L’Édito du Rezo | PetroCaribe-Haïti : l’ancien Premier ministre PHTK Laurent Lamothe doit être jugé pour corruption active

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8 juin 2023

Le vendredi 2 juin 2023, par la voix du secrétaire d’Etat, Antony Blinken, les États-Unis ont annoncé avoir sanctionné l’ancien Premier ministre PHTK Laurent Lamothe (2012-2014), pour avoir « détourné au moins 60 millions de dollars du fonds gouvernemental de protection sociale et d’investissement dans les infrastructures PetroCaribe pour son bénéfice personnel »[1]. En conséquence, « le gouvernement des États-Unis [lui] a interdit […] d’entrer sur son territoire pour son implication dans des activités de corruption ‘‘significatives’’ dans son pays »[2].

Sans doute sonné comme un coq qui a reçu « yon move kout zepon », l’ancien locataire de la primature – et passionné par les révocations via BBM (Blackberry messenger) – a un peu traîné à réagir. Le samedi 3 juin, il a sorti une note de protestation pour rejeter les sanctions étatsuniennes. Sa stratégie repose principalement sur deux arguments : le premier consiste en une tactique classique des dirigeants sanctionnés laissant entendre que la décision des autorités étatsuniennes – comme celles du Canada qui l’avaient également sanctionné, il y a quelques mois, pour les mêmes raisons de corruption et d’implication dans l’instabilité politique en Haïti – « ne repose[rait] pas sur des preuves factuelles, mais sur des rumeurs recyclées [par ses opposants politiques] […] ». Or, il sait pertinemment que ces deux pays – qui dictent leur loi dans l’organisation de la vie sociopolitique haïtienne – détiennent des informations clés sur les malversations politiques et financières des différents acteurs et entités opérant en Haïti et qu’ils ne sauraient prendre de telles sanctions à la légère.

Quant au second argument, il s’agit d’une affirmation fallacieuse. L’ancien dirigeant Tèt Kale tente, en effet, de discrétiser le fondement même des sanctions nord-américaines en faisant valoir un pseudo-satisfecit qu’il aurait reçu de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) pour sa gestion jugée saine et responsable du fonds PetroCaribe. Or, selon les conclusions du rapport de la CSCCA sur la gestion des fonds d’urgence débloqués – à partir du Programme PetroCaribe –, à la suite du passage de l’ouragan Sandy en 2012 sous le gouvernement Martelly-Lamothe, près de 4 milliards de gourdes de ces fonds d’urgence décaissés par le ministère de la Planification et de la Coopération externe (MPCE) dirigé par le Premier ministre Laurent Lamothe se sont évaporés. Celui-ci doit, en conséquence, dire au peuple haïtien où sont passés ces 4 milliards de gourdes que la CSCCA soupçonne d’avoir été détournées !

À dire vrai, cet ancien chef de gouvernement Tèt Kale-Bandi legal ment éhontément à la nation haïtienne dans sa note de contestation des sanctions étatsuniennes pour corruption active. Au regard de ce rapport de la CSCCA – pour ne citer que celui-là –, il a bel et bien été un Premier ministre PHTK 1 gagotè – dilapidateur !

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Il revient désormais à la justice haïtienne – ou ce qu’il en reste de probité dans ce pays où les institutions politiques sont elles-mêmes corrompues jusqu’à la moelle épinière – de lancer les procédures nécessaires à la poursuite de Laurent Lamothe pour corruption active. Certes, tant qu’il n’est pas encore jugé puis condamné, il demeure présumé innocent dans cette gigantesque affaire de corruption, mais il doit arrêter une fois pour toutes de prendre les Haïtiens pour des idiots en se présentant comme un soi-disant gestionnaire exemplaire des finances publiques alors qu’il semble bien avoir trempé dans des actes de corruption à grande échelle aux dépens de l’État et donc du bien-être collectif.

Dans cette optique, les autorités judiciaires haïtiennes doivent rompre leur silence pesant dans ces affaires de corruption qui rythment la vie politique haïtienne depuis ces derniers mois, et faire preuve d’intégrité et d’impartialité en diligentant une enquête. À cet égard, il faut qu’elles sollicitent de toute urgence la coopération des États-Unis et du Canada ainsi que celle de l’Union européenne et de l’Union africaine – sans oublier d’autres pays ou régions abritant des paradis fiscaux dans lesquels Laurent Lamothe pratiquant l’évasion fiscale à haute échelle détiendrait des comptes bancaires pour échapper à tout contrôle fiscal, selon l’enquête internationale des Pandora Papers.

Il faut, en effet, régler au plus vite le cas de cet ancien Premier ministre – et homme d’affaires multimillionnaire, dirigeant de la nébuleuse Global Voice, déjà mis en cause, par le passé, pour corruption dans des affaires de pots de vin versés à des dirigeants en Afrique (Sénégal, Congo, Centre-Afrique, Guinée…) pour instituer un système de taxation des appels entrants dans ces pays (Haïti Liberté, 9 juillet 2011). En même temps, il importe de s’occuper des autres personnalités également sanctionnées pour corruption et autres faits délictueux, à l’instar de son ancien patron, l’ex-président Sweet Micky Joseph Michel Martelly (PHTK 1).

Le temps est venu de mettre fin à cette impunité généralisée dont jouissent les membres de l’« élite la plus répugnante du monde » – pour citer le New York Times –, soupçonnés de corruption au vu et au su de tout un peuple vivant dans une misère de plus en plus insupportable.

Le sort du peuple haïtien incombe d’abord aux Haïtiens eux-mêmes. Par conséquent, les acteurs de la société civile organisée et particulièrement les associations, les syndicats, les intellectuels… engagés de manière consciencieuse et intègre dans la lutte pour le relèvement d’Haïti doivent plus que jamais contribuer collectivement et patriotiquement, par des formes de dénonciations, de résistances et d’actions innovantes, à nettoyer les écuries d’Augias, en poussant les institutions politiques de la République à prendre leurs responsabilités.

C’est ainsi que l’on parviendra à la réalisation de l’indispensable procès PetroCaribe. Procès auquel l’ancien Premier ministre PHTK Laurent Lamothe, Joseph Michel Martelly et de nombreux autres accusés – au-delà des Tèt Kale-Bandi legal, premiers concernés – devront répondre tôt ou tard de faits de corruption active.  


[1] Rezo Nòdwès, « PetroCaribe/Odebrecht : Laurent Lamothe sera-t-il arrêté et jugé pour corruption comme les 2 fils de l’ex-Président du Panama Martinelli ? », 4 juin 2023.

[2] Ibid.

caricature: Castro Desroches

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