Robert Lodimus | Haïti : Une belle leçon de courage, de mobilisation, de fraternité et de solidarité contre les néocolons

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Par Robert Lodimus

« Vous me demandez ce qui me pousse à l’action? C’est la volonté de me trouver au cœur de toutes les révoltes contre l’humiliation, c’est d’être présent, toujours et partout, chez les humiliés en armes. »

                                                                    (Ernesto Che Guevara)

Le grand écrivain Jacques Stephen Alexis a immortalisé la Rivière Massacre dans son majestueux roman « Compère Général Soleil », que l’on désignait rivière Watapan durant la période précolombienne, et rivière Dajabon, après 1492. Son héros, Hilarion Hilarius, ce jeune Nègre désœuvré qui volait dans la capitale haïtienne pour manger, a laissé sa vie sur la rive, du côté haïtien, en tentant de fuir le « massacre du Persil » instigué par le cruel dictateur dominicain, Rafael Leónidas Trujillo Molina. Cette rivière de la mort est devenue aujourd’hui une éventuelle source de survie pour les habitants du Nord-Est de la presqu’île située à l’Ouest de l’île, qui représente le tiers de Quisqueya, la partie cédée à la France par les Espagnols en 1697. Avant de rendre son dernier souffle, le personnage principal du grand romancier a eu le temps de voir se lever le soleil de l’espoir et de la délivrance qui symbolise plutôt le début d’une révolution libératrice. Le soleil incarne la vie : le bien-être matériel et spirituel. La construction du canal pour le captage des eaux de la rivière Massacre exprime déjà un symbole métaphorique de changement sociétal, de transformation économique au sein d’un futur État dynamique, progressiste et surtout révolutionnaire, qui aura la responsabilité de « désappauvrir »  les masses populaires haïtiennes. Nous ne devons pas oublier les recommandations de Sénèque le Rhéteur : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire, c’est parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles ». 

     Néanmoins, les actes, surtout politiques, impliquent des facteurs à la fois persuasifs et dissuasifs. Thomas Hobbes le reconnaît dans Le Léviathan: « Car les lois de nature, comme la justice, l’équité, la modestie, la pitié, et, en résumé, faire aux autres comme nous voudrions qu’on nous fît, d’elles-mêmes, sans la terreur  de quelque pouvoir qui les fasse observer, sont contraires à nos passions naturelles, qui nous portent à la partialité, à l’orgueil, à la vengeance, et à des comportements du même type. Et les conventions, sans l’épée, ne sont que des mots, et n’ont pas du tout de force pour mettre en sécurité un homme. »    

     Actuellement, c’est à ce grand dilemme que se trouve confronté le pays des Haïtiens. Les lois sont existantes. Mais il n’y a pas l’épée pour les appliquer, pour les imposer même, en conformité au bien-être collectif et individuel. L’État de la République, submergé dans la défaillance absolue, ne dispose pas des moyens nécessaires pour assurer sur les plans national et international le bonheur et la sécurité de ses citoyens. Il n’y a pas de « victoire » sans la « force ». Et sans « stratégie de guerre », la « force » perd son « efficacité ». Le « peuple uni » constitue une arme légitime, encore plus puissante que l’organe répressif de la dictature la plus féroce. Cependant, il faut qu’il soit organisé pour être utilisé à bon escient, de manière intelligente, ordonnée, rationnelle, selon les principes du cartésianisme. La « victoire » demeure à fois la résultante du « cerveau » et de la « force ». Et l’histoire du monde a déjà prouvé que « l’intelligence » a vaincu les « canons » et les « mitrailleuses » les plus redoutables. Comme les héros, – Gregory Peck, Anthony Quinn, Stanley Baker… –, l’ont fait dans le film « Les canons de Navarone » de Jack Lee Thompson et Alexander Mackendrick, adaptés du roman  d’Alistair MacLean publié en 1957.  D’où l’importance dans toutes les formes de combat, la présence inconditionnelle de leaders mythiques, humanistes, courageux, honnêtes, responsables, déterminés, cohérents et surtout généreux : comme l’ont été le Mahatma Gandhi, Abraham Lincoln, Fidel Castro, Che Guevara, Charlemagne Péralte, Thomas Sankara, Patrice Lumumba, Amilcar Cabral… 

     L’affaire du canal sur la rivière Massacre montre clairement que la population haïtienne est prête à livrer combat pour se libérer des conditions esclavagistes imposées par le néocolonialisme aussi bien aux sociétés enrichies qu’appauvries. Nos compatriotes ont fait la démonstration mémorable de leur force, de leur détermination, de leur courage à jouer leur partition pour la construction d’un nouvel ordre mondial, à l’instar de la Russie, de la Chine et des 77 pays qui se sont rassemblés à Cuba, sur le sol révolutionnaire du castrisme. La guerre contre l’impérialisme occidental sera remportée par le nombre, l’intelligence et les armes. Et, avec la présence d’un Chef intrépide, hardi, charismatique  à sa tête, nous demeurons convaincus que la République d’Haïti – qui a déjà écrit l’histoire à sa façon – sera au rendez-vous de l’ultime bataille pour dissiper les nuages derrière lesquels est dissimulé le soleil de Jacques Stephen Alexis. Nous resterons nous-mêmes « Kunta Kinte ». Jamais nous ne deviendrons Toby!

     Nous avons appris, sans grande surprise, que « La légion se prépare à sauter sur Kolwezi ». Cette force multinationale nébuleuse approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies, – le cheval de bois offert aux Troyens par les Grecs –, qui sera déployée en Haïti, participe de la même stratégie de maintenir les indigènes dans leur position de dépendance humiliante. Les pays de l’Afrique n’ont pas gagné leur liberté sur le champ de bataille. Elle fut,  – et c’est bien regrettable –,  un « cadeau cyanuré » des colons européens sans scrupule. Malgré le sang qui a coulé pour que nos ancêtres se soient débarrassés de leurs chaînes, ne sommes-nous pas encore attachés au rocher de Prométhée, le voleur de feu, et torturés par les vautours d’une nouvelle conception de l’esclavagisme, la source de l’appauvrissement extrême des peuples vulnérabilisés? Napoléon Bonaparte a prédit l’éveil de la Chine. Mais n’a pas vu venir celui de l’Afrique, qui commence à tourmenter les pays de l’Otan, particulièrement la France de Macron. Bonaparte, qui naquit à Ajaccio en 1769, avait mal digéré l’annexion de la Corse au royaume de Louis XV en 1768. En grandissant, il jura de diriger les Français pour se venger. Le maître de l’Élysée a promis une autonomie mitigée à la Corse, le pays de Napoléon : « Ayons l’audace de bâtir une autonomie de la Corse dans la République… Ce ne sera pas une autonomie contre l’État, ni une autonomie sans l’État », a expliqué le président qui se fait montrer la porte par le Burkina Faso, le Niger et le Mali. Dans des circonstances pareilles, Ahmed Sékou Touré de la Guinée, le 25 août 1958, avait trouvé la bonne réponse pour le général Charles de Gaulle : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage… Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit naturel et légitime à l’indépendance. » C’est le « Vivre Libre ou Mourir » de l’empereur Jean-Jacques Dessalines. Une grande figure de l’autorité française a prédit froidement, cyniquement l’échec des États africains qui ont jeté un anathème au néocolonialisme. La tête du capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso est déjà mise à prix. Le 26 septembre 2023, le «célèbre révolté » d’Ouagadougou a échappé de justesse à une tentative de coup d’État et un complot d’assassinat ourdi par ses détracteurs étrangers et locaux. Et tout indique que la série se prolongera dans de nouveaux épisodes.

Timeo Danaos et dona ferentes 

(Je crains les Grecs même quand ils font des offrandes…)

     Beaucoup de compatriotes croient que les problèmes de l’évolution  du gangstérisme en Haïti peuvent être résolus sans faire appel à une force multinationale dirigée par Washington qui se retranche avec perfidie derrière le Kenya. Selon eux, la solution aux complications mortifères du banditisme passe par le contrôle de l’entrée des armes et des munitions venant des États-Unis d’Amérique sur le territoire national. Dans cette affaire d’envoi de troupes à Port-au-Prince, Nairobi fait figure de « cordonnier non chaussé » : l’artisan charlatan qui propose de fabriquer des chaussures pour les autres et qui lui-même déambule pieds nus dans le désert de Nyiri. Kenya projette de « sauver Haïti » mais ne peut pas « se sauver lui-même ». Ce n’est un secret pour personne que l’État de William Ruto, en matière de criminalité, cybercriminalité, violence, banditisme, terrorisme… se trouve confronté à ses propres cauchemars. Des villes comme Nairobi, Mombasa, Kisumu sont hautement criminogènes. Les statistiques confirment une augmentation considérable du taux de criminalité durant les trois dernières années: cambriolage, agression physique, vol, drogue, corruption, insécurité, viol, demande de rançon… 

     Notre peuple n’oubliera pas ses « ennemis » traditionnels. Les fils et les filles des  esclaves africains se souviendront toujours des centaines d’années de souffrances indicibles que leurs aïeuls ont vécues  dans les plantations de Saint-Domingue, de la Floride, de la République dominicaine… Ceux qui ont construit les « Négriers », qui ont enlevé les « Cinqué » de la mère patrie accepteront-ils un jour de nous indiquer la route du bonheur sur la carte géographique complexe de l’existence? Consentiront-ils finalement à nous accompagner, à nous assister sur le chemin tortueux et périlleux  de la Liberté, de l’autodétermination et du développement durable? 

       Seuls les « écervelés » politiques sont incapables de comprendre que derrière le sourire félon d’une puissance septentrionale se dissimulent toujours les bourrasques de haine les plus destructrices, les plus anéantissantes. C’est cette ignorance de la véritable nature des vautours du néolibéralisme qui explique les « comportements des Juda Iscariote » locaux. Heureusement, – en guise de consolation –, l’adage nous rassure : « Le jour s’en va, le jour revient…?» En clair, cela signifie que le soleil se couche et se lève… Au milieu des jours tristes et sombres de notre histoire de peuple martyr, nous avons besoin, de temps à autre, de revisiter Sénèque :

     « Tel est l’ordre des choses, nous n’y pouvons rien changer : ce que nous pouvons, c’est de nous redonner ce fier courage, digne d’un homme de bien, qui supporte résolument les coups du sort, et se conforme aux volontés de la nature. Or la nature, comme tu le vois, gouverne son empire par de perpétuels changements. Aux nuages succède la sérénité; les mers tour à tour se soulèvent et s’apaisent; les vents soufflent l’un après l’autre; le jour suit la nuit; une partie du ciel s’élève sur nos têtes, une autre partie s’enfonce sous nos pieds; c’est par le contraire que les choses subsistent éternellement.»

     Faut-il déjà l’oublier? Les Babyloniens détruisirent Jérusalem en 586 av. J.-C., après un siège qui dura environ deux ans.  La prophétie de Jérémie se fut accomplie. Mais le triomphalisme des Nebuchadnezzar est éphémère. Que vous soyez chasseur ou gibier, à chacun son tour! C’est même devenu un postulat. Comme le dit le Sage Sénèque dans ses lettres à Lucilius, – que nous paraphrasons –, c’est une loi naturelle de laquelle les êtres et les choses ne peuvent se soustraire! 

     Les malheurs du « Sud » viennent du « Nord ». Il n’y a point de doute. C’est donc le « Nord » qu’il faut combattre pour rétablir les conditions de la « justice sociale » et de l’ « équité économique » sur la planète. Ce jour-là, la « Révolution mondiale » sera en marche. L’humanité prendra enfin la direction de la Libération.         

     Les pratiques, les méthodes qui règlent les hostilités politiques ne changent pas. Dans tous les pays, la « raison d’État » emprisonne. Torture. Empoisonne. Exécute. Qui oserait affirmer le contraire? Pour la corporatocratie, le faire n’est point la question! Les États qui gravitent dans le cercle hermétique de la mondialisation détiennent et exercent tous les pouvoirs. Même celui de restreindre les Libertés individuelles et collectives. Ils affament leurs habitants.  Engouffrent l’argent des contribuables dans les usines de fabrication d’armes de destruction massive, au lieu de s’en servir pour l’amélioration des conditions de vie des familles démunies. 

      Si la morale démocratique était le fondement de la politique externe, il n’y aurait pas de « diplomatie ». L’État a des intérêts qui dépassent ses frontières. Les méthodes et les pratiques politiques observées dans la phénoménologie de la perception de l’extraterritorialité qui relève elle-même du droit international montrent assez clairement que les actions des puissances dominantes ne sont pas guidées par des motivations humanitaires et des considérations   philanthropiques. 

    L’indignation, la désolation et la frustration sociales qui bourgeonnent  partout feront exploser tôt ou tard Haïti et le reste de la planète. Des manifestations contre la corruption politique, la piètre gouvernance,  l’austérité économique due à la santé dégénérative et à une mauvaise gestion des finances publiques éclatent partout. « La faim et le sous-emploi poussent le loup hors du bois. » La rivière détournée cherche son lit… Elle pourrait déborder dans les mois ou les années qui viennent. La terre entière serait engloutie comme du temps du prophète Noé. Et pire encore…! Y aurait-il des survivants à cette terrible catastrophe? De quel côté seraient-ils? Que les mères se ceignent les reins! Tous ces œufs de souffrances matérielles et spirituelles – bien entendu sans nous prendre pour Michel de Nostredame (Nostradamus) –   qui sont couvés sur chaque continent, dans chaque pays, ville, village, bourg, quartier, rue, maison, foyer… demeurent des signes avant-coureurs de grands bouleversements sociopolitiques  mondiaux. Fasse le ciel qu’ils n’éclosent pas en hiver…! 

Ceux qui marchent, finissent toujours par arriver quelque part

     Les temps sont durs. Survivre est devenu un mât de cocagne pour les peuples de la « Périphérie ». Également pour les marginalisés du « Centre ». Les petites gens abasourdis déploient des efforts surhumains pour ne pas se noyer sous les flots de la paupérisation. Céder aux vagues du misérabilisme. Et sombrer, comme un navire en détresse, dans cette tempête de malheurs qui souffle avec rage et méchanceté. 

     En moins de 15 ans, les politiciens véreux, corrompus, vénaux sont parvenus à désengrener tous les organes vitaux de l’État haïtien. Plus rien ne fonctionne dans ce pays. À l’exception, bien entendu, des différentes filières locales et internationales du crime organisé, qui rançonnent et endeuillent les familles apeurées. Les analystes politiques, étrangers et nationaux, en sont arrivés à la même conclusion : l’avenir de la population haïtienne est sérieusement menacé. Nos prévisions, en ce sens, demeurent également apocalyptiques. Nous croyons nous-mêmes que les Haïtiens auraient pu, s’ils le désiraient réellement, bénéficier de l’assistance auprès des États plus coopératifs. Plus conciliants. Moins rapaces. Nous sommes convaincus que des puissances économiques et politiques, comme la Russie, la Chine, pour ne citer que celles-ci, seraient capables de les aider – avec  moins d’hypocrisie –, à surmonter les obstacles de périclitation.

      Demain viendra le temps de la « pluie et des orages » de Mark Twain. Une « Révolution mondiale » renversera toutes les barrières frontalières du monde. Et disparaîtra, pour toujours, cette nuit-là, la notion de race humaine. Partout dans l’univers, il n’y aura que  des camarades unis, solidaires les uns des autres dans la justice sociale, l’équité économique, la paix mutuelle, l’émancipation culturelle et l’assainissement environnemental.

     Nous reprenons les recommandations et les remarques de « Le forgeron d’utopie » dans son texte publié le 2 juin 2012 sous le titre de « La Presse : une vérité subjective : « Le devoir absolu du militant social, c’est de se donner les moyens intellectuels en se cultivant philosophiquement, historiquement, économiquement, socialement afin d’éduquer les masses ! C’est parce que les maîtres qui nous gouvernent maîtrisent totalement tous ces savoirs, qu’ils nous manipulent avec autant d’aisance !!! »

     Les masses ouvrières doivent s’unir, se préparer, s’instruire, s’organiser pour vaincre l’hégémonisme occidental. Ce sont les seuls moyens dont elles disposent pour arrêter de remplir le « tonneau des Danaïdes ».

Robert Lodimus

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