Relations haïtiano-Dominicaines- Le contentieux du Traité de Paix, d’Amitié et d’arbitrage entre la République dominicaine et Haïti du 20 février 1929.
par Hancy PIERRE
Spécialiste en Relations Internationales.
Dans notre récent article sur “le contentieux autour du patrimoine collectif de la Rivière Massacre” paru dans le Quotidien Le Nouvelliste du 14 septembre 2023, nous avons fait prévaloir notre recul critique du Traité de Paix, d’Amitié et d’arbitrage entre la République dominicaine et Haïti du 20 février 1929 qui est devenu paradoxalement la référence “sacro-sainte” des deux parties contractantes pour gérer des différends. En ce sens, ce Traité a été évoqué par ces deux parties dans des interprétations controversées pour aborder le nouveau problème qui surgit dans l’opposition de l’actuel président dominicain au .travail de canalisation de la Rivière Massacre visant à irriguer 3,000 hectares de terres , de la plaine Maribaroux ,dans la partie haïtienne.
Aussi le ministre dominicain des Affaires etrangères, Roberto Alvarez, a -t-il souligné que le projet viole le Traité de Paix et d’Amitié perpétuelle et d’arbitrage de 1929 complété par l’accord frontalier de 1935 et le Protocole de révision des frontières de 1936”. Et le gouvernement haïtien, pour sa part, dans une note officielle , a aussi fait mention du même Traité de 20 février 1929 dans cette séquence: “… La République d’Haiti peut souverainement décider de l’exploitation de ses ressources naturelles. Elle a , comme la République dominicaine avec laquelle elle partage la Rivière Massacre l’entier droit d’y faire des prises, conformément à l’accord de 1929”.
Au-delà du Traité en question, il y a lieu de se demander dans quelle mesure se sont-elles effritées les relations de convivialité et d’union entre la République dominicaine et Haïti consacrées par le Traité de Paix, d’Amitié , de Commerce et de Navigation du 26 juillet 1867 et le Traité de Paix, de Commerce, de Navigation et d’Extradition entre la République d’Haïti et la République Dominicaine du 9 novembre 1874. Partons du Traité du 20 février 1929, nous allons situer les démarcations dans d’autres Traités existants pour faire ressortir les enjeux liés à la question .
Le Traité du 20 février 1929 a été sujet à révision pour n’avoir pas satisfait l’intérêt des deux parties.Car la frontière continue à constituer une source de tensions pour être convoitée pour la portée stratégique des ressources qu’elle possède et l’attraction au pétrole et aux mines de métaux prospectés sur la ligne frontalière en question. Ce qui dicte la nécéssité urgente de définir convenablement le tracé frontalier (Castor,1987:67). Il ne cesse de présenter de différends même dans les contextes marqués de lueurs de détente , soit dans le rapprochement de 1936 par exemple. Mais il survint un arrangement précaire dans l’inattentu évènement du massacre de 1937 qui avait renvoyé aux dépossessions des haïtiens de leurs biens immobiliers, pour répeter de Matteis ( 1987 )
En effet, Le Traité du 20 février 1929 en question dans son article 10 stipule ce qui suit : “En raison de ce que des rivières et autres cours d’eau naissent sur le territoire d’un des deux Etats traversent sur le territoire de l’autre ou leur servent de limites,les deux hautes parties contractantes s’engagent à ne faire ni consentir aucun ouvrage suceptible soit de charger le cours naturel de ces eaux sont d’altérer le débit de leurs sources.Cette disposition ne pourra s’interpréter de manière à priver l’un ou l’autre de deux Etats du droit d’user d’une manière juste et équitable dans les limites de leurs territoires respectifs des dites rivières et autres cours d’eau pour l’arrosage des terres et autres fonds agricoles et industriels”.
En effet, ce Traité comporte 12 articles.Le premier article a fait référence à la reprobation réciproque de la guerre par les deux Etats.
Le deuxième,a pointé l’engagement à s’interdire la construction de fortification et d’ouvrage de guerre dans une limite de 10 km de la ligne frontalière au regard du Traité du 21 janvier 1929 qui traite de la frontière.
Dans son article 3, il a été défini l’engagement pour un arbitrage de différends à caractère international pour toute réclamation d’un droit non réglé par voie diplomatique soit : a) l’interprétation du Traité;b)tout point de droit international;c) l’existence de tout fait qui, s’il est établi constituerait la violation d’un engagement international d) à la nature et l’étendue de la réclamation due pour rupture d’un engagement international. Il a été indiqué la nécessité d’explorer les procédures d’investigation et de conciliation propres suivant les conventions en vigueur en vue de l’arbitrage.
L’article 4 fait des exceptions : a) pour les juridictions nationales de l’une des parties en litige et non régies par le droit international ; b) des difficultés, réserves ou questions soumises à la compétence de leurs tribunaux respectifs qui ne seront déférées à la juridiction arbitrale, si ce n’est d’accord avec les principes du Droit internationl à compétitions.
Pour l’article 5, il s’agit de la définition de l’arbitre par les parties dans les cas controversés.
Dans le cas de l’article 6, il s’établit des modalités de gérer des litiges, définir des controverses, l’identification du tribunal compétent tout en observant les procédures et les règles ainsi que des conditions convenables en la circonstance. Les délais pour trouver un compromis sont évoqués dans un court terme de trois mois sinon il revient au tribunal de formuler un accord de compromis donné.
L’article 7 traite du mode de remplacement des arbitres en cas de décès, démission ou incapacité. L’article 8 évoque le caractère irrévocable de la sentence éventuelle du tribunal sur toute controverse. Aussi se renchérit-il dans cet article ce qui suit “ les différends qui s’élèveront en ce qui concerne son interprétation ou son éxécution seront soumis à la décision du tribunal qui aura rendu la sentence.
Quant à l’article 9, il renseigne sur l’engagement des hautes parties contractantes à observer et à éxécuter entièrement toute décision arbitrale rendue des articles précédents.Des mesures préjudiciables à l’éxécution de la décision éventuelle seront évitées par rapport à la procédure arbitrale.L’article 10, est déja reproduit textuellement plus haut.
Pour l’article 11 , il fait état de procédure spéciale par d’autres conventions entre les Hautes parties contractantes prévues pour faire l’exception d’application du traité aux difficultés pour une solution donnée.
L’article 12, soit le dernier, renvoie à la sanction et la ratification du Traité par les deux Hautes Parties contractantes.
Le Traité a été signé dans les langues francaise et espagnole.
Le traité du 20 février 1929 a vidé celui de 9 novembre 1874 de son contenu et frayé la voie à des dissensions et des compétitions féroces pour la gestion de patrimoine collectif dont la question de la Rivière Massacre rebondie dans l’actualité. Cette dissension n’est profitable qu’aux intérêts de puissances impérialistes émergentes de l’époque . Ce, pour diviser les perspectives associationnistes des Etats du sud. Il est un fait que le projet d’intégration entre la République d’Haïti et la République Dominicaine issu du Traité du 9 novembre 1874 a été avorté en 1900, et celui de la Confédération caribéenne érodé. L’association anti-impérialiste haïtiano-dominicaine à travers le traité n’a duré qu’au 3 janvier 1900 après avoir été révoqué dans un exposé fait au conseil du gouvernement fait par le Dr Henriquez y Carvajal, ministre des relations extérieures (Price-Mars, 1995 : 305). Il serait intéressant de vous présenter le contenu général du Traité de novembre 1874.Ce, pour situer les enjeux par rapport aux démarcations de différents Traités et conventions alors signés.
Ainsi le Traité de paix, de commerce, de navigation et d’extradition entre la République d’Haiti et la République Dominicaine du 9 novembre 1874 stipule dans ses articles 1 à 3 les principes de souveraineté collective et définit la volonté des deux Etats à garantir leur intégrité face aux puissances étrangères. Cette mise en garde a été évacuée et enlevée du “sacro-saint” Traité du 20 février 1929.
Les articles 4,5,6,7,8 et 9 traitent du commerce, de la navigation et des échanges avec une emphase sur l’équité et la réciprocité.La compétition avait cédé la place à l’union et la coopération horizontale.La question de l’utilisation des eaux communes n’était pas un enjeu.
Les articles 10 et 11 exonèrent des droits de douane aux produits, garantissent la liberté de commerce dans l’ile. La république d’Haïti met à la disposition de la République Dominicaine une somme de cent cinquante mille piastres en espèces ou en lettres de change sur l’Europe ou les Antilles pour les besoins du service public. Cette somme sera comptée par versement annuel payable d’avance pendant huit ans, durant laquelle période des études statistiques seront faites à la diligence des parties intéressées, dans le but de fixer exactement le chiffre de ce retour, et ce, sans préjudice des avances qui ont pu être faites antérieurement par la République d’Haïti à la République Dominicaine.
L’article 13 traite des réclamations au moment de la scission de 1844.
L’article 14 établit la libre circulation dans l’ile pour des échanges, le commerce et l’industrie, le droit de propriété.
D’autres aspects complémentaires sont abordés dans les articles 15, 16,17,18 et 19. La propriété de navires, leur protection et leur réglementation sont traites dans les articles 20,21,22 et 23.
Les articles 24,25,26,27,28,29,30 et 31, garantissent le droit de résidence et le traitement des agents diplomatiques et la déclaration d’amnistie adoptée suivant l’article 32 pour avoir pris part aux évènements politiques, civils et militaires qui ont eu lieu entre les deux peuples.Quant à l’article 33, les parties sont d’accord à veiller sur leur sécurité face à des intrus pour éviter de semer des troubles. D’autres dispositions sont complétées dans les articles 34,35,36 et 37. D’autres conventions sur le service postal et à la pêche sur les étangs, lacs ainsi que dans l’article 38. Les articles 39 et 40,évoquent les bénéfices du traité à maintenir perpétuellement obligatoires.
La lecon à tirer est la révocation des acquis de l’union existant entre la République dominicaine et Haïti qui attise des conflits frontaliers , au profit des intérêts plutot annexionnistes .Ce qu’avait témoigné l’occupation américaine de l’ile dans le contexte dans lequel est issu le Traité de Paix, d’Amitié et d’arbitrage du 20 fevrier 1929. Le Traité du 20 février 1929 a été sujet à révision pour n’avoir pas satisfait l’intérêt des deux parties.Car la frontière continue à constituer une source de tensions pour être convoitée pour la portée stratégique des ressources qu’elle possède et l’attraction au pétrole et aux mines de métaux prospectés sur la ligne frontalière en question. Ce qui dicte la nécéssité urgente de définir convenablement le tracé frontalier a rapporté Castor (Castor,1987:67).
Le président dominicain dans une annonce publique en date du 17 septembre 2023 à Cuba,lors de sa participation au sommet de G77, a justifié des mobiles de décisions pour la fermeture de frontières terrestes, maritimes et aériennes avec Haïti et d’autres mesures de révocation de visa à des instigateurs qu’il assimile à des anarchistes qui influencent le travail de construction du canal en dehors de l’approbation de l’Etat haïtien. Tout dialogue diplomatique est conditionné, pour lui, à l’arrêt des travaux du canal . Il se propose d’introduire ce différend par devant l’Assemblée des Nations Unies prévues le mois de septembre en cours.
Une corde raide s’établit dans le différend entre la République dominicaine et Haïti autour de l’utilisation de la Rivière Massacre dans la percée d’un canal à des fins d’irrigation de terres agricoles dans la partie haïtienne. Convient-il le recours à l’arbitrage international dans ce différend étant donné la référence faite par les deux parties à une interprétation controversée du même artricle 10 du Traité de Paix, d’Amitié et d’Arbitrage du 20 février 1929? Pour le moment, le président dominicain semble déterminé et a déja anticipé des démarches en ce sens. La réaction de l’Etat haïtien est jugée encore timide pour plus d’un.
Dans le cas haïtien, l’Etat est amputé dans son fonctionnement en l’absence du corps parlementaire.Il se pose une situation de blocage à pouvoir parvenir à un accord durable du fait de l’attente de sa ratification. Aussi revient-il au président d’exercer des prérogatives de relations exterieures pour des actes solemnels de signature de traité, d’accord et ou de conventions.L’Etat haïtien devrait être vaincu par forfait dans toute éventuelle procédure de recours à l’arbitrage.
Il convient de souligner à toutes et à tous que l’arbitrage n’est pas la médiation. Car les résultats d’un arbitrage sont sans appel indépendamment des insastifactions surgies. C’est le moment historique d’interpeller les autorités établies et les citoyennes et citoyens à un sursaut national pour garantir le fonctionnement des trois pouvoirs de l’Etat (l’éxécutif, le judiciaire et le législatif) et professionnaliser les appareils diplomatiques.
Repères bibliographiques
CASTOR Suze (1987), Migraciones y relaciones internacionales (El caso haitiano-Dominicano),Coleccion HISTORIA Y SOCIEDAD No 71,Editora Universaria -UASD,Santo Domingo.
DENIS Watson (sous la direction de ) (2021), Terreurs de frontières-Le massacre des Haïtiens en République dominicaine de 1937, Publications Challenges, Port-au-Prince.
MATTEIS Arthur de (1987), Le massacre de 1937 ou une succession immobilière internationale, Port-au-Prince.
PIERRE, Hancy (2023), “Relations haïtiano-Dominicaine: le contentieux autour du patrimoine collectif de la Rivière Massacre”, In Le Nouvelliste du 14 septembre 2023.
PRICE-MARS Jean (1998), la République d’Haïti et la République dominicaine, Tome II, Collection du Bicentenaire Haïti 1804-2004.Les Editions Fardin, Port-au-Prince.

