28 septembre 2025
Réponse à chaud à Johnny Célestin : Non à l’occupation militaire d’Haïti et vive une transition de rupture
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Réponse à chaud à Johnny Célestin : Non à l’occupation militaire d’Haïti et vive une transition de rupture

Johnny Célestin a publié sur son compte LinkedIn (https://www.linkedin.com/pulse/watchdog-monitor-international-mission-haiti-johnny-celestin/?utm_source=share&utm_medium=member_android&utm_campaign=share_via) un texte en anglais intitulé : Watchdog to Monitor International Mission in Haiti le jeudi 24 août 2023, la veille de la Convention de la diaspora haïtienne.

Le titre même de son texte exprime clairement sa position pour l’envahissement du pays, une fois de plus, par des forces multinationales téléguidées principalement par les États-Unis. Ce texte constitue une réponse à Johnny Célestin. Je veux exprimer mon désaccord avec sa position pour deux raisons. D’une part, parce que ses arguments manquent de fondement, et d’autre part, parce qu’il fait mention de la Convention de la diaspora haïtienne dans laquelle je prendrai part également. En outre, il se peut que cette démarche soit une tentative de manipulation de l’opinion afin d’orienter ce qui va ressortir à la fin de la convention.

Il faut d’entrée de jeu souligner que la « communauté internationale » dominée principalement par l’impérialisme états-unien est tellement décriée en Haïti, qu’elle cherche de « nouveaux visages » pour assurer le « leaderships » d’une nouvelle occupation militaire en Haïti. Avant, on a tenté avec le Canada croyant que le Canada aurait une bonne presse en Haïti. Et maintenant, on essaie avec le Kenya, un pays africain, croyant que cela faciliterait le consentement des Haïtiens et Haïtiennes. La relation historique entre Afrique et Haïti serait un bon prétexte pour articuler une propagande. En ce sens, la machine propagandiste gouvernementale est déjà mise en branle en affichant des banderoles dans les rues avec le slogan « Byenvini Kenya. Lafrik se manman nou ».

Point n’est besoin de revenir sur certaines données relatives à l’insécurité dont M. Célestin a fait mention dans son texte. Il est une évidence pour tous les Haïtiens et Haïtiennes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays que la question de l’insécurité ne cesse de faire des victimes, notamment, dans les classes populaires. Par ailleurs, je dois souligner que l’insécurité est une des formes de manifestation de la « crise » que connait le pays depuis l’imposition du régime bandit légal PHTK par les États-Unis en 2010. Ce qui renforce la dépendance du pays vis-à-vis des puissances impérialistes comme les États-Unis. Il faut rappeler que, l’accession du régime PHTK au pouvoir est une imposition des États-Unis. À ce propos, rappelons-nous de cette déclaration emblématique de René Préval autour des résultats controversés des élections de 2010 dans le film documentaire Assistance mortelle : « Si l’OEA ne va pas dans le sens des recommandations de la mission américaine, nous n’allons pas accepter le résultat des élections… » (https://www.youtube.com/watch?v=jh560iJrBNY).

Ce qui importe maintenant est la question de l’insécurité. Le régime PHTK fait de l’insécurité un marché, un outil de « gouvernance », une prolongation de la force répressive de l’État. Pourquoi ne pas s’interroger sur la provenance des armes et munitions ? Qui profite de cette situation de terreur et de chaos fabriqué de toutes pièces ? Les rapports des organisations haïtiennes de droits humains sur l’insécurité en Haïti expliquent sans langue de bois le rôle joué par des acteurs gouvernementaux dans la propulsion de ce phénomène. Même l’ONU et les pays soutenant le régime de PHTK depuis son accession au pouvoir jusqu’à la version du cynique Ariel Henry, SDP, FUSION, INITE et consorts ont reconnu la responsabilité de hautes autorités gouvernementales dans le chaos fabriqué en Haïti. Référez-vous par exemple aux sanctions imposées par le Canada à des politiciens haïtiens, dont des barons du régime PHTK.

En effet, l’insécurité en Haïti est un phénomène bien pensé, orchestré et mis en exécution dans le but d’atteindre un objectif politique précis. La fabrication de ce chaos constitue une forme de prise en charge de la question KOT KÒB PETWOKARIBE ?. Cette dernière qui a abouti à un mouvement populaire exigeant des enquêtes sur la dilapidation des fonds pétrocaribe a fait peur aux agents du régime bandit légal PHTK ainsi que ses complices internationaux. L’industrie qui produit cette terreur en Haïti répond aussi à l’objectif de mater les revendications relatives aux procès des crimes financiers et de sang. Et pour y arriver, il faut maintenir le pouvoir et mater les luttes populaires. Dans ce cadre, semer la terreur devient une stratégie politique gouvernementale. Donc, l’insécurité est avant tout un problème politique qui exige une réponse politique appropriée. Par conséquent, il nous faut une transition de rupture avec des personnalités au-dessus de tout soupçon afin d’apporter une réponse à ce phénomène.

Vous affirmez qu’il existe un « growing consensus [consensus croissant] » que le pays a besoin d’une « aide internationale » pour contrer la « crise sécuritaire » et la divergence se trouve au niveau de la forme de cette « assistance ». Cette affirmation soulève plusieurs questions. D’abord, cette « aide ou assistance » fait référence à quoi exactement ? Voudriez-vous parler de l’occupation militaire claironnée par certains acteurs de l’ONU et certaines personnalités politiques haïtiennes ne bénéficiant d’aucune légitimité ni de confiance de la part du peuple souverain ? Consensus entre qui ? Consensus au sein de l’ONU ? Consensus au sein du gouvernement de facto et cynique d’Ariel Henri et consorts ? Observant de loin les différents acteurs haïtiens impliquant dans des dynamiques de recherche de solution à la « crise », je ne vois pas ce consensus. L’idée d’introduire une fois de plus et de trop en Haïti des forces multinationales est l’une des questions les plus controversées au sein des acteurs. Je vois que le gouvernement et ses alliés réclament sans cesse, pour se maintenir au pouvoir, une occupation militaire du pays d’un côté, et une grande majorité des acteurs nationaux (organisations syndicales, étudiantes, paysannes, féministes et de femmes, partis, personnalités…) qui condamnent et rejettent l’idée d’une intervention militaire de l’autre côté. De même que vous faites cette homogénéisation/généralisation autour de l’intervention militaire multinationale, vous le faites aussi à propos de l’opposition.

Vous avancez que l’opposition haïtienne est à court d’idées et de souffle. Ce genre d’assertion laisse entendre qu’il existe un bloc homogène constituant une opposition en Haïti. Ce qui est complètement faux. L’opposition en ce moment en Haïti, ressemble davantage à une mosaïque d’acteurs avec des positions et compréhensions non seulement différentes, mais divergentes et opposées du pays ainsi que de la « crise » et de sa résolution. En plus, vous estimez que les « forces opposées à Ariel Henri sont en pause ». Qui sont ces forces ? Comment évaluez-vous ces forces pour affirmer qu’elles sont en pause ? Est-ce que le fait que vous ne voyez pas de grandes mobilisations populaires dans les rues traduit qu’il n’y a plus de lutte, de résistance ou du moins il y aurait une pause ? Partant du principe que là où il y a de l’oppression, il y aura toujours lutte et résistance ; je réfute cette position. Il y a encore des efforts de divers acteurs à maintenir le flambeau de la résistance populaire. Maintenant, on peut toujours s’interroger sur la pertinence d’une série d’initiatives de lutte dans ce contexte actuel, ce qui n’est pas l’objet ici de mes propos. 

Je constate par exemple des activités de solidarité internationale menée par des organisations haïtiennes et internationales, des notes de positionnement, des lettres envoyées à des pays membres de l’ONU, de l’Union africaine, etc. Bref ! Je refuse de juger la pertinence des actions politiques d’une série d’acteurs vivant quotidiennement la situation chaotique et de terreur imposée au peuple haïtien. Contrairement à votre position, je crois que le fait même que le peuple souverain malgré les tribulations de la vie cherche et crée toujours une joie de vivre exprime la résistance et les luttes quotidiennes de ce peuple. À mon avis, le peuple souverain a presque tout fait pour exiger l’établissement d’une véritable transition de rupture menant à une société juste, équitable et équilibrée.

Si effectivement comme vous le soulignez, les « forces de sécurité haïtiennes » auraient manqué de personnels et de fonds pour répondre à la question que se pose tout le monde aujourd’hui : que faire par rapport à la situation de terreur que PHTK et ses alliés/complices nationaux et internationaux ont instauré en Haïti ? Dans ce cas, serait-ce nécessaire de mobiliser des forces multinationales pour simplement augmenter le personnel et donner les fonds nécessaires à Haïti pour résoudre l’insécurité ? Vous expliquez que selon UNDOC sur 14 000 policiers actifs, seulement 9000 sont opérationnels. Ce qui équivaut à 1 policier pour 1200 habitants. Selon vos propos, la police nationale ne dispose pas d’équipement et de formation nécessaires pour lutter contre les gangs.

D’abord, la question du ratio de policier par habitant est largement insuffisante pour expliquer la situation de sécurité ou d’insécurité dans un pays. Si vous prenez le temps de bien observer, vous vous rendrez compte que certaines zones du pays n’ont même pas de présence policière, et en même temps les gens n’ont pas connu cette terreur actuelle. Un autre point, la région métropolitaine de Port-au-Prince assiégée par les gangs d’États concentrent quand même une bonne partie des effectifs de la police. Ceci pour dire que le simple ratio police/Hab ne peut pas expliquer la situation chaotique actuelle du pays et ne saurait justifier conséquemment l’occupation militaire du pays par une force multinationale.

Si je vous suivais dans la mobilisation des chiffres et des comparaisons, là encore vos arguments ne sauraient tenir. Par exemple, les pays modèles (États-Unis et République dominicaine) que vous prenez pour comparer et montrer la nécessité d’une force d’occupation en Haïti, je pourrais dire que malgré leur haut ratio police/Hab cela n’empêche pas que ce sont aussi des pays qui ne sont pas si paradisiaques sur le plan sécuritaire. Par exemple, « En moyenne, 40 620 personnes meurent chaque année par arme à feu aux États-Unis, selon l’organisation Everytown For Gun Safety […]. »(https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/2022-05-25/la-violence-par-arme-a-feu-atteint-des-proportions-terrifiantes.php#) Concernant votre référence à la ville de New York, « Pour le premier trimestre 2022, c’est-à-dire du 1er janvier à début avril, le nombre de fusillades et coups de feu à New York a augmenté de 260 à 296 par rapport à la même période de 2021, selon des chiffres du NYPD, la police locale […]. » (https://www.tf1info.fr/international/contexte-etats-unis-fusillade-a-new-york-dans-le-metro-blesses-par-balle-la-ville-confrontee-a-une-hausse-de-la-criminalite-depuis-la-pandemie-de-covid-19-2216472.html) Quant à la République dominicaine, pour l’année 2023 les données de NUMBEO indiquent que son indice de criminalité  et de 61,13 tandis que son indice de sécurité est 38,87 (https://fr.numbeo.com/criminalit%C3%A9/classements-par-pays). Malgré le ratio police/Hab de ces pays, ce constat montre encore une fois que l’insécurité n’est pas a priori une question militaire et/ou policière. Il s’agit avant tout d’un problème politique et il faut un gouvernement avec une volonté politique claire et déterminée à « dégangstériser » le pays et rétablir un climat sécuritaire et de paix. Cette gymnastique pour justifier une occupation militaire du pays ne tient pas.

Je m’interroge en plus sur cette idée préconçue que les forces policières en Haïti sont incapables de répondre à cette conjoncture de terreur et de chaos. La violence des gangs ne constitue-t-elle pas aujourd’hui un outil entre les mains du gouvernement pour justifier une intervention militaire ? Comment peut-on être sûr de l’incapacité de la police nationale à rétablir la sécurité et la paix dans le pays si à aucun moment il n’y a eu une volonté politique manifeste de la part des autorités pour mater les gangs ? Vous ne vous rappelez pas que les gangs ont l’habitude de se manifester ouvertement dans les rues et sans crainte ? À quel moment donné, il y a eu une stratégie gouvernementale et policière déployée pour combattre effectivement les gangs ? Et on constaterait que malgré tous les efforts exercés par la police et le gouvernement, les résultats sont peu et du coup la police est dans l’incapacité de répondre au problème.

Un appel à collaborer avec l’occupant sous prétexte que c’est inévitable. Les occupants trouvent toujours des collabos, de 1915-1934 aux plus récentes occupations comme la MINUSTAH/BINU qui a introduit le choléra en Haïti, viole de jeunes garçons et filles et fait des massacres dans des quartiers populaires. Cette collaboration a donné quoi comme résultat ? En quoi elle a contribué à améliorer la situation du pays ? Au contraire, elle nous a donné un régime qui s’est autoproclamé bandit légal qui a dilapidé plus de 4 milliards de dollars et a ses actifs environ une vingtaine de massacres dans les quartiers populaires. Aujourd’hui les agents de ce groupe PHTK font tout pour se maintenir au pouvoir afin d’éviter des procès contre leur crime financier et de sang. Ils sollicitent sans gêne une intervention militaire.

Je demeure convaincu qu’il revient au peuple haïtien de prendre souverainement en main son destin. Je crois que cela passe nécessairement par une transition de rupture qui se fait par la mise en place d’un gouvernement avec des personnes crédibles, honnêtes et capables de défendre les intérêts du peuple haïtien face à quiconque, qu’ils soient États-uniens, Français ou Canadien. Cette transition de rupture doit créer les conditions nécessaires au rétablissement de la sécurité, lancer un processus donnant lieu au procès des crimes de sang (notamment divers massacres dans les quartiers populaires et assassinats des militants et militantes) et financier (Petrocaribe, CIRH…), rompre avec le cadre néolibéral imposé au pays, créer des conditions sociales, économiques et sécuritaires pour que les personnes déplacées par les gangs puissent rentrer chez elles tout en leur octroyant tous les soutiens nécessaires à cette fin, prendre le contrôle effectif de tous les ports, aéroports et frontières du pays… Non, la seule réponse possible à cette situation chaotique et de terreur ne soit pas une force militaire multinationale. Le pays a fait plusieurs expériences en ce sens, les résultats sont toujours catastrophiques pour le peuple haïtien. Non à une occupation militaire d’Haïti, vive une Haïti souveraine, vive une transition de rupture.

Walner Osna

Voir

Chabannes R (2021) « C’est au peuple haïtien de prendre souverainement en main le pays », estime un sociologue. Available at : https://onfr.tfo.org/cest-au-peuple-haitien-de-prendre-souverainement-en-main-le-pays-estime-un-sociologue/ (accessed 24 August 2023).

Lucien GE and Osna W (2023) Gangstérisation d’Haïti : du contrôle territorial au démantèlement des mouvements populaires. France Amérique Latine Magazine FALMAG, April.

Osna W (2021a) Haïti : de la domination simple à la domination complexe. Histoire Engagée : 14. Available at : http://histoireengagee.ca/haiti-de-la-domination-simple-a-la-domination-complexe/.

Osna W (2021 b) Haïti : violences, insécurités et terreur : | Plateforme altermondialiste. Available at : https://alter.quebec/haiti-violences-insecurites-et-terreur/ (accessed 23 April 2021).

Osna W and Derolus P (2021) Haïti : Core group, extractivisme et dictature. Available at : https://alter.quebec/haiti-le-core-group-extractivisme-et-la-dictature/ (accessed 24 August 2023).

Osna W and Lucien GE (2021) Haïti : mobilisations urbaines contre la dictature. Available at : https://alter.quebec/haiti-mobilisations-urbaines-contre-la-dictature/ (accessed 19 August 2021).

REHMONCO R des H de M contre l’Occupation d’Haiti (2023) Haïti : instrumentaliser la violence des gangs pour justifier une occupation militaire. Available at : https://alter.quebec/haiti-instrumentaliser-la-violence-des-gangs-pour-justifier-une-occupation-militaire/ (accessed 24 August 2023).

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