LA CORRUPTION DANS LE SYSTÈME ÉDUCATIF NATIONAL D’HAÏTI : L’UNITÉ DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION PARVIENDRA-T-ELLE À LA DÉMANTELER ?
Par Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Montréal, le 20 juillet 2024
La nouvelle a fait l’effet d’un tsunami dans les milieux éducatifs au pays et plus largement parmi la population haïtienne : « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont effectué, ce mardi 4 mai 2024, une perquisition au Fonds national de l’éducation (FNE). Cette opération intervient dans le cadre d’une enquête en cours sur des faits de corruption signalés, a précisé l’ULCC sur ses réseaux sociaux. Selon certaines informations, plus de 7 milliards de gourdes auraient été détournées sous l’administration de l’actuel Directeur général du FNE, Jean Ronald Joseph » (voir l’article « Corruption au Fonds national de l’éducation : l’ULCC ouvre une enquête », Haiti24.net, 4 juin 2024). La perquisition du 4 mai 2024 est consécutive aux révélations parues dans la presse, entre autres celles du site Hebdo24.com datées du 1er avril 2024 relatives au vaste « système dilapidateur » des ressources financières de l’État ayant cours au Fonds national de l’éducation. Il est d’ailleurs fort révélateur que le PSUGO (le controversé Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire), lui-aussi créé par le PHTK néo-duvaliériste, fasse partie du même vaste « système d’escroquerie et de malversation » repérable dans différents secteurs de l’administration de l’État. Voici un extrait des révélations du site Hebdo24.com datées du 1er avril 2024 : « Au Fonds national de l’éducation, l’argent se gaspille par « millions de gourdes » — « Depuis le weekend dernier, le Fonds national de l’éducation fait l’objet de graves dénonciations. En effet, le FNE constituerait une vraie vache à lait pour certaines personnes, dont son Directeur général. Selon des documents consultés par Hebdo24, le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph s’élève à 650 000 gourdes [4 875 $ US mensuels]. Additionné sur 12 mois, son salaire est de 7 millions 800 mille gourdes annuellement. De plus, les dépenses salariales au sein du bureau du Monsieur Joseph totalisent 24 millions de gourdes par an pour sept personnes, tandis que son cabinet, composé de dix-sept membres, représente une dépense annuelle de 49 millions de gourdes. Dans ces documents, figurent des noms de firmes, d’écoles, de journalistes et d’autres contractuels qui perçoivent des sommes astronomiques pour leurs services. C’est le cas de l’ancien député Déus Déroneth qui reçoit un montant de 350 000 gourdes à titre de contractuel ».
Pour sa part le journal Le Nouvelliste éclaire la dimension légale, administrative et hiérarchique de l’opération conduite par l’ULCC en ces termes : « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph. Pour la saisine, elle est d’office. Bien entendu, on a reçu des plaintes et des dénonciations », a dit Me Hans Ludwig Joseph » (« Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE », Le Nouvelliste, 4 juin 2024). NOTE – La « saisine » est une « Prérogative de saisir (un organe juridique, une personne) pour faire exercer un droit. La saisine d’un tribunal » (Dictionnaire Le Robert) ; « Formalité au terme de laquelle une juridiction est amenée à connaître d’un litige » (Dictionnaire Larousse). Comme nous le verrons plus loin dans le déroulé du présent article, une institution telle que l’ULCC peut se prévaloir de l’autosaisine, qui est le « Fait, pour une juridiction ou une administration qui en a la capacité, de se saisir elle-même » d’un sujet à soumettre à l’investigation légale. Les articles 7 et 11 du « Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) »(8 septembre 2004) autorisent l’ULCC à instituer l’autosaisine et sa mise en œuvre est soumise aux mêmes exigences légales. NOTE – Le lecteur curieux pourra consulter l’article de Jean-François Kerléo, « L’auto-saisine en droit public français » (Revue française de droit administratif (RFDA) n° 2 2014). La notion d’auto-saisine est ainsi présentée : « L’auto-saisine est un technique juridique particulière qui accroît considérablement le pouvoir et la liberté des autorités qui en sont détentrices. Elle constitue un instrument précieux et contribue à renforcer l’efficacité de l’action publique et à enrichir le système démocratique ».
Au moment de la rédaction du présent article, le site officiel de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), « en maintenance », n’était pas accessible. Il n’a donc pas été possible de savoir si l’ULCC a publié unrapport intérimaire couvrant la période du début de ses investigations jusqu’à la date de la perquisition du 4 juin 2024. Un rapport intérimaire permettrait d’être renseigné sur les résultats des investigations conduites au Fonds national de l’éducation et portant notamment sur l’analyse des documents comptables et administratifs du FNÉ, l’analyse comparative des documents comptables du FNÉ et de ceux de la BRH relatifs au FNÉ et l’examen de la transcription de l’audition des personnes interrogées. Il n’a pas non plus été possible de savoir, par la consultation de son site, si l’ULCC a pris des mesures conservatoires faisant obligation à la Banque de la République d’Haïti de « geler », dans un compte en fidéicommis, toutes les recettes collectées pour le Fonds national de l’éducation et qui, en date du 4 juin 2024, n’auraient pas encore été décaissées par le FNÉ. Et de manière liée, nous n’avons pas encore pu établir si l’ordre de perquisition émis par le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph, comprenait l’obligation de perquisitionner également le Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation.
Il faut prendre toute la mesure qu’une perquisition ciblée au Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation serait de première importance car cette institution, qui fonctionnait à ses débuts sans cadre légal, a été formellement créée par la Loi du 17 août 2017 à l’initiative des deux principaux caïds du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Michel Martelly et Laurent Lamothe. Il est attesté que le Fonds national de l’éducation, vaste structure gangstérisée de « pompage » des ressources financières de l’État, n’a jamais été inscrit au Budget officiel de l’État haïtien –c’était le cas de la Régie du tabac et des allumettes au cours des années 1960 durant la dictature de François Duvalier. Ainsi le Fonds national de l’éducation est une structure opérationnelle échappant à tout audit du Parlement haïtien, institution de contrôle de l’action du gouvernement et qui a été atrophiée puis frappée de caducité par le PHTK. Pour mémoire, rappelons que « Le Fonds national de l’éducation est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale aux termes de la Loi du 17 août 2017 » parue dans Le Moniteur n° 30, 22 septembre 2017. Cette loi précise que « Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée ». (…) Selon la Loi du 17 août 2017, « La présidence du conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] En toute rigueur et afin d’investiguer tous les aspects du dossier, il est nécessaire d’établir, références documentaires à l’appui, si le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph, aurait également ordonné la perquisition de la présidence du conseil [d’administration du FNÉ] car cette présidence est assurée par le ministre de l’Éducation nationale. Il en est de même pour la vice-présidence du FNÉ assurée par le ministre de l’Économie et des finances. En toute rigueur,les investigations de l’ULCC risquent d’être lourdement partielles, incomplètes et partiales si elles ne sont pas étendues à la gestion administrative et financière des deux ex-ministres du PHTK ayant légalement exercé durant plusieurs années la tutelle du Fonds national de l’éducation, MM. Nesmy Manigat et Patrick Boisvert.
Il s’agit là d’une obligation légale inscrite dans la Loi du 17 août 2017 « Portant création organisation et fonctionnement du Fonds national de l’éducation (FNÉ) ». Au chapitre 2 (article 10(o), Section I) de cette loi, il est précisé que « Le Conseil d’administration a pour attributions « (…) d’examiner le rapport du vérificateur externe, [de] faire le suivi des avis émis par ce dernier et [de] faire publier le rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ». En ce qui a trait à cette obligation légale, le constat est flagrant : le site officiel du Fonds national de l’éducation ne comprend aucun document attestant la réalisation et la publication d’un quelconque « rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice » pour la période 2017 à 2024. De surcroît, il ne comprend aucun document attestant la réalisation et la publication d’un quelconque « rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice » pour la période au cours de laquelle les ministres de facto Nesmy Manigat et Patrick Boisvert exerçaient légalement la tutelle du Fonds national de l’éducation conformément à la Loi du 17 août 2017. À cette obligation légale correspond, sur le mode d’un contrefeu systémique, la stratégie de l’omertà couplée à celle de l’« invisibilisation » de la corruption dans l’Administration publique haïtienne en général et singulièrement dans le système éducatif national (voir notre article « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024).
L’obligation de procéder à un audit exhaustif (1) de la gestion de toutes les opérations du FNÉ en tant qu’institution soumise aux prescrits de la Loi du 17 août 2017 et également (2) l’obligation de procéder à un audit exhaustif de la gestion du conseil [d’administration du FNÉ] qui est assurée par le ministre de l’Éducation nationale, ainsi que celle de sa vice-présidence assurée par le ministre de l’Économie et des finances est légalement fondée et le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph, juriste de son état, en est sans doute bien informé. Cette obligation est non seulement fondée au plan juridique, mais elle est en lien direct avec la « décharge » que doit obtenir tout ordonnateur des fonds publics –nous reviendrons là-dessus.
À cet égard, l’ULCC dispose de toutes provisions légales pour mener de rigoureuses investigations sur la responsabilité directe des deux ex-ministres de facto, Nesmy Manigat et Patrick Boisvert, dans le dispositif légal et para-légal de la corruption au Fonds national de l’éducation. La Loi du 17 août 2017 (chapitre 2 (article 10(o), Section I) énumère ces provisions légales et les attributions consignées dans le Décret créant l’ULCC en confortent la légalité. En effet, le « Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) », daté du8 septembre 2004, stipule :
« Article 1. Il est créé un organisme à caractère administratif dénommé : Unité de lutte contre la corruption, désigné sous le sigle ULCC et placé sous la tutelle du ministre de l’Économie et des finances. L’Unité de lutte contre la corruption est dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative et financière avec juridiction sur tout le territoire de la République d’Haïti ».
« Article 2. L’Unité de lutte contre la corruption a pour mission de travailler à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes les formes au sein de l’administration publique (…) [et d’]Assurer l’efficacité des mesures et actions afin de prévenir, dépister, sanctionner et éliminer les actes de corruption et infractions assimilées ».
« Article 7. Le Conseil de direction a pour taches principales [entre autres] :
De saisir les autorités judiciaires, à l’issue d’investigation sur des faits susceptibles de constituer des infractions de corruption, en vue d’entamer les poursuites légales et en assurer le suivi ».
Article 11.
Dans l’exercice de sa fonction le Directeur général a le pouvoir d’autoriser par mandat écrit les agents assermentés de l’Unité à mener des investigations et des recherches sur des soupçons de cas de corruption. Il est habilité à constater les infractions de corruption, à en rassembler les preuves, à en rechercher les auteurs et les déférer à la Justice. (…) il peut requérir directement le concours de la force publique.
Article 12.
Les agents assermentés de l’ULCC peuvent procéder à une perquisition conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. Dans ce cadre, tous papiers, documents objets ou substances pouvant servir de pièces à conviction, ainsi que tous objets, valeurs ou marchandises liées aux actes de corruption et infractions assimilées peuvent être saisis et scellés. (…) Avec un mandat écrit du Directeur général ils peuvent pour constater les infractions de corruption, rassembler des preuves, investiguer, faire des recherches dans tout service public, inspecter les comptes en banque ou autres institutions financières de tout suspect et/ou leurs alliés ou prête-noms ».
Article 22.
L’ULCC a compétence pour connaître des faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées commis au niveau de l’Administration publique ou des services et entreprises publics dès l’entrée en vigueur du présent décret et l’installation dudit organisme ».
De la pertinence d’une synergie opérationnelle entre l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) dans la lutte contre la corruption et l’impunité
Avant d’analyser de quelle manière l’action de l’ULCC est impactée par les rapports de force au plus haut sommet de l’État dans la conjoncture politique actuelle, il est utile d’examiner, à titre d’hypothèse, la pertinence d’une éventuelle synergie opérationnelle entre l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA). Cette potentielle synergie semble à priori être fondée en raison de la mission centrale de lutte contre la corruption que se partagent l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
Le site officiel de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif expose sa mission, ses attributions et son mode de fonctionnement. Il précise que « La CSCCA est une juridiction financière et administrative. Elle exerce également des attributions consultatives. En tant que juridiction financière, à l´exception des ministres et du premier ministre sur qui elle n´a pas juridiction, la CSC/CA est chargée de juger les comptes des ordonnateurs et comptables de l´État et des Collectivités territoriales (art. 200). À ce titre, elle déclare quittes ou en débet leurs comptes suivant que leur gestion est conforme ou non aux normes et principes qui gouvernent les finances publiques. Le champ de compétence de la Cour s´étend aux organismes de droit privé bénéficiant de subventions de l´État. (…) En matière de contentieux administratif, la CSCCA statue sur les litiges opposant « l´État et les Collectivités territoriales, l´Administration et les fonctionnaires publics, les services publics et les administrés (art. 200-1) ». Il faut prendre toute la mesure que « Dans l´exercice de sa fonction consultative, la CSCCA est obligatoirement « consultéesur toutes les questions relatives à la législation sur les finances publiques ainsi que sur tous les projets de contrats, accords et conventions à caractère financier ou commercial […] (art.200-4) » (source : site officiel de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, section « Missions de la CSCCA au regard de la Constitution de 1987 »). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] La Cour supérieure des comptes a été créée par le Décret du 23 septembre 1957 durant l’administration militaire présidée par le général Antonio Th. Kébreau. Elle est plus tard devenue, par le Décret du 4 novembre 1983, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA). Depuis l´adoption de la Constitution du 29 mars 1987, la CSCCA figure parmi les cinq institutions indépendantes du pays.
À la lecture des prérogatives statutaires de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif –voir la section « Missions de la CSCCA au regard de la Constitution de 1987 » du site officiel de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif–, le lecteur attentif aura noté la flagrante contradiction existant entre les articles 200 et 200-4 : l’article 200 exclut en effet de son champ d’application le Premier ministre et les ministres. Les attributions statutaires de la CSCCA, « En tant que juridiction financière », autorisent ainsi légalement l’invisibilisation de la corruption dans l’Administration publique haïtienne par l’exclusion du Premier ministre et des ministres du champ d’application des prérogatives statutaires de la CSCCA. Toutefois, une lecture plus restrictive de la loi permettrait à l’ULCC de prendre appui sur les articles 200-1 et 200-4 afin d’instituer une inédite et efficace synergie opérationnelle entre l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) dans la lutte contre l’impunité. L’article 200-4, il faut encore le souligner, consigne une obligation légale : « Dans l´exercice de sa fonction consultative, la CSCCA est obligatoirement « consultéesur toutes les questions relatives à la législation sur les finances publiques ainsi que sur tous les projets de contrats, accords et conventions à caractère financier ou commercial ». Une inédite et efficace synergie opérationnelle entre l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif dans la lutte contre l’impunité sera conforme au « Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) » daté du8 septembre 2004, en particulier à sa mission consistant à « (…) à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes les formes au sein de l’administration publique (…) [et d’]Assurer l’efficacité des mesures et actions afin de prévenir, dépister, sanctionner et éliminer les actes de corruption et infractions assimilées » (article 2). Il est d’ailleurs attesté que la mission centrale de l’ULCC est en conformité avec la Convention des Nations Unies contre la corruption ratifiée par Haïti en décembre 2004.
L’un des objectifs majeurs d’une synergie opérationnelle entre l’ULCC et la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif serait de faire maillage de leurs compétences complémentaires dans le but de déconstruire les mécanismes institutionnels de l’impunité, d’endiguer et de vaincre l’irruption des pouvoirs politiques convaincus de pouvoir mettre en échec la lutte légale contre la corruption. À ce chapitre, il y a lieu de rappeler l’offensive menée par l’ex-président Jovenel Moïse pour se soustraire des accusations de détournement des fonds publics qui l’ont visé : à ce sujet, nous citons longuement des sources documentaires pertinentes afin d’exposer les mécanismes de la corruption systémique qui sont au cœur de la gouvernance conduite par les autoproclamés « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste. Ainsi, « Le président haïtien Jovenel Moïse est accusé d’être au cœur d’un « stratagème de détournement de fonds » par la Cour supérieure des comptes qui a rendu vendredi un rapport de plus de 600 pages sur la mauvaise gestion de l’aide reçue du Venezuela. (…) Avant son arrivée au pouvoir en 2017, Jovenel Moïse était à la tête de l’entreprise Agritrans, laquelle a reçu plus de 33 millions de gourdes (plus de 946 000 $ CA, au taux de l’époque) pour [un] projet routier, alors que son activité consistait en de la production bananière. (…) Pour ce chantier, l’entreprise de l’actuel président avait par ailleurs reçu une avance de fonds près de deux mois avant la signature du contrat, ce qui fait aujourd’hui dire aux magistrats « qu’il y a eu collusion, favoritisme et détournement de fonds » (« Le président haïtien accusé de détournement de fonds », Radio-Canada, 31 mai 2019). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Cet obscur épisode de la saga judiciaire de Jovenel Moïse est donc particulièrement symptomatique et révélateur de la corruption et de l’impunité amplement installées au sommet de l’État haïtien par les autoproclamés « bandits légaux » du PHTK. Voici en quels termes le journal Le Nouvelliste du 26 janvier 2017 en fait état : « En se présentant devant le juge d’instruction mercredi, le président élu Jovenel Moïse est devenu un inculpé. C’est en tout cas la thèse soutenue par l’ancien commissaire du gouvernement Claudy Gassant, arguant qu’en tant que tel l’ancien P.D.G d’Agritrans n’est plus libre de ses mouvements. Si Camille Leblanc, avocat de Jovenel Moïse, admet que son client est inculpé, il rejette cependant l’idée qu’il n’est pas libre de ses mouvements. « Jovenel Moïse est passé du stade d’impliqué dans une affaire à celui d’inculpé formel par un juge », clame l’ancien juge d’instruction Claudy Gassant. Il explique que le président élu est « entre guillemets sous contrôle judiciaire et ne peut à ce titre disposer de ses mouvements sans avertir le juge ». Jovenel Moïse doit rester à la disposition de la justice, poursuit Claudy Gassant, soulignant que, pour se déplacer, celui qui se dit être un phénomène doit avoir « l’autorisation du juge ». Il ne peut pas quitter le pays comme bon lui semble, dit-il. Après avoir répondu aux questions du juge Breddy Fabien, Jovenel Moïse a expliqué mercredi lors d’un point de presse qu’il a « fait une déclaration définitive » dans le cadre de ce dossier ». Il faut toutefois noter que Me Camille Leblanc, l’avocat de Jovenel Moïse, a contredit l’avis de Claudy Gassant en ces termes : « Aussitôt que le commissaire du gouvernement envoie un dossier au juge d’instruction, il inculpe la personne concernée. Il n’y a là rien de nouveau », consent Camille Leblanc, soulignant par contre que l’inculpation n’enlève pas la présomption d’innocence. « Il revient au commissaire du gouvernement et au juge de trouver les indices qui confirment l’inculpation de la personne. La présomption d’innocence demeure », affirme-t-il » (« Jovenel Moïse inculpé mais libre de ses mouvements », Le Nouvelliste, 26 janvier 2017).
Le démantèlement des institutions de l’État étant l’une des marques de fabrique du PHTK néo-duvaliériste, l’on a bien noté que le Président-inculpé Jovenel Moïse avait entrepris de rendre inopérante la Cour supérieure des comptes comme en fait foi un article du Nouvelliste daté du 9 novembre 2020, « Jovenel Moïse publie un décret qui enlève à la Cour supérieure des comptes une bonne partie de son pouvoir de contrôle ». La forfaiture de Jovenel Moïse est résumée en ces termes dans cet article : « Désormais, même si la Cour supérieure des comptes émet un avis défavorable sur la signature d’un contrat, le gouvernement peut l’ignorer et avancer. Dans ce décret publié le vendredi 6 novembre 2020 dans le journal officiel Le Moniteur par le pouvoir, l’avis de la Cour des comptes « ne lie ni la Commission nationale des marchés publics, ni les autorités du pouvoir exécutif, ni les ordonnateurs. » En outre, la CSCCA dispose entre 3 et 5 jours pour donner son avis… » (…) Et l’article de poursuivre ainsi : « En toute matière, l’avis de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif est consultatif : s’il est obligatoirement requis, il ne lie ni la Commission nationale des marchés publics, ni les autorités du Pouvoir exécutif, ni les ordonnateurs, et ne saurait paralyser ou empêcher la conclusion des contrats, accords et conventions mentionnés au premier alinéa », précise l’article 1er du décret » (« Jovenel Moïse publie un décret qui enlève à la Cour supérieure des comptes une bonne partie de son pouvoir de contrôle », Le Nouvelliste, 9 novembre 2020). [Le souligné en italiques et gras est de RBO] Le Décret du 6 novembre 2020 constitue certainement l’une des plus graves atteintes aux fondements juridiques et constitutionnels de la gouvernance de la République d’Haïti en ce qu’il prétend « invalider » les prescrits de la Constitution de 1987, notamment son « Préambule » qui consigne le principe juridique de la séparation des pouvoirs dans ces termes : « Pour assurer la séparation, et la répartition harmonieuse des pouvoirs de l’État au service des intérêts fondamentaux et prioritaires de la Nation ». Le Décret du 6 novembre 2020 prétend également « invalider » l’article 59 de la Constitution de 1987 qui dispose que « Les citoyens délèguent l’exercice de la souveraineté nationale à trois pouvoirs : (a) le pouvoir législatif ; (b) le pouvoir exécutif ; (c) le pouvoir judiciaire ». Il faut toutefois prendre toute la mesure qu’en raison du principe de la hiérarchie des lois, un décret ne peut ni abolir les prescrits d’une Constitution ni abolir une loi : en cela, le Décret du 6 novembre 2020 est à la fois illégal et inconstitutionnel. NOTE – « Le principe de la hiérarchie des lois désigne le principe politique selon lequel les fonctions des institutions publiques sont divisées entre le pouvoir législatif qui fait les lois, l’exécutif qui les met en oeuvre et les fait appliquer, et le pouvoir judiciaire qui les interprète et les fait respecter. Quel que soit le régime, il importe cependant que la branche judiciaire soit séparée des deux autres pouvoirs pour assurer un État de droit » (Perspective Monde, École de politique appliquée, Université de Sherbrooke). De manière liée, « Le principe de la séparation des pouvoirs a valeur constitutionnelle puisqu’il est consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Classiquement, la séparation des pouvoirs est conçue comme « la première condition d’un gouvernement libre » (Conseil constitutionnel, France). Par ailleurs, lors de l’installation de son cabinet ministériel le 12 juin 2024, Gary Conille a solennellement déclaré que « La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de [s]on gouvernement » et qu’il entend mettre en application « une tolérance zéro envers la corruption »… Dans l’hypothèse où le décret de forclusion de la Cour supérieure des comptes pris par Jovenel Moïse en 2020 aurait encore force de loi en 2024, aucun décret abolitionniste ou dérogatoire édicté par Gary Conille et consigné sur le site officiel de la Primature n’atteste l’abolition du Décret du 6 novembre 2020. À défaut d’invalider le Décret inconstitutionnel du 6 novembre 2020, « Le Premier ministre, Dr Garry Conille, [a assisté], à la Villa d’accueil, à une cérémonie de réflexion et de recueillement en mémoire de feu le président Jovenel Moïse, à l’occasion du 3ème anniversaire de son assassinat le 7 juillet 2021 » (site officiel de la Primature, n.d.).
En ce qui a trait à la forfaiture de Jovenel Moïse à l’encontre de la Cour supérieure des comptes, l’on a également noté l’intervention publique du regroupement d’organisations des droits humains « Ensemble contre la corruption » dans ce dossier consignée dans un article daté du 9 septembre 2020, « Le regroupement Ensemble contre la corruption dénonce de graves menaces de Jovenel Moïse contre la Cour supérieure des comptes ». En voici un extrait : « Les attaques du président de la République, Jovenel Moïse, contre la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) sont extrêmement graves, estime le regroupement d’organismes de défense des droits humains, dénommé Ensemble contre la corruption (ECC), dans une prise de position transmise à l’agence en ligne AlterPresse. « De telles menaces sont de nature à déstabiliser la Cscca, qui est consacrée comme institution par la Constitution du 29 mars 1987 », critiquent ces organisations de droits humains. Lors de la sixième édition de ce qu’il appelle « dialogue communautaire », organisé, le dimanche 6 septembre 2020, par le Palais national, Jovenel Moïse a fait part de son intention de modifier le décret du 23 novembre 2005, qui régit la Cour des comptes. Le président a aussi présenté la CSCCA comme une institution de blocage, qui empêcherait la réalisation de « ses projets » dans le pays ». À travers ces attaques, les membres de l’exécutif cherchent « à exercer leur pouvoir décisionnel sur cette institution indépendante, la placer sous la coupe réglée du pouvoir exécutif, et mettre, par ainsi, en péril le système poids et contrepoids, point fort et incontournable de la bonne gouvernance démocratique », met en garde ECC » (…). Pour sa part, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) assimile les récentes déclarations du président Jovenel Moïse sur l’institution à des menaces ouvertes contre les membres de son conseil, dans une note de clarification, publiée le mardi 8 septembre 2020 sur le site de la Cscca » (voir l’article « Le regroupement Ensemble contre la corruption dénonce de graves menaces de Jovenel Moïse contre la Cour supérieure des comptes », AlterPresse, 9 septembre 2020).
Le système financier frauduleux mis sur pied par l’homme-d’affaires/Président/inculpé Jovenel Moïse a fait l’objet d’un rigoureux rapport de 69 pages de l’UCREF. Daté du mois d’août 2016, ce rapport porte la signature de Me Sonel JEAN-FRANÇOIS, Directeur général de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF). Nous reproduisons les sections 6 et 7 de ce rapport afin de montrer l’ampleur des opérations de corruption et de blanchiment d’argent révélées par l’UCREF au terme d’une minutieuse enquête que deux institutions bancaires de la place ont systématiquement boycottée. Parmi les enseignements majeurs de ce rapport, l’on retiendra l’analyse rigoureuse de l’institution d’un dispositif financier frauduleux, d’un « stratagème de détournement de fonds » révélé par l’UCREF et cette analyse rejoint celle de la Cour supérieure des comptes. Ce dispositif de corruption et de blanchiment d’argent est en parfaite symbiose avec les mécanismes de la corruption systémique qui sont au cœur de la gouvernance conduite par les autoproclamés « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste. Nous y reviendrons après une brève identification de la mission de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF).
Très brève présentation de l’UCREF — L’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF) est un organisme public, créé par la loi du 21 février 2001, relative au blanchiment des avoirs provenant du trafic illicite de la drogue et d’autres infractions graves. L’UCREF est un organisme à compétence nationale détenant l’autonomie administrative et financière. Selon la loi organique du 25 mai 2017, l’UCREF est dirigée par un Directeur général, nommé par Arrêté présidentiel, pris en Conseil des ministres, sur recommandation du ministre de la Justice et de la sécurité publique. Le Directeur général est nommé pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. (…) Il est le représentant légal et le porte-parole de l’Unité et sert d’interface avec la communauté financière d’Haïti et les instances internationales de coopération ». La création de l’UCREF « a également pour but de conférer les pouvoirs nécessaires aux organismes d’application de la loi, afin de leur permettre de dépister et de saisir les biens provenant d’activités illicites, en plus de restreindre leur apparition ». (…) L’UCREF en recevant des informations utiles, diligente des enquêtes en procédant à un examen minutieux et dès qu’apparaissent des indices sérieux de nature à constituer l’infraction de blanchiment, elle transmet un rapport sur les faits, accompagné de son avis à l’autorité judiciaire compétente pour les suites de droit. La loi régissant le fonctionnement de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF) la place sous le contrôle d’un Conseil d’administration et sous la tutelle du ministère de la Justice et de la sécurité publique » (source : site officiel de l’Unité centrale de renseignements financiers (UCREF).
Rapport d’enquête financière réalisée par l’UCREF sur les avoirs de Jovenel Moïse pour la période allant du 5 mars 2007 au 31 mai 2013
Le « Rapport d’enquête financière réalisée par l’UCREF », daté du mois d’août 2016, est une pièce maîtresse dans le scabreux et volumineux dossier de corruption et de blanchiment d’argent de l’homme-d’affaires/Président/inculpé Jovenel Moïse. La lecture des sections 6 et 7 est particulièrement édifiante, notamment en ce qu’elles révèlent au sujet de l’ampleur du « système Jovenel Moïse » et en ce qu’elles mentionnent en finale de propos : « En attendant la réception d’autres documents, ce rapport partiel est transmis aux autorités compétentes pour les suites utiles, et ce, conformément à l’article 35 de la Loi du 11 novembre 2013 relative au blanchiment et au financement du terrorisme ». De quel « terrorisme » s’agit-il ? L’UCREF cible-t-elle implicitement le « terrorisme intérieur », celui des gangs armés plus au moins liés au PHTK, aux autres partis politiques et au secteur mafieux de la bourgeoisie compradore ? Les sections 6 et 7 du « Rapport d’enquête financière réalisée par l’UCREF » se lisent comme suit :
« 6. LIMITATION
« Ce travail d’investigations n’a pas été [réalisé] sans difficulté, car certaines réponses aux correspondances de l’UCREF, adressées aux institutions financières, demeurent encore sans suite. C’est le cas de la UNIBANK et de la SOGEBANK. Le sieur Jovenel MOISE détient trois comptes bancaires qui n’ont pas été analysés. lI s’agit du compte courant en gourdes # 0560-120-269 domicilié à la BPH, dont le relevé est incomplet, du compte d’épargne en dollars américains #900-102-279-5 détenu à la BUH, dont le relevé d’une page ne renferme aucune transaction, et du compte courant # 250-00179 détenu à la BPH, qui avait seulement le formulaire d’ouverture du compte ».
« 7. CONCLUSION
« L’enquête financière réalisée sur les avoirs et les activités financières de Monsieur Jovenel MOÏSE identifié au NIF 001-329-431-4 se déroule autour de la période allant du 5 mars 2007 au 31 mai 2013. Le sieur Jovenel MOISE est le Président des entreprises dénommées « Jomar Auto Parts » identifiée au numéro 000-959-120-6, de « AGRITRANS SA » identifiée au numéro 000-637-321-3 et créée le 2 avril 2010, et de « COMPHENER SA » identifiée au numéro 000-528-495-7 et créée el 29 octobre 2008. Au préalable, il avait dans son patrimoine 16 véhicules : 12 usagés et 4 neufs. Au cours de la période couverte par l’investigation (de juin 2007 à 2013), l’investigué a acquis, 29 autres véhicules dont 28 neufs et un usagé. Parmi ces acquisitions, 16 matériels roulants dont 15 neufs ont été achetés en 2009. Et parmi les véhicules neufs, 11 ont été enregistrés un seul et même jour, soit le 22 juillet 2009. En outre, certains montants de dépôts retracés sur ses comptes paraissent évocateurs. Par exemple, le 21 janvier 2013, est créditée sur le compte commercial # 560120339 de la Banque populaire haïtienne (BPH) une somme de un million cinq cent soixante-dix mille gourdes (1 570 000 Gdes), et des dépôts journaliers s’élevant à cinq millions cinq cent cinquante-deux mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf dollars américains & 50/100 (5 552 999.50 USD) sont effectués sur le compte conjoint # 0340000272 de la Banque nationale de crédit (BNC) du 16 janvier 2012 au 29 avril 2013. Un nombre important de chèques est émis sur un compte ouvert au nom d’une entité commerciale à l’ordre notamment de 2 bénéficiaires spécifiques : Isones Etienne et Winsky Knagg. Ce sont des acquisitions et des chiffres non soutenus par des opérations salariales et/ou commerciales. Au regard de ce qui précède, il est possible que Monsieur Jovenel MOISE manipule des fonds qui n’ont rien à voir avec ses entreprises. En attendant la réception d’autres documents, ce rapport partiel est transmis aux autorités compétentes pour les suites utiles, et ce, conformément à l’article 35 de la Loi du 11 novembre 2013 relative au blanchiment et au financement du terrorisme ».
De quelle manière l’action de l’ULCC contre la corruption en général et en particulier dans le système éducatif national est-elle impactée par les rapports de force au plus haut sommet de l’État dans la conjoncture politique actuelle ? Qu’est-ce qui caractérise ces rapports de force, notamment sous l’angle du droit constitutionnel à l’éducation ?
Il est essentiel de préciser que la réflexion analytique sur la corruption dans le système éducatif national haïtien n’est en aucun cas une sorte d’OVNI évoluant en orbite loin du champ politique. En aucun cas elle n’est une dissertation bavardeuse caracolant sur la table de travail des enseignants, dans le regard atterré directeurs d’écoles et des parents d’élèves. L’éducation en Haïti concerne l’avenir même du pays, elle touche environ 4 millions d’élèves scolarisés dans l’École haïtienne. Selon Yves Roblin, spécialiste en planification de l’éducation, il y avait en 2019-2020 un total de 799 230 élèves en Préscolaire, 3 609 009 au Fondamental, et 878 421 au Secondaire, soit un total de 4 488 229 élèves en cours de scolarisation dans les écoles en Haïti (source : OmniScient, « Évolution des statistiques scolaires de 2010 à 2019 en Haïti », 18 novembre 2020). Yves Roblin estime qu’il y avait en 2019-2020 un total de 23 34 écoles en Haïti tandis que le ministère de l’Éducation nationale, dans un document daté de 2023, estime à 92 351 le nombre d’enseignants oeuvrant dans les écoles haïtiennes (source : « Déclaration écoles, élèves et enseignants », MENFP-USI, 2023).
La Constitution haïtienne de 1987 définit l’éducation au titre d’un droit citoyen compris dans le grand ensemble des droits constitutionnels. Elle dispose en effet, en son article 32, que « L’État garantit le droit à l’éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population ». L’article 32.1 précise que « L’éducation est une charge de l’État et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l’école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des Enseignements des secteurs public et privé ». Quant à lui l’article
32.2 dispose que « La première charge de l’État et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre le développement du pays. L’État encourage et facilite l’initiative privée en ce domaine ».
L’on observe que le système éducatif national est lourdement impacté par les rapports de force au plus haut sommet de l’État et, dans la conjoncture politique actuelle, par la situation insécuritaire que connnaît le pays depuis un certain temps. Ainsi, Le nombre d’enfants déplacés par la violence des gangs en Haïti a augmenté de 60 % depuis mars, soit l’équivalent d’un « enfant par minute », a averti l’UNICEF lundi, estimant à 300 000 le nombre d’enfants concernés. Les enfants déplacés représentent plus de la moitié des 600 000 personnes qui ont été forcées de fuir leur résidence habituelle en raison de la violence endémique qui sévit dans le pays, en particulier dans la capitale Port-au-Prince, selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance » (journal La Presse, Montréal, 1er juillet 2024).
Dans le contexte où le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, ces onze dernières années, a lourdement démantibulé les institutions républicaines du pays et amplement contribué tant à la « somalisation » accélérée d’Haïti qu’à la gangstérisation/criminalisation du pouvoir exécutif, « L’UNICEF et l’UNESCO réitèrent leur appel au respect du droit des enfants à l’éducation en Haïti face à la montée de l’insécurité et de l’instabilité socio-politique ». Dans cette déclaration commune datée du 2 février 2024, l’UNICEF et l’UNESCO exposent que « Préoccupés par les conséquences de la violence armée et de l’instabilité socio-politique persistantes sur le fonctionnement des écoles, et la psychose nourrie sur les risques d’escalade et d’aggravation dans les prochains jours, l’UNICEF et l’UNESCO unissent leurs voix pour attirer l’attention sur les conséquences dévastatrices de l’interruption fréquente et/ou de la fermeture de nombreuses écoles dans le pays, privant des milliers d’enfants de leur droit à l’éducation. Au cours des derniers mois, certaines écoles, notamment dans le département de l’Artibonite et dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, ont fermé par crainte d’être prises au piège par la violence des groupes armés. De nombreuses fermetures temporaires d’établissements ont également été constatées en raison des mouvements associés à certaines manifestations et protestations à caractère politique et/ou syndicale dans divers départements, notamment dans la Grand ’Anse et le Nord-Est ».
Le non-respect du droit à l’éducation des élèves préoccupe également au plus haut point les Nations Unies : « Au cours des quatre premiers mois de l’année scolaire (d’octobre à février), 72 écoles auraient été prises pour cible, contre huit au cours de la même période l’année dernière. Le bilan comprend au moins 13 écoles prises pour cible par des groupes armés, une école incendiée, un élève tué et au moins deux membres du personnel enlevés, selon les rapports des partenaires du Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Au cours des six premiers jours du mois de février, 30 écoles ont été fermées en raison de la montée de la violence dans les zones urbaines, tandis que plus d’une école sur quatre est restée fermée depuis octobre 2022 » (ONU Info, 9 février 2023).
C’est encore l’UNICEF qui alerte sur l’extrême dégradation de la situation sécuritaire de l’École haïtienne : « En 10 jours, 10 enfants ont été tués, dont 6 en une seule journée, indique le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) dans un communiqué en date du 5 mai 2022. Près de 1,700 écoles sont actuellement fermées dans la zone métropolitaine. L’Unicef a reçu des informations crédibles, selon lesquelles des enfants, qui risquent d’abandonner l’école, seraient recrutés par des gangs et payés à la semaine. En Haïti, 500 000 enfants ont perdu l’accès à l’éducation en raison de la violence liée aux gangs. Près de 1 700 écoles sont actuellement fermées dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, alors que des affrontements entre gangs rivaux ont éclaté depuis fin avril (2022). (…) Sur l’ensemble de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, 772 écoles sont fermées à Croix-des-Bouquets, 446 écoles à Tabarre, 274 à Cité Soleil, et 200 autres à Martissant, Fontamara, Centre-Ville et Bas-Delmas, selon le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle » (…) Les gangs ont gardé la main mise sur les écoles, où les directeurs ont dû payer les chefs de gangs pour assurer la sécurité de l’école. Les directeurs n’ayant pas les moyens de continuer à payer, ils ont été obligés de fermer les portes des écoles. En outre, de nombreuses écoles sont également occupées par des familles déplacées » (voir sur le site AlterPresse le communiqué de l’UNICEF daté du 6 mai 2022, « En Haïti, l’avenir des enfants est menacé par les gangs »).
Dans le contexte politique actuel où un nouvel Exécutif –bricolé récemment par le Département d’État américain et sous-traité au forceps par la confrérie régionale comateuse connue sous le nom de CARICOM–, a été parachuté au pouvoir en Haïti, la situation politique du pays affiche de nos jours des caractéristiques similaires à celles observées à l’époque de l’assassinat de Jovenel Moïse, l’homme à tout faire du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Ces caractéristiques sont exposées notamment dans une dépêche de l’Agence France-Presse reprise le 24 octobre 2023 par Radio-Canada, « Danger et crimes à des niveaux record en Haïti, alerte l’ONU ». Ainsi, « Selon le rapport sur Haïti du secrétaire général de l’ONU, publié lundi, les infractions majeures, y compris les homicides volontaires et les enlèvements, ont connu une augmentation sans précédent, principalement dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Entre le 1er juillet et le 30 septembre [2023], la police nationale a signalé 1239 homicides, contre 577 au cours de la même période en 2022. Et de juillet à septembre, 701 personnes, dont 221 femmes, 8 filles et 18 garçons, ont été enlevées, soit 244 % de plus qu’en 2022 à la même période. (…) Selon un autre rapport des experts de l’ONU chargés de surveiller le régime de sanctions visant pour l’instant à un seul chef de gang, ces groupes armés contrôlent 80 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, et les 20 % restants ne sont pas non plus à l’abri de leurs incursions. Ils contrôlent aussi les routes menant à la capitale. On estime à 2 millions, dont 1,6 million de femmes et d’enfants, le nombre de personnes vivant sous leur contrôle, a souligné la patronne de l’UNICEF Catherine Russell, insistant sur les violences terrifiantes des gangs, y compris les violences sexuelles contre les femmes et les filles ».
L’arrivée d’un nouvel Exécutif –bricolé récemment par le Département d’État américain et sous-traité au forceps par la confrérie régionale comateuse connue sous le nom de CARICOM–, expose à nouveau la brûlante actualité de la corruption et de l’impunité en Haïti –et ceci a un rapport direct avec la mission et le mandat de l’ULCC et de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
L’on observe en effet qu’à tous les étages du nouvel Exécutif, nous sommes en présence d’actes aussi illégaux qu’inconstitutionnels, dans un contexte où le pouvoir exécutif lui-même, issu d’un CPT (Conseil présidentiel de transition) inconstitutionnel, est lui aussi illégal et inconstitutionnel. Garry Conille a été nommé Premier ministre d’Haïti le 28 mai 2024 par le coordonnateur du Conseil présidentiel de transition Edgard Leblanc Fils, et le gouvernement qu’il dirige a été installé le 12 juin 2024. À l’aune de la lutte contre la corruption dans le système éducatif national haïtien, qu’est-ce qui caractérise l’Exécutif dirigé par Gary Conille ?
Dans une dépêche datée du 22 juin 2024 et intitulée « De la retraite gouvernementale : Garry Conille fixe les règles du jeu », le site Gazettehaiti expose que « Le Premier ministre Garry Conille a clôturé ce samedi 22 juin 2024 la retraite gouvernementale, deux journées qui lui ont permis de fixer les règles du jeu pour son gouvernement. Dans son discours de clôture, Conille s’est félicité des résultats obtenus ». (…) Le site Gazettehaiti révèle que « Le premier ministre a demandé la suspension des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères et a insisté pour que ceux-ci travaillent en étroite collaboration avec le ministère de l’Économie et des finances ». Le site Gazettehaiti ne précise toutefois pas si, en formulant cette « demande », le Premier ministre Gary Conille aurait (1) ordonné, par l’émission d’un décret d’application immédiate, « la suspension immédiate des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères » —source de corruption et de détournements massifs des ressources financières de l’État, et (2) si le Premier ministre aurait « oublié » que « La présidence du conseil [d’administration du Fonds national de l’éducation] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) : ces deux ministres sont pourtant comptables et imputables des deniers publics aux termes de la Loi du août 2017 portant création du Fonds national de l’éducation. Mais il est peu vraisemblable que cette donnée majeure de la gestion administrative et financière de l’État –consignée dans la Loi du août 2017 portant création du Fonds national de l’éducation–, ait échappé à Gary Conille puisqu’il est familier des arcanes de la gouvernance aux sommets olympiens de la haute administration d’organisations internationales… Une question demeure toutefois ouverte à laquelle devront répondre les juristes haïtiens, les constitutionnalistes et la Fédération des Barreaux haïtiens : un Premier ministre par intérim dispose-t-il de provisions légales l’autorisant à émettre un décret d’application immédiate ordonnant « la suspension immédiate des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères » ? En clair, Gary Conille a-t-il le droit sinon le pouvoir, selon les Lois haïtiennes, d’ordonner à la CONATEL et à la Banque de la République d’Haïti de suspendre tout transfert de fonds en direction du Fonds national de l’éducation et du PSUGO et de placer les sommes visées dans un compte « gelé », en fidéicommis, en attendant un rapport d’audit comptable exhaustif de la gestion financière du Fonds national de l’éducation et du PSUGO ? En toute rigueur et de manière plus essentielle, l’on doit prendre toute la mesure que Gary Conille n’a pas émis un quelconque décret d’application immédiate ordonnant à la Banque de la République d’Haïti –qui dispose de toutes les statistiques spécifiques relatives à toutes les recettes de l’État–, de révéler (1) le montant total des sommes collectées pour le Fonds national de l’éducation entre 2017 et 2024, et (2) de révéler le montant total des dépenses effectuées à partir de ces fonds entre 2017 et 2024. Au moment où nous écrivons cet article, l’on ne sait toujours pas le montant total des sommes collectées pour le Fonds national de l’éducation entre 2017 et 2024 ni par qui ces sommes ont été dépensées et/ou détournées… Et de manière liée, Gary Conille, depuis son arrivée à la Primature, n’a pas non plus émis un quelconque décret d’application immédiate ordonnant de geler les dépenses non fiscalisées de toutes les sociétés d’État qui engrangent habituellement de très fortes recettes fiscalisées –entre autres l’Autorité portuaire nationale (APN), l’Électricité d’Haïti (ED’H), la TÉLÉCO/NATCOM, l’Administration générale des douanes, etc. L’on a déjà noté que la dictature de François Duvalier avait « légalement » institué dans les années 1960 un modèle de corruption et de pillage des recettes de l’État à travers la Régie du tabac et des allumettes, structure kleptocratique non inscrite au Budget de l’État comme c’est d’ailleurs aujourd’hui le cas avec le Fonds national de l’éducation… Gary Conille, champion autoproclamé de la transparence et de la lutte contre la corruption aujourd’hui en Haïti, a certainement dans son « ADN politique » le kleptocratique « modèle » duvaliérien de la Régie du tabac et des allumettes. Sur ce registre, l’on observe que le différend entre Gary Conille et Michel Martelly, qui a provoqué en 2012 le départ du Premier ministre Gary Conille du gouvernement du PHTK, n’avait pas grand-chose à voir en réalité avec le fond de l’affaire, la corruption : l’enjeu était plutôt d’institutionnaliser une « parade » destinée à accréditer auprès de l’International l’idée qu’Haïti, durant l’administration Tèt kale / PHTK, était résolument engagée dans la lutte contre la corruption… Gary Conille s’est volontiers prêté à ce jeu de dupes, donnant ainsi à voir en quoi consistait en 2012 sa vision de la transparence au plus haut sommet de l’État. Aujourd’hui, au chapitre de la transparence, le Premier ministre Gary Conille ne pourra certainement pas fermer les yeux indéfiniment sur la corruption et le blanchiment d’argent au Fonds national de l’éducation et au PSUGO. Il ne pourra pas non plus ignorer indéfiniment les rapports accablants de l’ULCC et l’UCREF sur la gestion financière du Fonds national de l’éducation dont le président du Conseil d’administration était Nesmy Manigat. De surcroît, Gary Conille, face à la société civile haïtienne, ne pourra en aucun cas jouer la carte de de la transparence tout en posant des actes illégaux et inconstitutionnels tel celui de la nomination de son Directeur de cabinet avec rang de ministre, Nesmy Manigat qui, pour les deux périodes de sa gestion du ministère de l’Éducation n’a obtenu aucune « décharge » conformément aux articles 200.4, 229, 233, 234 et 236 de la Constitution de 1987 (voir notre article « L’aménagement du créole dans l’École haïtienne durant le mandat de Nesmy Manigat à l’Éducation nationale : radiographie d’un bavardeux naufrage », Rezonòdwès, 10 juillet 2024).
Plusieurs analystes de la situation politique actuelle d’Haïti soutiennent que Gary Conille, « coincé » entre l’agenda de l’International et l’arrivée en force du PHTK au sein du nouvel Exécutif, se serait vu imposer un « Premier ministre bis » en la personne de Nesmy Manigat nommé Directeur de cabinet du Premier ministre avec rang de ministre. Un tel « choix contraint » serait également le résultat des fortes magouilles du caïd Michel Martelly destinées à obtenir du nouvel Exécutif l’immunité pour les chefs de gangs liés au PHTK néo-duvaliériste. Ce « choix contraint » a partie liée avec « consanguinité politique naturelle » entre les précédentes administrations « Tèt kale » et celle qui a été inaugurée avec l’installation de Gary Conille comme Premier ministre d’une transition sous contrôle de l’International. Sur le registre de la « consanguinité politique naturelle », il s’agit de bien comprendre que l’un des plus prolixes propagandistes du duvaliérisme ces quarante dernières années, le tonton-macoute Rony Gilot, a été Directeur de cabinet de… Gary Conille auquel il a dédié l’un de ses livres flagorneurs dont le titre est « Garry Conille, ou le passage d’un météore » publié en 2012 aux Éditions des Antilles S.A. Il y a lieu de rappeler que Garry Conille a été nommé Premier ministre d’Haïti une première fois en octobre 2011 durant la présidence de Michel Martelly. Mais son passage à la tête du gouvernement néo-duvaliériste Tèt kale n’a duré que six mois. Rony Gilot, duvaliériste et tonton-macoute multitâches et à géométrie variable, a été élu à trois reprises, entre 1973 et 1986, député inamovible de la circonscription Thiotte–Grand-Gosier et Anse-à-Pitre. Également ancien ministre de la Coordination et de l’information entre 1978 et 1979 durant la présidence du nazillon Jean-Claude Duvalier, il fut Directeur de cabinet des présidents de la Chambre des députés pour la période allant de 2006 à 2011. Il a aussi servi comme membre du cabinet du président du Sénat (2012-2014), secrétaire général adjoint de la Présidence pendant un an en 2016.
Tel que nous l’avons précédemment mentionné, en procédant à l’installation de son cabinet ministériel le 12 juin 2024, Gary Conille a solennellement déclaré que « La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de [s]on gouvernement » et qu’il entend mettre en application « une tolérance zéro envers la corruption ». Cet engagement solennel du Premier ministre n’a été suivi jusqu’ici d’aucune annonce, d’aucune mesure légale et/ou politico-administrative de mise en application et de vérification d’un tel engagement –et le site officiel de la Primature,siège du gouvernement haïtien,ne consigne l’émission d’aucun décret, d’aucune demande formelle auprès de l’ULCC et de la Cour supérieure des comptes afin de faire maillage des prérogatives légales de lutte contre la corruption dans l’Administration publique et singulièrement dans le système éducatif national.
Au contraire : la nomination d’un « Premier ministre bis » en la personne de Nesmy Manigat au poste hautement stratégique de Directeur de cabinet du Premier ministre avec rang de ministre –alors même qu’il n’a obtenu aucune « décharge » de ses responsabilités ministérielles passées–, est incontestablement une clause de continuité politique donnant-donnant entre différentes factions néo-duvaliéristes encore actives à l’échelle du pays tout entier. Sanglé dans ses neufs habits de vertueux et efficace fonctionnaire international, Gary Conille s’est attelé à rendre crédible une transition politique dont les modalités d’exécution ont été décidées par l’International à travers la pieuse et œcuménique médiation d’un impuissant et mutique cartel régional dénommé la CARICOM… Mais l’International, grand expert en stratégies transnationales, a placé aux côtés de Gary Conille, donc au sommet du nouvel Exécutif et avec l’assentiment du noyau dur du PHTK, son propre « expert » en gestion des affaires politiques de l’État : Nesmy Manigat, brillant et vertueux ex-fonctionnaire du Partenariat mondial pour l’éducation (voir l’article du 21 février 2016, « Nesmy Manigat nommé à la présidence du Comité de gouvernance du Partenariat mondial pour l’éducation » où il est relaté que l’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale a été « nommé à la Présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement au Partenariat mondial pour l’éducation » (source : site du Partenariat mondial pour l’éducation).
Alors même que le Premier ministre Gary Conille, dont la nomination est indiscutablement inconstitutionnelle et illégale, affiche sa détermination d’appliquer « une tolérance zéro envers la corruption », l’observation objective des faits atteste qu’il s’est déjà mis hors-la-loi en procédant à la nomination illégale et inconstitutionnelle de Nesmy Manigat à titre de Directeur de son cabinet avec le statut de ministre, en dehors de la moindre « décharge » et en l’absence de tout audit comptable de son administration à l’Éducation nationale. Et la société civile haïtienne a bien enregistré que la nomination de Nesmy Manigat consacre l’arrivée en force du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au plus haut niveau de l’actuel Exécutif, ce qui conforte la prévisible « consanguinité politique » entre les deux administrations, celle des caïds attitrés du PHTK (Claude Joseph, Joseph Jouthe, Jovenel Moïse, Ariel Henry) et celle conduite par Gary Conille.
L’un des volets les plus importants du « deal » politique conclu entre le noyau le plus dur du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et le vertueux Premier ministre Gary Conille est précisément d’assurer la continuité de l’omertà et de l’impunité quant à la gestion politique et financière des ministres du PHTK qui ont été ordonnateurs des finances de l’État haïtien. C’est en cela que la mission de l’Unité de lutte contre la corruption, dans le dossier de la corruption au Fonds national de l’éducation, sera sans doute soumise à des pressions politiques diverses et/ou à un barrage frontal destiné à annihiler son action. Le premier coup de semonce de ce barrage frontal est manifestement l’arrogante et menaçante « feuille de route » infligée au nouveau ministre de l’Éducation nationale, l’enseignant de carrière Augustin ANTOINE, dans le « tweet » publié par Nesmy Manigat sur « X » (anciennement « Twitter ») le 12 juin 2024, manière de lui rappeler qu’au plus haut sommet de l’État « apre nou se nou » et qu’il a encore les pleins pouvoirs sur l’Éducation nationale : « Mwen swete pwòf Antoine Augustin anpil siksè. Mèsi tout pèsonèl @MENFP_Education pou kolaborasyon nou. Rete anpil travay pou ankadre direktè ak pwofesè nou yo, men mwen p ap lage batay la antanke Prezidan Komite finans Patenarya mondyal edikasyon. Nan liv bilan m « 10 pi gwo konba m pou transfòme lekòl Ayiti », mwen pral eksplike nouvo kourikoulòm 2024 la kote kreyòl obligatwa, anglè ap komanse aprann pi bonè, edikasyon sivik nan egzamen ofisyèl apati 2024, LIV INIK pou paran pa oblije achte dizèn liv ki pa nesesè, manje lokal ki dwe baz nan kantin e latriye #LekòlPaKaTann »…
C’est le lieu de rappeler que les pratiques mafieuses dans l’Administration publique haïtienne en général et, singulièrement, dans le système éducatif national, s’inscrivent dans un cadre structurel plus large, celui de la corruption instituée en tant que système de gouvernance et mode opératoire : ce système fonctionne à travers une combinaison de relais légaux et de relais invisibles et intraçables qui en assurent la « productivité » et la rentabilité financière. Situés dans l’espace compris entre le Trésor public et le Fonds national de l’éducation, ces relais instrumentalisent la « cécité volontaire », de sorte que le montant total des sommes collectées (point de départ : les opérateurs téléphoniques et les opérateurs des transferts d’argent) est différent du montant total des sommes qui transitent par le Trésor public (point médian d’arrivée), et il est également différent du montant total des sommes déclarées par le Fonds national de l’éducation (point d’arrivée, le destinataire final). Cela permet au FNÉ de déclarer des sommes reçues dont le montant est très largement inférieur à celui des sommes collectées au départ par les opérateurs téléphoniques et les opérateurs des transferts d’argent. À chacun des maillons de cette « chaîne de camouflage », la « cécité volontaire » est mise à contribution et elle alimente la corruption qui fonctionne à plein régime et qui rapporte des sommes considérables aux différents maillons de la « chaîne de camouflage » dans le système éducatif national.
C’est également le lieu de rappeler que le « système dilapidateur » au Fonds national de l’éducation, enraciné dans son « dispositif de camouflage » et dans un environnement où prévaut l’impunité, est d’autant plus dommageable pour l’ensemble du système éducatif haïtien qu’il a franchi le cap de sa modélisation institutionnelle sous la houlette des « bandits légaux » du cartel politico-mafieux du PHTK néoduvaliériste. NOTE – Sur les « bandits légaux », voir l’article de haute facture analytique de Laënnec Hurbon, sociologue, directeur de recherche au CNRS (Paris) et professeur à la Faculté des sciences humaines de l’Université d’État d’Haïti, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti » (Médiapart, 28 juin 2020) ; voir aussi l’article « La philosophie du “bandit légal” en Haïti : de la verbalisation à la matérialisation », site Trip foumi, 10 avril 2022. Sur la problématique de l’impunité, voir le rigoureux « Mémoire portant sur la lutte contre l’impunité en Haïti » élaboré par le Collectif haïtien contre l’impunité et Avocats sans frontières Canada et présenté le 2 mars 2018 à la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Voir aussi les différents rapports et communiqués d’Amnesty international, entre autres « Haïti : un nouveau pas vers la fin de l’impunité » (6 juin 2001) et « Haïti n’oubliera pas les violations commises dans le passé » (26 avril 2013). Voir également l’ample et fort bien documentée étude « Massacres cautionnés par l’État : règne de l’impunité en Haïti » réalisée par la Harvard Law School International Human Rights Clinic et l’Observatoire haïtien des crimes contre l’humanité (avril 2021).