Au moins trois (3) idéaux de Jean-Jacques Dessalines se manifestent à travers le percement du canal de la rivière Massacre à Ouanamithe (Nord-est, Haïti)
par Mibsam Jeannis
17 octobre 2023: les idéaux de Dessalines nous guident encore.
Il est un fait indéniable que l’histoire d’un peuple et ses valeurs ancestrales constituent une source importante pour la mémoire collective en termes de référence en période de crise. On sait très bien que l’héroïsme de nos aïeux a fait de l’histoire d’Haïti un patrimoine immatériel mondial pour tous les peuples opprimés de la terre, car le 18 novembre 1803 nos ancêtres avaient fait une indépendance à la fois anti-colonialiste, anti-esclavagiste et antiraciste.
Je suis du côté de ceux et celles qui pensent qu’en 2023, en plein 21e siècle, le percement d’un simple canal communal ne devrait pas mobiliser autant d’énergie chez un peuple qui a fait 1804 et qui a comme père ancestral Jean Jacques Dessalines. Toutefois, au-delà de cet acte ordinaire pour tout État qui fait de l’agriculture un pilier important en vue d’alimenter sa population, en effet, la construction du canal de Ouanamithe nous enseigne des leçons allant au-delà de cette infrastructure.
En Haïti, ce canal dégage des symboles allant plus loin qu’une simple entreprise paysanne. Il traduit la manifestation des valeurs nationales et historiques qui résistent à travers le temps malgré la précarité socio-économique, la crise généralisée conduisant même à la faillite de l’Etat dans une perspective d’organisation administrative, de défense territoriale et de service à la population. Certes, il s’agit d’un État pris en otage par l’oligarchie locale, l’impérialisme étranger et la mafia au détriment des intérêts collectifs. Cependant, face à un tel degré de pourrissement, les médias internationaux devaient normalement relater des cas de suicide par dizaines ou centaines, des compatriotes essayant, chaque jour, de traverser la frontière ou la mer par centaines de milliers.
Cependant, contre toute attente et en plus de la résilience collective de la population haïtienne forgée par son histoire, les mauvais traitements infligés par des régimes dictatoriaux et des dirigeants corrompus et sans oublier les catastrophes naturelles. Les masses populaires essaient toujours de proposer une forme de résistance pour lutter contre ce système de domination et d’exploitation.
Aujourd’hui, malgré le désespoir collectif marqué par l’insécurité, l’imposture du premier ministre Ariel Henry et ses alliés, un groupe de paysans du département de Nord-est notamment de la plaine de Maribaroux a su réveiller la conscience de toute une nation autour de trois valeurs fondamentales qui constituent le socle du dessalinisme, trois idéaux légués en héritage par Jean Jacques Dessalines, le père fondateur de la patrie haïtienne.
Parmi ces idéaux qui se manifestent à travers l’acte de Ouanamithe , nous pouvons identifier l’ idéal de l’unité et de la solidarité nationale. Les pauvres paysans commencent seuls avec les moyens du bord avant de montrer au reste du pays et à la diaspora haïtienne la leçon de la solidarité entre les peuples. N’était-ce pas Dessalines lui-même qui avait prêté main forte aux infortunés vénézuéliens voulant se débarrasser de l’empire esclavagiste et colonialiste espagnol ?
À côté des valeurs de solidarité et d’unité, dans cette conjoncture difficile de crise, les paysans ont compris et ils nous ont enseigné l’importance de la souveraineté notamment de la souveraineté alimentaire pour tout peuple qui se respecte. Le peuple haïtien, à travers ce canal, lance un cri d’alerte. Il ne veut plus consommer les salamis (produits de mauvaise qualité en provenance de la République dominicaine et d’ailleurs). Il nous rappelle la potentialité de nos terres et l’expertise de nos valeureux paysans à produire des denrées alimentaires respectant les normes sanitaires et environnementales .Il est temps maintenant de nous mettre au travail pour le recouvrement de notre souveraineté politique et alimentaire.
Enfin, malgré les déboires actuels marqués par l’insuffisance alimentaire, la dislocation des services de santé et d’éducation et l’irrespect de nos voisins dominicains à notre égard, la nation est encore débout.
Ainsi, à cause de l’arrogance du président Luis Abinader de fermer unilatéralement et sans motif juridique les frontières en essayant d’imiter Rafael Leonidas Trujilio qui avait assassiné lâchement des milliers d’haïtiens en 1937 où les femmes enceintes et les enfants n’étaient pas épargnés. Il les accusait injustement d’avoir violé les lignes de démarcation du territoire dominicain en contribuant au vol de volailles et à l’insécurité.
À la surprise générale, le 11 octobre 2023, le disciple de Trujilio en la personne du président Luis Abinader qui essaie de caresser le bas instinct des nationalistes dominicains pour les prochaines joutes électorale, s’est heurté contre toute attente à la mobilisation des commerçants et producteurs dominicains qui écoulent leurs salamis en Haïti et en toute liberté à cause de l’attitude « manfouben » des anciens et actuels jouisseurs de l’Etat qui se nomment dirigeants d’ Haïti.
Certes , les dirigeants dominicains ont ouvert les frontières mais les valeureux et dignes héritiers de l’idéal dessalinien ont montré à nos voisins la signification de la dignité en laissant les barricades haïtiennes sur les principaux points frontaliers notamment à Ouanamithe, à Anse-À-Pitres, à Jimani et à Belladère. Une leçon de dignité malgré les manquements.
Certes, nous n’aurons pas la capacité pour une plus longue résistance à cause de nos précarités socio-économique. Toutefois, nous devons reconnaître que les haïtiens viennent de montrer au monde entier l’appropriation et l’application de la dignité enseignée par Dessalines pour exiger des dominicains du respect.
À travers le percement du canal de Ouanamithe, les haïtiens ont pu montrer que les idéaux de solidarité, de souveraineté et de dignité transmis par Jean Jacques Dessalines restent une constante dans la génétique des haïtiens malgré les conditions infrahumaines dans lesquelles ils vivent. Ces idéaux faisant désormais partie de l’ADN du peuple haïtien doivent trouver des leaders compétents, honnêtes et visionnaires pour conduire le pays vers la voie du développement.
Mibsam JEANNIS PhD
Professeur d’Histoire et de Géographie.

