Global press journal: Aucune explication mais tout le blâme : De jeunes mères plaident en faveur de l’éducation sexuelle en Haïti

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(Anne Myriam Bolivar/Global Press Journal)

Summary: De nombreuses adolescentes et préadolescentes qui tombent enceintes pensent que c’est le seul moyen d’empêcher d’autres filles de vivre cette surprise bouleversante.

Reporter Byline: Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

Photo Caption:Françesse, 14 ans, qui a demandé à être identifiée uniquement par son prénom, est assise chez elle à Gressier, en Haïti. Les grossesses chez les adolescentes demeurent préoccupantes en Haïti.

Photo Credit: Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

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 « Cet article a été initialement publié par Global Press Journal »

GRESSIER, HAÏTI — Quand Françesse avait 13 ans, elle a eu des relations sexuelles avec son petit-ami d’alors, qui avait à peu près son âge. Pendant deux mois, elle n’a pas eu ses règles. Ce n’était pas la première fois que ses règles étaient en retard. Mais quelque chose était différent. Françesse, qui, comme d’autres sources de cette histoire, a demandé à être identifiée seulement par son prénom par crainte de stigmatisation, avait la nausée.

« J’en ai parlé à mon petit ami, qui m’a demandé d’attendre. Puis, après trois mois, j’ai eu d’autres symptômes. J’ai fait un test qui a révélé que j’étais enceinte », dit-elle, son regard vide fixé sur une route très fréquentée de ce quartier animé de la commune de Gressier, à environ 30 kilomètres (19 miles) de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti.

Françesse, aujourd’hui âgée de 14 ans, raconte que sa mère est décédée alors qu’elle avait 3 mois. Sa tante l’a accueillie et son père a payé ses frais de scolarité. Même si elle a fait des études secondaires, elle affirme n’avoir reçu aucune éducation sexuelle à l’école ou à la maison. En fait, elle n’a jamais pensé qu’elle pourrait tomber enceinte lors de son premier rapport sexuel.

« Je n’ai pas reçu d’informations précises sur la grossesse à l’école. Nous n’avons pas été informées de ce que nous devrions savoir à travers les cours sur ce sujet qui reste tabou, seulement survolé. On nous demandait qu’on attende les classes supérieures », raconte-t-elle.

L’expérience de Françesse n’est pas rare. Les grossesses chez les adolescentes restent un sujet de préoccupation en Haïti. Il n’existe pas beaucoup de données nationales récentes, mais selon une enquête menée en 2016-2017 par le ministère de la Santé publique et de la Population, environ 10 % des jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans étaient enceintes ou avaient déjà accouché au moment de l’enquête. Selon l’enquête, Port-au-Prince a enregistré un taux de grossesse chez les adolescentes de seulement 5 %, mais ce chiffre est passé à 13 % dans les zones plus rurales et à 14 % dans les départements du Centre et de la Grande’Anse.

Des rapports anecdotiques, selon un rapport de 2020 de Banyan Global – un cabinet de conseil – pour l’Agence des États-Unis pour le développement international, ont également montré une augmentation des grossesses chez les adolescentes en Haïti depuis le début de la pandémie de COVID-19.

Marc Deverson Beauvoir, coordinateur de Koze Gresye, une association pour les jeunes, affirme qu’une enquête menée en 2022 à Gressier a révélé que 3 à 4 filles sur 10 âgées de 12 à 17 ans avaient déjà été enceintes. Il ajoute que l’organisation a mené une enquête dans 10 écoles pour comprendre la tendance croissante des grossesses chez les adolescentes dans cette région.

Rijkaard Fortuné, directeur d’une école de Gressier, affirme qu’en 2022 et début 2023, son école a enregistré une douzaine de grossesses chez des filles âgées de 14 à 16 ans, un chiffre qui dépasse la moyenne annuelle de cinq des années précédentes.

Selon Fortuné et d’autres sources interrogées par Global Press Journal, une partie du problème, c’est que le sexe reste tabou dans les écoles et les communautés locales. Cela signifie que les jeunes manquent d’informations essentielles et précises pour prévenir les grossesses précoces.

« Certains enseignants abordent sporadiquement le sujet en cours pour sensibiliser les élèves, mais cela reste limité», déplore Fortuné.

Beauvoir affirme que l’enquête menée par son organisation en 2022 a révélé qu’en raison d’un manque d’éducation sexuelle, certains parents croient que les grossesses de leurs enfants sont le résultat de malédictions vaudou, après que des personnes malveillantes leur aient jeté des sorts.

« Certains enseignants abordent sporadiquement le sujet en cours pour sensibiliser les élèves, mais cela reste limité. »

RIJKAARD FORTUNÉ

DIRECTEUR D’UNE ÉCOLE

« Nous avons visité plusieurs écoles, et aucune d’entre elles n’ont de cours d’éducation sexuelle » , dit-il.

Etienne L. France est le directeur départemental de l’Ouest du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle d’Haïti. Il avoue qu’il n’y a pas de cours formels d’éducation sexuelle dans le programme scolaire, mais selon lui, cela ne devrait pas empêcher les enseignants d’enseigner aux élèves comment fonctionnent leur corps.

Joseph Job Maurice, coordinateur général du Poult d’enseignement et qualité au ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle d’Haïti, est d’accord, même s’il n’existe pas de programme formel dédié à l’éducation sexuelle, les enseignants pourraient profiter d’opportunités pour enseigner ces informations, par exemple dans les cours de biologie. Il ajoute que le ministère promeut une « approche par les compétences » qui englobe trois niveaux de connaissances : académique, pratique et comportemental.

« Un enseignant peut entrainer un enfant à réfléchir sur son corps, sur sa sexualité », dit-il.

Le cercle vicieux de la pauvreté

La situation précaire du pays marquée par l’instabilité économique exacerbe le problème, selon Offny Dorvilier, un leader communautaire de Gressier. Il dit qu’en raison de la situation économique, les filles âgées de 13 à 15 ans sont susceptibles d’être exploitées pour subvenir aux besoins fondamentaux de nombreuses familles.

« La situation précaire du pays les pousse parfois à quitter leur domicile sous pressions des bandes armées, les obligeants à vivre chez des étrangers ou dans des centres », dit-il. « Parfois les parents ne savent même pas ou se trouvent leur filles. »

Pendant ce temps, dit Beauvoir, les grossesses chez les adolescentes exacerbent les difficultés économiques des familles. Il affirme que dans de nombreux cas, les adolescentes enceintes abandonneront l’école, ce qui entravera leurs études et leurs perspectives de carrière, entraînant ainsi une perte de potentiel de revenus. Cela a aussi des répercussions sur les parents qui sont déjà en difficulté financière.

Lorsque Françesse a découvert qu’elle était enceinte, poursuivre ses études n’était plus une option. Elle savait qu’elle serait stigmatisée.

« Presque tous les professeurs ne supporteront pas ce genre de comportement et ce serait mal vue par certains élèves. L’école serait obligée de me renvoyer. Alors pour éviter les scandales on reste chez soi », dit-elle. « Je rêvais de devenir infirmière, mais compte tenu de ma situation, il est peu probable que je puisse poursuivre mes études. »

Rose Derline Lindor est une agente de santé communautaire travaillant dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive à Gressier. Elle estime que les adolescentes n’ont pas encore la maturité nécessaire pour assumer la responsabilité d’élever une famille. Elles ne sont pas non plus préparées économiquement.

« Sans éducation et sans profession, je ne pense pas qu’elles auront un travail, et la plupart de ces filles croupissent dans la pauvreté, avec deux ou trois enfants à nourrir », dit-elle.

Dans certains cas, les familles peuvent les forcer à avorter, ce qui est illégal. Elle pense que cela met leur vie en danger. Celles qui arrivent au terme de leur grossesse subissent également des risques pour leur santé physique et mentale, explique Lindor. Des complications telles que l’hypertension, les hémorragies et la prééclampsie pourraient mettre en danger leur vie ainsi que celle de leurs enfants à naître.

Éduquer les parents

Pour Fortuné, une grande partie du défi est que les parents ne sont pas équipés, car ils n’ont jamais eu non plus l’occasion d’apprendre l’éducation sexuelle à l’école. Il estime que le ministère de l’Éducation devrait introduire un programme d’éducation sexuelle obligatoire dispensé par des professionnels compétents.

Tout comme Fortuné, Jonel Bazelais, sociologue à Gressier, voit la nécessité de campagnes d’éducation sexuelle qui ciblent non seulement les adolescents mais aussi leurs parents. Encourager les jeunes filles à poursuivre leurs études et instaurer un programme social pour soutenir les parents en situation économique précaire sont également des mesures que le gouvernement pourrait envisager.

Mais Marie Claudette Louis, coordinatrice du syndicat des femmes pour le développement de Gressier, estime que certains parents pourraient faire preuve de réticence.

« [Ils] ont des réticences à l’utilisations des contraceptifs tels que les pilules, craignant des effets néfastes sur la santé de leurs filles», dit-elle. «Ils ont souvent beaucoup de mal à accepter que leurs enfants aient des relations sexuelles. »

Denise Louis-Jean, mère de trois filles, dont deux adolescentes, fait partie de ces parents réticents. Même si elle estime que cette information est importante, elle estime qu’elle ne devrait être disponible que lorsque les jeunes sont suffisamment mûrs. Selon elle, aborder ce sujet avec des enfants de 13 ou 15 ans ne ferait que les encourager à se livrer à des expériences sexuelles. Louis-Jean s’inquiète de l’introduction de la contraception chez les filles à un si jeune âge et de ses effets sur leur santé.

Pour Vanessa Marcelin, devenue maman à l’âge de 12 ans, partager son expérience a été une façon d’aborder le sujet. Aujourd’hui, la jeune femme de 25 ans dirige un groupe d’adolescentes où elle leur fournit des conseils sur comment éviter une grossesse précoce.

Contrairement à beaucoup de filles en Haïti, Marcelin a eu la chance de bénéficier du soutien inconditionnel de sa famille, ce qui lui a permis de poursuivre ses études et d’entrer à l’université. « Je suis consciente, dit-elle, que toutes les jeunes filles qui se trouvaient dans ma à l’époque n’ont pas bénéficié de ces mêmes opportunités. »

Mais la peur de la stigmatisation restait un problème, c’est pourquoi ses parents l’ont isolée jusqu’à la naissance du bébé.

« il est courant ici de constater que lorsqu’une jeune fille de mon âge est enceinte, elle ne peut pas fréquenter l’école jusqu’à près l’accouchements, et parfois il faut changer d’école ou de zone», dit-elle.

« Si l’école ne le fait pas [et] les familles ne le font pas, ce problème va persister. »

VANESSA MARCELIN

Comme la plupart des sources interrogées par le Global Press Journal, Marcelin estime qu’investir dans l’éducation sexuelle, et pas seulement dans les écoles, est le seul moyen de résoudre le problème. « Si l’école ne le fait pas [et] les familles ne le font pas, ce problème va persister. »

Françesse, qui a accouché en décembre, dit qu’elle chérit son enfant comme un cadeau précieux et se sent prête à lui donner tout son amour. Cela aide qu’elle ait le soutien du père de son enfant.

Gazena, 14 ans, n’a appris sa grossesse qu’après trois mois. « J’ai réalisé que j’étais enceinte lorsque mes règles se sont arrêtées», dit-elle.

Elle est la plus jeune d’une famille de cinq enfants et vit dans la banlieue de Gressier. Elle dit que personne ne lui a appris comment arrive une grossesse ni comment la prévenir.

« Le problème c’est qu’on ne nous explique rien. On ne fait que constater la transformation de notre corps, on ne nous dit pas ce qu’on doit éviter, on ne fait qu’attendre que cela arrive pour nous réprimander », dit-elle.

Lorsque les parents de Gazena ont découvert qu’elle était enceinte, ils l’ont chassée de chez eux. Désormais, c’est la famille de son petit-ami qui s’occupe d’elle. Mais Gazena n’envisage pas d’arrêter l’école.

« Après le sevrage de mon bébé, j’envisage de reprendre l’école et je souhaite mettre en place une méthode de contraception afin d’éviter une nouvelle grossesse précoce. »

Anne Myriam Bolivar est journaliste à Global Press Journal en poste à Goma, en République démocratique du Congo.


« Global Press Journal est une publication internationale à but non lucratif ayant reçu plusieurs prix et qui emploie des femmes journalistes locales au sein de plus de 40 bureaux d’information indépendants en Afrique, en Asie et en Amérique latine »

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