L’éditorial du mercredi 18 juillet de l’hebdomadaire Haiti-Observateur, expose en détail les contraintes auxquelles est confronté Garry Conille, le nouveau premier ministre haïtien, dans sa lutte contre la corruption endémique au sein de l’administration publique. Dès son entrée en fonction, il a annoncé une politique de tolérance zéro à l’égard de la corruption. Cependant, des rumeurs persistantes indiquent que certaines entreprises publiques continuent d’être exploitées par leurs dirigeants à des fins personnelles. Les allégations de corruption à haut niveau et les appels à des audits généralisés révèlent l’ampleur du problème. Conille doit maintenant trouver des moyens efficaces pour combattre ce fléau avec des ressources limitées, en espérant le soutien de la communauté internationale qui l’a placé à la Primature.
D’entrée de jeu, immédiatement après sa prise de fonction comme Premier ministre, Garry Conille a annoncé la couleur : tolérance zéro pour la corruption. Un crime longtemps omniprésent dans l’administration publique, on s’imaginait que les acteurs allaient comprendre la nécessité de « changer de métier », se mettant au pas par rapport au mot d’ordre lancé par le nouvel occupant de la primature.
Mais, il semble que certains hauts fonctionnaires actuels comprennent autrement le message de M. Conille relatif à la corruption. Puisque, d’ores et déjà, des rumeurs faisant le tour de la capitale font état de pratiques selon lesquelles les entreprises d’État et les directions générales sont transformées en vaches à lait par leurs dirigeants. Au risque de perdre le pari contre ce fléau, M. Conille n’a d’autre choix que d’avoir recours à des mesures drastiques, les grands maux exigeant les grands remèdes.
En effet, ces derniers jours, l’actualité à la capitale haïtienne est riche en dénonciations des institutions étatiques transformées en centres de tractations autour du maintien en postes de leurs dirigeants moyennant versements de fortes sommes d’argent. Cette pratique, qui remonte à plusieurs décennies, autorisait à croire en sa disparition à la faveur des dernières déclarations de Garry Conille. Il semble que des citoyens aient pris le Premier ministre intérimaire au mot, car voulant s’impliquer également dans la lutte contre la corruption. Aussi, par leurs prises de position publiques contre ce fléau, préconisent-ils une campagne tous azimuts contre elle.
Sans le dire de manière explicite, des voix s’élèvent pour demander au Premier ministre de ne pas limiter les audits ordonnés dans l’administration publique au ministère des Affaires étrangères, tel que celui demandé par le nouveau titulaire de ce département, Dominique Dupuy, mais de les étendre à toute l’administration publique. En ce sens, la mise en disponibilité de pas moins d’une trentaine de directeurs généraux a été proposée au Premier ministre intérimaire. Cette demande faite à ce dernier est accompagnée de menaces de mobilisation contre son gouvernement s’il néglige de répondre favorablement à leur demande.
Certes, des accusations sont portées contre les conseillers présidentiels Gérald Gilles et Emmanuel Vertilaire par l’activiste lavalassien Schiller Louidor révélant que des directeurs généraux versent de fortes sommes d’argent à ces fonctionnaires pour qu’ils les aident à garder leurs postes. Ces affirmations ont été faites au programme radiophonique « Booster » diffusé sur Radio Méga, au micro du journaliste Romanès, le samedi 9 juillet 2024. Ces mêmes allégations ont été répétées par le journaliste Thériel Thélus dans son émission « Ti-Koze ak TT » deux jours plus tard, en date du mardi 11 juillet 2024, précisant que les directeurs généraux se voient forcés d’effectuer des paiements importants à des conseillers-présidents afin de rester en fonction.
En sus de soutenir ces dénonciations, M. Thélus invite le Premier ministre à « révoquer » tous les directeurs généraux, dont certains occupaient leurs postes depuis plus d’une décennie. Une fois installés dans leurs fonctions et bénéficiant de l’impunité, les directeurs généraux prennent goût à faire fortune, protégés qu’ils sont par de hauts fonctionnaires de l’État gagnant gros pour les maintenir en place, car s’enrichissant, eux aussi, grâce aux juteuses ristournes qu’ils récoltent. Il est donc aisé de comprendre avec quelle facilité se construisent les millionnaires au sein de la fonction publique au cours des trente dernières années.
Mais il est curieux de constater que personne, au sein de l’administration Conille, n’a jugé nécessaire de réagir à ces accusations, plus de soixante-douze heures après qu’elles eurent été lancées. Faut-il croire que l’influence de la corruption et des corrupteurs, au pouvoir, en Haïti, étant si forte, les dénonciations portées ne les inquiètent pas : « Les chiens aboient, la caravane passe » ?
En tout cas, des lanceurs d’alerte ont attiré l’attention sur une vraie campagne contre la corruption dans les institutions étatiques suivantes, dont ils demandent la révocation des directeurs, définitivement ou temporairement, selon leur cas. Histoire de favoriser une enquête approfondie de leur gestion. Voici les organisations en question : Police nationale d’Haïti (PNH), OFATMA, Télévision nationale d’Haïti/ Radio nationale d’Haïti (TNH/RNH), SNGRS, DINEPA, Centre national des équipements (CNE), Office des assurances vieillesse (ONA), SEMANAH, BMPAD, AAN, FNE, FER, Centre d’assistance sociale (CAS, PNCS, ISPAN, Électricité d’Haïti (ED’H, CONATEL, SONAPI, IHSI, Office des assurances véhicules contre tiers (OAVCT), LEH, ONACA, Direction de l’immigration et de l’émigration (DIE), Direction générale des impôts (DGI), OFNAC, Administration générale des douanes (AGD), DIGNITÉ, FAES, ANAP, INFP, ONI, Observatoire national de l’environnement (ONEV), l’Institut national de la réforme agraire (INRA), le Bureau haïtien du droit d’auteur (BHDA), l’Office national de la migration (ONM), l’Office des postes (OPH).
La corruption et l’impunité, son corollaire, ont favorisé le détournement de centaines de millions de dollars dont la récupération permettrait de les investir dans des projets d’infrastructure, dont ces ressources étaient détournées. Conscients de cette réalité, les patriotes haïtiens souhaitent que soient trouvés les moyens de retourner ces fonds perdus au Trésor public. Voilà pourquoi ils accueillent favorablement tout leader qui s’avise de lancer la lutte contre ce crime. On peut donc imaginer les motifs des activistes haïtiens se faisant des alliés de M. Conille dans sa stratégie anti-corruption annoncée.
Toutefois, il faut souhaiter que le nouveau Premier ministre, arrivé seul au pouvoir, sans une équipe homogène, dans la mise en œuvre de son programme de gouvernement, invente une nouvelle stratégie pour s’attaquer à la corruption. Comme, par exemple, une approche qui tient compte des limites imposées par son mandat qui prend fin en 2026. En effet, les moyens dont dispose présentement Garry Conille pour s’attaquer à la corruption font de lui un David face à Goliath. Car, de toute évidence, la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif (CSC/CA), l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) et l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF) ne sont pas dotées de personnels suffisants pour mener les enquêtes nécessaires que doit lancer cette nouvelle administration.
En clair, donc, il n’est pas nécessaire que tous les directeurs généraux ou les dirigeants des entreprises d’État pratiquent la corruption. En ce sens, au nom de l’objectivité qui s’impose, le programme de mise en disponibilité suggéré par les activistes devrait concerner, pour l’instant, les fonctionnaires qui sont signalés par leur train de vie opulente, affichant une fortune qu’ils n’avaient pas avant d’accéder au pouvoir. Puisque, vu l’appauvrissement de l’État haïtien provoqué par les gouvernants s’offrant un train de vie de millionnaires, il ne reste plus de ressources pour doter les institutions étatiques d’un personnel adéquat. Cela signifie que Garry Conille ne pourra jamais se donner les moyens de financer sa campagne anti-corruption.
Avec les moyens du bord, le Premier ministre ne sera pas en mesure de vaincre la corruption dans l’espace de moins de deux ans, le temps de son mandat, à la primature. À moins que, à l’instar d’Ariel Henry, adressant à l’Organisation des Nations Unies, la demande d’une intervention militaire internationale pour démanteler les gangs armés, il sollicite un financement multinational de la lutte contre ce crime. Une stratégie qui serait la bienvenue, la communauté internationale critiquant régulièrement l’omniprésence de la corruption et l’impunité dans l’administration publique haïtienne.