qu’ils avaient laissé derrière eux. « Oui, nous allons le faire, » murmura-t-il, comme s’il parlait autant pour lui-même que pour KEDA. « Mais nous devons être prêts. Nous ne pouvons pas arriver à Belvieu sans stratégie. Il nous faut mobiliser des fonds, établir des contacts sur place, et surtout, obtenir l’appui des anciens. Rien ne se fera sans eux. »

Les heures qui suivirent furent consacrées à une longue discussion, empreinte à la fois de pragmatisme et d’une tension silencieuse. Chaque décision semblait peser plus lourd qu’un simple choix logistique. Ils dressèrent une liste des priorités : la réhabilitation des infrastructures du village, la relance de l’agriculture, la création d’emplois pour les jeunes afin de stopper l’exode, et la réorganisation de l’école, cet élément fondamental pour assurer l’avenir de Belvieu.

Ils savaient que le défi était immense. Ce n’était pas simplement une question de ressources ou d’organisation. C’était une lutte contre le temps, contre l’abandon, contre le désespoir qui rongeait Belvieu. Mais dans ce combat, ils étaient armés de quelque chose que bien d’autres avaient perdu en chemin : l’espoir. Et cet espoir, aussi fragile soit-il, suffisait à les porter vers cette aventure, où l’incertitude était leur seul guide.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.