Le Panorama juridico-politique du Conseil Présidentiel de Transition : Entre Carte Blanche et Mise en Garde

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LE PANORAMA JURIDICO-POLITIQUE DU CONSEIL PRESIDENTIEL DE TRANSITION : ENTRE CARTE BLANCHE ET MISE EN GARDE

En période de crise politique, la multidimentionnalité des intérêts confrontée  à une polarisation des acteurs rend difficile l’adoption d’une solution consensuelle largement partagée. En Haïti, il y a une constance dans la prolifération des crises institutionnelles créées par le non-respect des échéances constitutionnelles. Il est souvent difficile d’organiser les élections dans les délais impartis par la Constitution et de conjuguer la volonté des acteurs politiques avec les besoins de la population haïtienne. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la recherche de solution pendant les périodes de crise.

Après l’assassinat de l’ancien Président de la République Jovenel Moise dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, le pays est plongé dans une crise politique institutionnelle sans précédent. Il a fallu aux acteurs politiques de procéder à la recherche d’une solution consensuelle pourvu que ce vide n’était pas prévu par les dispositions constitutionnelles et légales. Ainsi, les acteurs se sont réunis pour proposer des solutions sur la gouvernance. Parmi les plus répandus, on peut citer ; l’accord du 30 aout dit accord de Montana et l’accord du 11 septembre 2021 pour une Gouvernance apaisée et efficace de la période intérimaire. Le dernier avait regroupé un ensemble d’acteurs qui ont supporté le leadership du Premier Ministre nommé par le Président de la République avant son assassinat.

Après plus d’un an de gouvernance, le Premier Ministre, son gouvernement et ses alliés n’ont pas pu manifester une volonté de résoudre la crise multidimensionnelle. De surcroit, il est conclu un autre accord entre les principaux signataires de l’accord du 11 septembre susmentionné sous le nom de « Consensus national pour une transition inclusive et des élections transparentes » du 21 décembre 2022. Suite aux errements des acteurs et le non-respect des clauses portant sur la Gouvernance et la passation du pouvoir le 7 février 2024, majoritairement, les secteurs de la vie nationale ont remis en question la bonne foi du Premier Ministre Ariel Henry à solutionner la crise et d’organiser les élections pour le renouvellement du personnel politique.

L’absence de consensus, le défaut de légitimité et le mouvement des groupes armés ont contraint les acteurs, sous convocation de la CARICOM, à se réunir le 3 mars 2024 pendant que le Premier Ministre avait laissé officiellement le pays en direction du Kenya. Les acteurs politiques, toutes idéologies et positions confondues, se sont réunis, en distanciel, pour adopter une solution majoritairement partagée autour d’un Conseil Présidentiel de Transition dont le fondement se trouve dans un Accord de Consensus National pour la Gouvernance Intérimaire.

L’adoption de cette solution par certains acteurs de la vie nationale ne fait pas l’unanimité car il y a un ensemble de secteurs et d’acteurs considérables qui ont opté pour une solution plus proche de la Constitution. De ce fait, l’existence historiquement mitigée (A) et les considérations juridiques (B) du Conseil Présidentiel se trouvent noyées dans un panorama qui nécessite un effort patriotique et une prise de conscience par les acteurs politiques en vue d’éviter une aggravation de la crise politique

A- L’EXISTENCE HISTORIQUEMENT MITIGÉE DU CONSEIL PRÉSIDENTIEL DE TRANSITION

Haïti a connu, au cours de son histoire, plusieurs formes de Gouvernance, les unes différentes par rapport aux autres. Le pays a été administré par des Conseils à vocation différente de celle du Conseil Présidentiel de Transition mais fondés sur la collégialité. En 1957, les ententes nées de la recherche de solution à la crise politique eurent contraint les acteurs à adopter un Conseil exécutif qui avait collégialement assuré la fonction gouvernementale et présidentielle. Ce fut les membres du Conseil Exécutif qui forma le gouvernement contrairement à ceux d’aujourd’hui qui assurent seulement une fonction présidentielle.

La crise politique aiguë que fit face Haïti força les forces sociopolitiques à chercher une issue. La dissolution du Parlement et l’affrontement entre deux parties de l’armée d’Haïti changèrent le contexte politique. Ce qui produisit une situation chaotique dans le pays. Sur le gré des alliances, repositionnement et entente diversifiées, Haïti connut plus de cinq gouvernements éphémères plus un Conseil Exécutif composé de 13 membres en moins d’un an.

En 1986, le General Henry Namphy prit le pouvoir et forma un Conseil de Gouvernement dont il fut le Président. Cette forme de gouvernance politique qui a vu le jour après la chute des « Duvalier » n’a pu apporter des solutions à la crise politique. La Collégialité n’a jamais réussi à résoudre une crise politique dans le pays. Le Conseil Exécutif de 1957 passa moins de deux mois au pouvoir. D’ailleurs, cette forme de gouvernance a toujours été difficilement applicable en raison de la collégialité et du leadership individuel. La bataille pour le contrôle du pouvoir et la prise des décisions en conseil sont deux faits majeurs à considérer dans le fonctionnement du Collège présidentiel créé par le décret du 12 avril 2024.

Si la Collégialité a vu le jour dans l’histoire politique d’Haïti, le Conseil Présidentiel de Transition est nouveau car il va assurer une fonction présidentielle avec un Premier Ministre pour la mise en œuvre de l’action gouvernementale. Historiquement, cette solution proposée par une partie de la classe politique n’avait pas été totalement expérimentée en tenant compte de sa fonction présidentielle. Mais, vu l’ampleur de la situation, aucune entité ne peut clamer avoir une solution magique à la crise multidimensionnelle que connait Haïti. En dehors de toute considération historique et politique, il est nécessaire de faire les revendications populaires et les intérêts d’Haïti la toile de fond des solutions. Dans le cas contraire, tout est voué à l’échec et la réponse sera beaucoup plus violente que celles vécues dans le passé.

B- LES CONSIDÉRATIONS JURIDIQUES DE LA SOLUTION AUTOUR DU CONSEIL PRÉSIDENTIEL DE TRANSITION

La création du cadre réglementaire et légal pour le fonctionnement et la création du Conseil n’a aucune assise constitutionnelle mais trouve son essence dans le socle des ententes entre les acteurs signataires de l’accord de consensus pour la gouvernance de la transition et les détenteurs du Pouvoir exécutif.

La publication du décret du 12 avril 2024 et l’arrêté de nomination des membres font du Conseil Présidentiel l’organe exécutif exclusif et marque un retour au bicéphalisme après avoir passé plus de deux ans avec un Premier Ministre à la tête du pouvoir exécutif. Ce décret tente d’accorder un ensemble de prérogatives qui n’ont pas de fondement constitutionnel mais sur la base d’un accord de consensus sur la gouvernance de la transition. Sans balise, il instaure dans le paysage normatif haïtien un nouveau changement dans la résolution des crises institutionnelles, celui de choisir un conseil présidentiel à la place d’un président de la République.

Par ailleurs, l’absence d’identification des articles de la Constitution qui seront mis en veilleuse dans le décret du 12 avril 2024 risque de créer une hétérodoxie normative. Défaut de facticité, le Conseil Présidentiel pourra se fixer des prérogatives nées d’une normativité implicite et inférentielle conformément à l’article 3 du décret portant sur sa création. En temps de crise, l’action des Gouvernants doit se limiter aux prérogatives constitutionnelles et aux ententes nées d’un accord de Gouvernance fondé sur le vide institutionnel.

Le Gouvernement a ajouté une considération nouvelle dans l’arrêté du 16 avril 2024 nommant les membres du Conseil Présidentiel. L’exigence est faite aux membres de soumettre leurs pièces dans un délai raisonnable. Faute par un membre de se soumettre, il devra présenter sa démission. En droit haïtien, le délai raisonnable n’est pas limité dans le temps. En plus, la démission deviendra un acte purement volontaire puisque le nouveau Gouvernement ne pourra pas mettre fin à la fonction d’un membre qui ne répond pas aux exigences de l’article 135 de la Constitution. En absence de la présentation des pièces, aucune contrainte ne peut être imposée à un membre pour se démettre de ses fonctions. La publication de l’arrêté sans la vérification de la conformité de leurs dossiers à l’article 135 transforme l’exigence légale en une obligation morale. Ce qui est une entrave pour le projet de gouvernance créé par le dépositaire de la souveraineté dont le changement nécessite une procédure spéciale.

Le Conseil Présidentiel de Transition est une structure exécutive dont l’autorité dépasse les prérogatives d’un Gouvernement ou d’un Premier Ministre. En aucun, on ne devrait penser à l’installation du Conseil Présidentiel par le Gouvernement car c’est une autorité hiérarchique ou horizontale qui peut procéder à l’installation. L’article 12 du Décret du 12 avril 2024 essaie de conférer, en dehors de la routine de l’administration, l’installation du Conseil Présidentiel à la personne du Premier Ministre. Il faut reconnaitre que la lutte pour la conservation du pouvoir est manifeste dans le décret du 12 avril 2024 qui semble vouloir détacher de l’esprit de la Constitution du 29 mars 1987.
Haïti mérite une solution concertée, planifiée par les Haïtiens dans l’intérêt d’Haïti. Il ne devrait y avoir aucune réjouissance lorsque c’est l’étranger qui permet aux acteurs Haïtiens de trouver une solution pour Haïti. Ainsi, tout accord dont le fondement ne se repose pas sur les intérêts de la population haïtienne, la misère et l’insécurité généralisée risque de sombrer le pays dans de nouvelles crises.

Le pays ne peut plus attendre et des solutions ponctuelles, calculées et efficaces doivent être apportées. Il y a une population qui croupit dans la misère à cause de l’incapacité des Gouvernants. Certes, le pays était déjà dans une instabilité politique liée à l’illégitimité des détenteurs du pouvoir exécutif et à l’absence d’un consensus politique mais le ce Conseil Présidentiel de Transition n’a pas une carte blanche pour assurer le leadership du Pouvoir Exécutif. Il est appelé à faire face au passif de moins de 3 ans de gouvernance de l’Administration d’Henry. Il est opportun de rappeler qu’en absence d’un signal fort par la prise de décision sur la sécurité, la gestion rationnelle de l’Etat et l’organisation des élections, ce Conseil Présidentiel plongera le pays dans une crise plus sévère. Ce qui pourra nous conduire indubitablement à la Cour de Cassation puisque c’est la solution la plus proche de la Constitution.

En conséquence, en absence de mesures fondées sur le fonctionnement de l’appareil judiciaire, le renforcement, la lutte contre la corruption, la sécurité, le changement des conditions de vie de la population et le rétablissement de l’autorité publique, aucun espoir ne peut être envisagé.

O.B
1-PIERRE-CHARLES, Gérard, Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier, p 56
 2- PIERRE-CHARLES, Gérard, Radiographie d’une dictature. Haiti et Duvalier, p 57
3 Actes et lois du Conseil National de Gouvernement, 7 Fév. 1986- 7 fév. 1988, Deuxième Partie, Presses Nationales, p 55
4- Moniteur spécial, numéro 14, 179e annee du 12 Avril 2024 “Création du Conseil Présidentiel de Transition”
5 Moniteur Spécial, numéro 15, mention “errata”, 16 avril 2024, nomination des membres du Conseil Présidentiel de Transition

Lacks-Guvens CADETTE
Avocat au Barreau de Port-au-Prince
Spécialiste en Droit public
Droit des Contentieux publics
Doctorant en Droit
Cercle de Réflexion sur la Justice

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