Sommet inter-haïtien à Jamaïque : l’Accord Montana fait des recommandations

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Déclaration à l’occasion du sommet inter-haïtien sous les hospices de la CARICOM à Kingston Honorables Membres du Comité de Facilitation

12 juin 2023 ((rezonodwes.com))–

Chers compatriotes, Haïtiennes, Haïtiens, citoyennes, citoyens Mesdames, Messieurs Le 20 mai 2023, un jeune homme en désespoir, Karl Udson Azor, 48 heures après la visite du Dr Henry pour célébrer le drapeau à Cap-Haitien, installe sa chaise basse aux pieds du monument historique des Héros de Vertières, soigneusement déploie le drapeau haïtien sur les marches du monument, y range méticuleusement son sac, ses chaussures, puis calmement s’assoit, et comme une onction sacramentelle, se oint d’essence et s’immole, sans un soupir… Nous sommes ici au nom de ce désespoir, et permettez, Monsieur le Président de Séance que l’Accord de Montana par ma voix sollicite de l’assistance qu’elle se lève et accorde 30 secondes de silence en mémoire de Karl Udson Azor à qui nous dédions notre intervention. Merci

 Nous remercions la CARICOM pour cette initiative que nous saluons et pour la qualité de son accueil. Oui à cette invitation, malgré ses multiples manques, parce que nous nous rappelons que nous portons en commun les blessures de « la traite, la déportation, l’esclavage, le collectif ravalement à la bête, le total outrage, la vaste insulte que tous, nous avons reçu, plaqué sur le corps, au visage l’omni-niant crachat » (Aimé Césaire). Oui aussi parce que nous portons en commun l’exigence de la réparation pour ce crime abominable. En commun, aujourd’hui, la calamité de l’insécurité et de la violence engendrées par la prolifération des armes et des munitions d’origine étasunienne qui génèrent là-bas la prospérité et ici la mort. L’avenir de mon pays est intimement lié d’abord à celui de sa région caribéenne dans laquelle son intégration responsable devra être effective et efficace. Oui enfin, parce que tout simplement, cette initiative est en concordance avec ce que nous avons initié, il y a maintenant 2 ans et 4 mois, en février, à la Commission pour la Recherche d’une Solution Haïtienne à la Crise.

Après plusieurs mois de concertation, de dialogue, de compromis, l’accord dit de Montana prit naissance dans ce formidable rassemblement d’acteurs tant de la société civile que des partis politiques, défiant cette assertion que les Haïtiens s’entre-déchirent, qu’ils sont incapables de se mettre ensemble. Et depuis plus 2 ans, dans un contexte d’adversité nationale et internationale, malgré les mensonges et les manipulations, des puissances dominantes sous-traitées par le BINUH, nous sommes fermes à la barre, luttant pour la démocratie et l’Etat de droit. Nous n’avons cessé de solliciter les négociations politiques, nous rencontrons régulièrement la majorité des compatriotes qui sont dans cette salle, nous avons toujours répondu présents à toutes les invitations à dialoguer, avec ou sans facilitateur, nous répondrons favorablement partout, chaque fois qu’il s’agira de discuter de la crise haïtienne, dans toutes ses dimensions, avec sérieux et respect.

Non Docteur Henry, absent de cette salle, nous n’avons pas eu besoin de la Jamaïque pour dialoguer. Nous nous sommes rencontrés 3 fois à votre résidence officielle, une dizaine de fois à la mienne (pas officielle), au moins 6 fois dans d’autres lieux. Et chaque fois, le blocage est venu de l’attitude du Messie que vous avez eue dans vos propos ce matin qui rappellent une phrase biblique « Venez à moi mes petits-enfants, vous tous qui êtes chargés et fatigués, JE vous soulagerai.»

Le contrôle de la majeure partie du territoire par les groupes criminels, l’amplification de la violence et particulièrement contre les femmes et les filles, l’émigration tous azimuts des Haïtiens vers la République Dominicaine, les pays de la Caraïbe, de l’Amérique latine, et les États-Unis, la Turquie, etc et la quasi-impossibilité de la circulation des biens et des personnes sur le territoire, traduisent : – la déliquescence institutionnelle devenue une constante dans cet État caractérisé par un haut degré de corruption et des pertes importantes dans les institutions de collecte de revenus de l’État, les sanctions, nécessaires et bienvenues, imposées à des grands commis ou de haut fonctionnaires de l’État par d’autres pays, légitiment la perte de confiance de la population dans ses dirigeants: – le crime organisé transnational, dans une coalition entre les secteurs mafieux de l’élite économique et politique nationale et des secteurs mafieux internationaux, qui a ouvert la voie à la libre circulation de trafic illicite d’armes, de munitions, de personnes humaines, de drogue et à la contrebande. – Quatre ans suivis de croissance économique négative résultant de la mauvaise gouvernance et les troubles politiques y associés.

Plusieurs pans de l’économie ont subi des pertes énormes, tant dans la sous-traitance que dans le secteur agricole, avec des difficultés d’approvisionnement, et des pertes de récolte pour les quelques productions réussies. Les ménages survivent à peine avec un taux d’inflation de 50%. Il en résulte une paupérisation accrue des couches moyennes et des masses déjà défavorisées.

De fait, le pays est au bord d’une catastrophe avec 49% de la population en situation d’insécurité alimentaire. Le chaos n’est pas moindre à la tête de l’État. Un gouvernement de facto, se perpétuant au pouvoir sans provision légale ou constitutionnelle et surtout sans un consensus réel avec la société. Ce fameux article 149 évoqué pour justifier le mandant du premier ministre -qui n’a pas été ratifié par un parlement- lui ordonne d’organiser des élections entre 90 et 120 jours. Cela fera bientôt deux (2) ans qu’il est en fonction…

Après 2 accords non respectés par ceux-là même qui les ont conçus, celui du 11 septembre et celui du 21 décembre, qui n’a fait que renforcer le pouvoir personnel de Monsieur Henry avec un HCT fait de conseillers, ce pouvoir invoque à sa faveur « la théorie des formalités impossibles ». Un pouvoir anti-démocratique, autocratique, concentrant entre les mains d’un seul homme, toutes les décisions de l’État, sans aucun contrôle. Un premier ministre à la fois président, ministre de l’intérieur, ministre de la défense, chef du conseil supérieur de la police nationale, ne rendant compte à personne, à aucune institution.

Nous en connaissons le bilan de crime, de sang, de corruption, d’impunité, de désintégration sociale et nous subissons le soutien inconditionnel apporté à cet autocratisme par la communauté internationale. Mais il ne faut pas s’y méprendre ! Les travers que nous connaissons aujourd’hui ne sont point du fait d’une absence de consensus, ainsi que veut le faire croire le discours dominant. Nous ne sommes point dans une situation de conflits classiques entre des groupes. La mise d’Haiti sous tutelle a créé un État monstrueux caractérisé essentiellement par sa soumission à l’international et son acharnement contre la société. Le conflit est entre l’État et la nation.

Et cette situation exige que soient à exclure les solutions cosmétiques, empressées, ignorantes de sa complexité et rendant la crise récurrente. Ce n’est pas par manque de consensus que les villes croulent sous les déchets, ce n’est pas par manque de consensus que les canaux ne sont pas curés et que la moindre pluie provoque des inondations et des pertes de vie, que les écoles ne fonctionnent pas, que les hôpitaux, les rares qui sont ouverts, n’en portent que le nom, que le carburant quand il est disponible n’est pas distribué, que les tribunaux fonctionnent entre un et trois mois, que la faim gagne, que la mort est partout, que les gangs étendent leurs territoires, qu’autant de femmes et de fillettes soient violées, Aucune force d’opposition ne bloque les initiatives du gouvernement, il n’existe tout simplement pas d’initiative.

Aucun gouvernement, depuis les 3 dernières décennies, n’a bénéficié d’un tel boulevard, sans blocage, pour mener ses politiques publiques. Ce gouvernement tout simplement ne gouverne pas ! Il est celui qui profite de ce règne du crime, de la terreur instaurée par les gangs et de l’impunité. Si l’absence de consensus n’est pas la cause de notre marasme, pourquoi alors le réclamons-nous ? Parce que la souffrance nous somme d’agir et que la voie que nous avons choisie pour cela, pour arrêter cet enlisement dans l’enfer, est pacifique. Et que seul un consensus entre les forces vives, sociales du pays, dans le dépassement des intérêts de groupe ou de classe, permettra à la nation de reconquérir sa souveraineté, et rompre avec ce règne abject. C’est seulement ainsi que nous pourrons mettre en branle notre capacité nationale, soutenue par un nouveau pacte de coopération avec l’international, à résoudre nos maux de manière durable, en particulier la question sécuritaire, ayant tiré les douloureuses leçons des interventions étrangères.

Pour y parvenir, nous proposons que ce consensus s’attèle à :

i. Rétablir sur une base consensuelle, transitionnelle et dans l’esprit de la Constitution de 1987, les 3 pouvoirs de l’État avec un Exécutif bicéphale ; les contours exacts de cet exécutif bicéphale feront aussi l’objet d’une recherche de consensus.

ii. Constituer une autorité de contrôle de l’action du gouvernement.

iii. S’assurer que l’autorité gouvernementale et l’organe de contrôle du gouvernement de transition disposent d’une légitimité sociale.

iv. Instaurer un gouvernement de transition de rupture avec les mauvaises pratiques de pilotage et d’administration de l’État et qui prend en compte les revendications de la société.

v. Rétablir le système judiciaire dans la plénitude de son indépendance et autonomie sur base d’une entente politique et rouvrir les tribunaux qui ne fonctionnent.

vi. Réaliser la Conférence nationale souveraine, y compris les questions en lien avec la Constitution et les partis politiques dans son cadre de référence.

vii. Établir deux (2) Commissions de Vérité et Justice sur : les crimes financiers et les crimes de sang.

viii. Réduire de manière drastique l’insécurité et démanteler les gangs armés et leurs fournisseurs.

 ix. Réviser le système électoral afin d’assurer la nationalisation du processus électoral et la réalisation d’élections souveraines, démocratiques, participatives et transparentes.

Le défi de cette refondation passe par la Conférence Nationale, ce temps nécessaire pour nous parler, pour définir le pays que nous voulons faire advenir, ce temps de pause pour panser nos blessures de ces dernières années de traumatisme, pour rétablir la sérénité, pacifier, resserrer les rangs avec notre diaspora, pour nous adonner à la réappropriation de notre territoire, redonner le droit au rêve à notre jeunesse, pour mieux vivre ensemble, pour nous aimer, simplement….

Les élections dans cette atmosphère délétère ne feraient qu’intensifier les tensions existantes. Cet aventurisme électoraliste précipité, qu’on veut nous présenter comme la solution à la crise, ne fera qu’accentuer la dérive actuelle et renouveler le chaos en l’amplifiant. Oui à des élections qui ne sont plus source de notre instabilité politique mais qui installent Haïti dans une ère durable, irréversible de stabilité, redonnant confiance à la population, aux investisseurs pour créer des emplois, faire renaitre la vie sociale, culturelle et économique. Ce rendez-vous consensuel prôné se fonde sur les valeurs et principes qui suivent :

 x. Préparer et amorcer la relance des activités économiques, sociales et culturelles. xi. Jeter les bases pour mener la lutte systématique contre la corruption et l’impunité.

– Le rejet de la violence comme moyen d’expression politique et le recours au dialogue et à la concertation pour le règlement des différends ;

– Le respect de la souveraineté de l’État ainsi que de sa forme républicaine et son caractère démocratique et laïque ; – Les principes d’égalité, de liberté, de dignité de la personne humaine et le caractère inaliénable des libertés et des droits fondamentaux ;

– la lutte contre la corruption et l’impunité ;

– La transparence et la reddition de compte. Nous pouvons ensemble écrire cette nouvelle page.

Merci pour votre attention.

 Que vive Haïti ! Pour l’Accord du 30 août 2021 dit Accord de Montan

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