15 octobre 2024
Editorial de Haïti-Observateur : Le déploiement de la MMAS lancé, le peuple haïtien ignore toujours ses attributions
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Editorial de Haïti-Observateur : Le déploiement de la MMAS lancé, le peuple haïtien ignore toujours ses attributions

Après de longs mois de retards, entrecoupés d’innombrables ajournements, la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité en Haïti (MMAS) est finalement lancée. Les quelque 200 policiers constituant ses premiers éléments ont atterri à l’aéroport Toussaint Louverture de Port-au-Prince, capitale d’Haïti, le mardi 25 juin. Mais l’opacité qui caractérise la mise en marche de ce système, tout au long de son cheminement, reste inchangée, le peuple haïtien étant tenu totalement dans l’ignorance des faits entourant cette mission, appuyée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais qui ne l’a pas, toutefois, couverte de sa légitimité. Quoiqu’ait décidé et fait l’ONU pour la rendre possible, elle reste une mission non-onusienne. Et le peuple haïtien ne sait rien des tournants et aboutissants de cette force multinationale déployée sur son territoire.

Tout d’abord, commençons par dénoncer le Premier ministre intérimaire, Garry Conille, de s’être fait partie prenante de cette stratégie cachotière de la communauté internationale, par rapport aux citoyens haïtiens. En ce sens, il ne se comporte pas différemment d’Ariel Henry, ayant affiché sa complaisance, voire son plein accord, avec cette politique. Dans ce cas, le Dr Conille donne raison à ses détracteurs, l’accusant d’être un « agent » de l’international dans cette fonction. Histoire de dire que ses actions et décisions, en tant que chef de gouvernement, s’inscrivent dans le contexte des intérêts politiques et diplomatiques de ses « patrons ». C’est bien dommage, car le choix de Garry Conille comme Premier ministre, par le Conseil présidentiel de transition (CPT), a été favorablement accueilli par de nombreux secteurs, tant en Haïti qu’en diaspora ! Même à Haïti-Observateur, son atterrissage à la primature a été salué, malgré une certaine réserve inspirée de prudence professionnelle.

Bientôt deux semaines depuis le déploiement de la Mission Multinationale en Haïti, aucune action n’a été menée jusqu’ici qui aurait permis, même de deviner la nature de sa mission. Là où ceux qui attendaient impatiemment son arrivée croyaient trouver une action d’éclat contre les bandits, les policiers du Kenya étaient remarqués, en patrouille avec leurs collègues haïtiens, dans les quartiers paisibles de la capitale. Ou encore aux abords de l’ambassade des États-Unis, à Tabarre, assurant la sécurité du personnel, qui se trouvait en discussion avec des diplomates américains. Cette présence des forces de sécurité du Kenya, dans le périmètre de la mission diplomatique des États-Unis a fait penser à plus d’un, à tort, qu’elles étaient appelées à protéger les installations diplomatiques de Washington en Haïti. Une idée qui s’expliquerait par le fait que l’administration Biden étant le principal bailleur de fonds de cette mission, une telle utilisation des policiers kenyans est tout à fait naturelle. Ce qui confirmerait la notion selon laquelle « Qui paie la facture, passe les ordres ».

Or, ni l’administration de Garry Conille, ni celle d’Ariel Henry avant lui, n’ont jugé qu’il était important d’informer la nation, quant à l’objectif des forces multinationales. Mais, entre le Dr Henry et les pays formant la communauté internationale, les violons étaient parfaitement accordés sur les attributions de la MMAS.

En effet, le Dr Conille s’est prononcé sans ambages à ce sujet, dans le cadre d’une interview accordée aux médias internationaux, alors qu’il se trouvait à Washington, lors de sa première visite officielle. Dans des déclarations faites à Radio France Internationale (RFI), on relève ceci : « Ce sont les forces de l’ordre haïtiennes, l’armée et la police qui vont se battre contre les gangs, non pas les soldats de la Mission Multinationale en appui à la sécurité. La mission de cette force, c’est évidemment d’accompagner la police nationale qui n’a jamais cessé de faire des opérations. » Par voie de conséquence, ces paroles du Premier ministre intérimaire invitent aussi à une certaine réserve : « La reprise de ces territoires, qui sont aujourd’hui occupés par les gangs, est toujours à la charge de la police et de l’armée d’Haïti. » (…) « C’est le Gouvernement qui va décider à quel moment, dans quel contexte et comment cet accompagnement sera nécessaire et aura une valeur ajoutée ».

Le Premier ministre Garry Conille a fait une autre déclaration, qui semble démontrer la surévaluation de ses pouvoirs décisionnels, par rapport au lancement des opérations des policiers kenyans dans les fiefs des criminels. S’adressant au Conseil de Sécurité, lors de cette dernière et première mission à l’étranger, voulant démontrer la volonté de son gouvernement de rétablir la sécurité, dans le pays, il a déclaré ceci : « Nous allons reprendre le contrôle du territoire haïtien, maison par maison, quartier par quartier, et ville par ville. »

En ce sens, M. Conille rejoint le conseiller présidentiel Frantz Voltaire, qui s’était exprimé antérieurement en ce sens, dans une interview à France 24. Autrement dit, Garry Conille suit textuellement la politique officielle d’Ariel Henry et du Conseil Présidentiel Intérimaire, après lui, en ce qui concerne la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité. Car les informations crédibles la concernant viennent exclusivement de Washington et de Nairobi. On en veut pour preuve la déclaration faite à Washington par le président kényan, William Ruto. Il avait, de son côté, lâché devant la presse internationale : les policiers déployés dans le cadre de la MMAS vont « détruire » les gangs armés. Dans cet ordre d’idées, il faut se garder de prendre pour argent comptant les déclarations faites par le Premier ministre Garry Conille sur le déploiement de cette force de sécurité internationale. Aussi faut-il éviter de donner dans le panneau, par rapport aux affirmations de ce dernier, en ce qui a trait à la MMAS. Donc, une certaine réserve est de mise, à l’égard de cette déclaration faite par M. Conille : « On attend davantage de policiers kényans dans les semaines à venir. Cela va arriver rapidement. Dans les semaines à venir, nous aurons un deuxième contingent de policiers ».

Questionné spécifiquement sur la date de l’arrivée du deuxième contingent de la MMAS, par Radio France Internationale, Garry Conille répond en ces termes : « C’est un processus qui est en cours. Je préfère ne pas parler de date exacte. Ce que je peux vous dire, c’est que les partenaires haïtiens sont très engagés. Et ils sont en train de prendre toutes les dispositions pour que cela se fasse le plus rapidement possible. » Dans ce cas, prudence oblige, le Premier ministre Conille sait qui, toujours, a le dernier mot.

Il faut retenir également que, dans le cadre de cette même interview à RFI, M. Conille a indiqué son intention de lancer les forces de l’ordre haïtiennes à l’assaut des bandits « sans » l’assistance des policiers kényans. Une décision prononcée sans l’approbation de Washington ou de Nairobi. Cette position exprimée par le chef de gouvernement haïtien contredit celle du président du Kenya ayant proclamé, lors de sa visite officielle à Washington, selon laquelle les policiers de son pays étaient prêts à « détruire » les criminels d’Haïti faisant la loi dans notre pays, et prenant le peuple en otage, en sus de tenir la Police nationale en respect. Le président William Ruto devait déclarer aussi, à cette occasion, que les malfrats n’ont pas de langue, pas de sensibilité, ni d’état d’âme, et que les forces policières kenyanes seront sans pitié pour eux.

À la suite de telles déclarations de la part du chef d’État kenyan, aucun démenti n’a été formulé, de la part de Washington, ni du côté des autorités haïtiennes. D’aucuns pensent même qu’il ne faudrait pas écarter la possibilité que ce dernier s’était entendu avec son hôte, le président Biden, avant de tenir ces propos, qui visaient à donner la réplique aux déclarations qu’avait faites le conseiller Frantz Voltaire à France 24.

Ayant permis aux criminels armés de s’emparer du monopole de la force, chasse gardée de tout État souverain, les autorités haïtiennes, en la personne d’Ariel Henry, ont fait appel à la communauté internationale pour qu’elle vienne remettre les pendules à l’heure. Cela veut dire que Garry Conille a accepté d’occuper cette fonction, comme son prédécesseur, sachant que les grandes décisions de l’État sont prises ailleurs. Dans ce cas, comment son gouvernement peut-il prétendre se prononcer sur la manière dont s’effectuent les modes d’engagement de la MMAS avec les gangs armés d’Haïti, et quand ? En clair, ceux qui ont pris les décisions relatives au déploiement de la Mission internationale de sécurité en Haïti sont aussi ceux qui déterminent comment et quand elles seront mobilisées sur le terrain !

Haïti-Observateur 10 – 17 juillet 2024

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