C’est la grande question que se posent les Haïtiens ce jeudi, alors que le secrétaire d’État américain Anthony Blinken est attendu à Port-au-Prince cet après-midi. Cette visite, jugée capitale dans un contexte d’instabilité croissante, suscite des interrogations sur sa portée réelle, notamment en ce qui concerne la rencontre prévue avec le président du Conseil présidentiel de la transition (CPT), Ing. Edgar Leblanc. Mais au-delà de cette rencontre, les Haïtiens se demandent si M. Blinken sera également amené à rencontrer les trois conseillers présidentiels les plus controversés, à savoir le Dr Louis-Gérald Gilles, le Dr Smith-Augustin et Maître Vertillaire-Emmanuel, tous trois accusés d’être impliqués dans des affaires de braquages de banque (BNC).
Ces personnalités, bien que toujours en poste dans l’administration de transition choisie par les Etats-Unis, font l’objet de graves soupçons et d’enquêtes de la part de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC). Une poignée de main entre le Secrétaire d’Etat américain et ces trois « conseillers-braqueurs » serait perçue comme un geste politique fort, suggérant une présomption d’innocence. A l’inverse, l’absence de contact pourrait inciter les autorités haïtiennes à accélérer les procédures à l’encontre de ces « presumés individus corrompus », selon la clameur publique.
Le timing de cette visite est d’autant plus sensible que M. Blinken doit également évaluer le travail des forces de sécurité kenyanes, déployées en Haïti depuis le mois de juin avec le soutien du gouvernement américain. Ces forces, destinées à stabiliser le pays face à l’influence croissante des gangs pro-PHTK et à l’insécurité généralisée, peinent à obtenir des résultats tangibles. Dr Garry Conille, chef de la Sécurité intérieure haïtienne, a d’ailleurs mercredi déclaré l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire, une réalité amère dans un pays où, malgré tout, certaines communes comme Plaisance et Limbé apparaissent encore peu touchées par la violence.
Les infrastructures sécuritaires du pays sont dans un état critique : manque de véhicules pour les policiers, pénurie de carburant, et nombre insuffisant d’effectifs pour assurer la sécurité dans les zones sensibles. Les commissariats de Puilboreau-Carrefour Marmelade et de Plaisance peinent à fonctionner dans ces conditions, laissant une partie de la population livrée à elle-même.
Pour certains observateurs, cette visite de M. Blinken pourrait rappeler celle de Colin Powell en 2004, ou encore celle de Mme Hillary Clinton en 2011, qui avait joué un rôle décisif dans l’ « élection » Michel Martelly à la présidence, avec des conséquences toujours vivement critiquées aujourd’hui. Les Haïtiens, désabusés par les interventions passées des États-Unis et des Nations Unies, soutient New York Times, « se demandent si cette visite sera véritablement différente ou si elle marquera une continuité dans l’ingérence extérieure, souvent jugée contre-productive« .
Alors que M. Blinken s’apprête à poser le pied sur le sol haïtien, les attentes sont grandes, mais les espoirs sont mesurés. Le pays, sans représentant élu, en proie à la corruption à tous les niveaux de l’administration publique, à la violence et à l’extrême pauvreté, n’a jusqu’à présent connu que peu de progrès concrets grâce à l’aide internationale. Reste à savoir si cette visite apportera une lueur d’espoir, ou si elle sera un nouveau chapitre d’un interminable feuilleton diplomatique.
La diplomatie américaine, sous la houlette de M. Blinken, saura-t-elle cette fois faire la différence ? Ou bien les vieux démons du pays, exacerbés par des décennies d’ingérence étrangère, continueront-ils à miner l’avenir de la nation haïtienne, la plus pauvre de l’hémisphère, où l’État de droit est inexistant ?
cba