QUAND DIBANGO FAIT TOMBER LE MASQUE DE L’HYPOCRISIE

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Jean de la Fontaine, Les Animaux Malades de la Peste
Il ne fait aucun doute, c’est Dibango Dibanga qui domine ces derniers jours les débats sur les plateformes sociales. Du moins, dans le milieu haïtien. Les utilisateurs s’en donnent à cœur joie, déchirés – à tort ou à raison – par la polémique que suscite une fois de plus l’attitude controversée de ce jeune homme dont certains pointent du doigt l’implacable audace et d’autres, la précoce ingéniosité. Des personnalités médiatiques se sont même mêlées de la partie, affichant à hue et à dia leurs opinions sur le cas Dibango.
Au fait, ma curiosité m’a amené à en apprendre beaucoup plus de ce personnage énigmatique, suite aux remous sur les réseaux sociaux provoqués, il y a seulement quelques mois, par ce phénomène.
Dibango Dibanga, nom de scène adopté en 2022 par l’adolescent haïtien qui, à ses débuts, était simplement connu sur TikTok comme Ralph Le Chanteur, est aussi le titre d’une musique africaine qui cartonne depuis des mois. Le tube « Dibango Dibanga » est chanté par l’artiste ivoirien Bello Falcao et le vidéoclip a déjà généré plus de 18 millions de vues sur YouTube.
Pour l’édification de tous, le hit Dibango Dibanga n’est pas un hommage au célèbre saxophoniste camerounais Emmanuel N’Djoke Dibango, dit Manu Dibango. Selon le chanteur Bello Falcao, « Dibango » est un surnom moqueur que ses potes et lui ont attribué à Ali, un ami avec qui ils jouaient au Ludo et qui habitait dans un petit quartier voisin du nom de Dibango, à Adjamé Williamsville (en Abidjan à Cote d’Ivoire) ». Sans arrière-pensée, un jour durant les séances de Ludo, Bello Falcao a attaché « dibanga » au sobriquet Dibango qu’il venait de donner a Ali, « …j’ai dit ‘dibango dibanga’ et les amis ont kiffé dessus ; ça faisait rire en fait, on se moquait de Dibango…’’. Puis peu de temps après ‘’…j’ai improvisé un freestyle dessus (avec le nom) et je l’ai lancé, les gens ont aimé ça sur Instagram et c’est parti comme ça…’’ a révélé Bello Falcao au cours d’une entrevue avec BRUT.
Après avoir été contacté par Sony Music Afrique pour enregistrer la version studio de Dibango Dibanga, Bello Falcao a lancé un challenge sur TikTok et c’est de là que s’est accru la popularité de la chanson à travers le monde.
Ralph le Chanteur (l’adolescent peu connu, mais en quête de notoriété) qui interprétait auparavant des chansons à succès de certains artistes haïtiens sur TikTok, a aussi pris part au « challenge » de Bello Falcao sur ce populaire réseau social. Et peu de temps après, il a aussi opté pour un changement de nom sur les plateformes en ligne. Il devient Dibango et emprunte l’accent africain. Et c’est à partir de ce moment que sa popularité commence aussi à accroitre.
On retrouve depuis lors un Dibango qui enfile à chaque fois une robe représentative de la culture et de l’identité qu’il revendique, entonnant sur TikTok/Facebook des refrains aux couleurs africaines, allant même jusqu’à communiquer, dans un français aux accents ouest-africains et une certaine aisance – non sans faute – avec son audience tout en affichant les drapeaux de divers pays dont celui d’Haïti, lors de ses séances d’interprétations.
A dire vrai, à force de persévérer dans son jeu et de bien le jouer, je dois avouer que j’avais du mal de prime abord à sortir de l’enchevêtrement identitaire qu’il a su si bien créer autour de lui. Est-il haïtien ou non, me suis-je demandé ?
En dépit du fait que ses “followers” insistaient sur son haïtianité présumée, mais non revendiquée, le doute persista. On le fait passer pour un imposteur. Parmi les abonnés de sa page, des contempteurs essayaient souvent de lui parler ou d’afficher des messages en créole durant les « live » de Dibango. Pendant un certain temps, il persiste et signe. Il ne décline aucune nationalité ; il ne se dit non-Haïtien, non plus. La confusion totale. Quel talent pour un ado! C’est bien ce mystère – difficile à percer par les uns et les autres – qui a aidé Dibango à pousser son agenda.
Au fil des mois, les messages qui lui étaient directement adressés durant ses prestations « live » commençaient à prendre une allure injurieuse. Les participants, frustrés que Dibango n’a toujours pas admis qu’il soit de nationalité haïtienne, profèrent des propos déplaisants à l’égard du jeune homme. Et comme tout bon acteur pris au dépourvu dans une scène où il doit s’en tirer avec succès de l’affaire, Dibango affiche toujours l’air de ne rien comprendre en créole. Il reste impassible. Quand les fans insiste qu’il révèle sa nationalité, il promet de le faire seulement lorsque son compte TikTok aurait atteint 1 million d’abonnés et continue d’encourager les gens à s’y abonner.
Un peu plus tard, une courte vidéo devenant virale. On y voit Dibango participant à un spectacle de Tony Mix à l’invitation de ce dernier. Le natif de Mirebalais chante brièvement en créole. Il s’adresse aussi au public dans notre bon vernaculaire. Le doute sur son identité commençait ainsi à se dissiper. Une autre vidéo affichant un Dibango furieux, s’exprimant en créole et insultant ses détracteurs haïtiens, n’avait pas pris du temps pour faire le tour des réseaux sociaux.
Pourtant, cela ne suffit pas à calmer son ardeur. Il continue à jouer au plus malin avec son audience. Et quand un fan ou un détracteur l’interpelle en créole ou lui crache des mots vulgaires ou triviaux, Dibango réagit étonné, confus, pensif, comme s’il essaie péniblement, mais sans succès, de comprendre le message qui lui est adressé. Ce qui a d’autant plus incité la colère de plus d’un au point que des menaces de toutes sortes lui étaient proférées. Des réfractaires sont même passes à l’acte, et sont allés jusqu’à reporter son premier compte TikTok au point qu’il en perdit complètement l’accès.
Novembre 2022. Dibango répond indirectement aux curieux qui veulent savoir d’où il vient. Sa chanson est reprise en boucle. Sarcastiquement, il affirme être extraterrestre. Il dit que sa fierté se trouve dans son cœur et sa nationalité sous sa peau.
Il a maintes fois soutenu qu’il ne parle pas créole et a agi de la sorte. Sans toutefois nier être haïtien, par ses propos ou ses manières de faire semblant qu’il ignore tout d’Haïti, à part le nom, ou quelques rares chansons et artistes, on peut insinuer que Dibango rejette qu’il soit Haïtien.
Qu’il s’agisse d’une comédie de mauvais goût ou que Dibango ait un agenda bien déterminé pour continuer à se cacher derrière cette image, ce personnage, qu’il commença à jouer depuis l’été 2022, alors qu’il avait 17 ans, c’est bien à douter qu’il agisse tout seul. Et si le plan, c’était d’utiliser ce mécanisme manipulateur comme un coup de marketing pour créer le buzz, la controverse et la frustration afin de se propulser au-devant de la scène même sans aucun hit, il a indubitablement réussi. Stratégie payante. Dibango ne laisse personne indifférent.
« Good news, bad news, still news« , clame souvent le chanteur Gazzman Couleur. Le journaliste et acteur franco-russe Léon Zitrone a rendu célèbre la théorie suivante « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi ! » Est-ce la stratégie adoptée par Dibango et son équipe ? Si oui, ça semble marcher, même quand il en découle certaines répercussions négatives. Dibango est devenu un personnage clivant.
L’ancien journaliste, devenu analyste politique, Daly Valet, a appelé au boycottage de Dibango. Il estime que c’est “un malandrin sans aucun talent” à qui les promoteurs haïtiens doivent donner une leçon pour ses dérives. L’animateur Guy Wéwé, de son côté, voit en Dibango “un sans-niveau” qui n’aurait dû jamais se trouver dans ses parages durant l’événement musical à New York, dénommé La Nuit Des Jeunes. Il va même jusqu’à traiter de médiocre le jeune homme. D’autres critiques et détracteurs vont encore plus loin pour dire que Dibango est un apatride, un acculturé, un imposteur qui trahit sa patrie, qui minimise sa langue, sa culture, etc… Ce groupe anti-dibangoesque est d’avis que le type doit être banni de toute activité musicale ou culturelle haïtienne.
La sortie pitoyable de ces « censeurs autoproclamés » expose ouvertement l’hypocrisie de l’Haïtien vis-à-vis de son compatriote quand ils ne se retrouvent pas tous les deux sur la même longueur d’ondes. Le crime abominable commis par Ralph est simplement son refus de s’exprimer en créole et d’avouer qu’il est Haïtien. Y a-t-il dans le comportement de Dibango un manque de fierté haïtienne, une sorte de crise d’identité ou un complexe d’infériorité ?
Dibango est-il un Haitien sans identité ? Sur quoi se les calomniateurs pour tirer une telle conclusion ?
Si oui, il est peut-être le plus décrié de tous les temps, mais certainement pas le premier, et je doute fort qu’il soit le dernier. Si c’est à partir des vêtements qu’il porte, les chansons africaines qu’il interprète dans ses « live » que les critiques s’acharnent sur sa petite personne pour le trainer dans la boue, l’argument ne tient pas.
Si le fait de s’habiller en robe africaine et de prétendre être du continent africain est une insulte à Haïti, faisons donc une rétrospection dans le HMI pour voir si c’est nouveau. En grandissant dans les années 90s, j’ai vu des centaines de jeunes avec leurs “dreadlocks”, leur tenues de “Rastafari”, parler le patois jamaïcain, chanter la musique reggae ou ragamuffin, et même ajouter « jamaican » à leurs sobriquets. Était-ce une trahison à la mère-patrie ? Non, la musique est universelle, ils avaient et ont encore le droit de tenter d’adopter une musique qui enchante leurs cœurs, s’habiller et se coiffer comme bon leur semble. De surcroît, tout aspirant artiste ou artiste confirmé a le droit d’explorer d’autres univers musicaux et choisir le style de chanson qui lui convient le mieux.
« Dibango pa vle pale kreyòl e pran pòz li pa konprann kreyòl » c’est de l’outrage à la langue et le rejet de sa propre culture, » rouspètent d’autres. Ne pas vouloir s’exprimer dans sa langue maternelle pour s’adresser à ses frères et sœurs haïtien.ne.s, serait-ce un crime abominable ! La langue n’est-elle plus un outil de communication ?
Dans un autre ordre d’idées, un ami sur Facebook m’a envoyé cette semaine un clip vidéo où répondant à une question moqueuse en créole, Dibango, après un court silence, l’air abasourdi, affiche un sanglant « votre putain de langue ». Là, j’admets que Dibango a commis une impertinence, car quand bien même il serait d’une autre nationalité, un artiste ne doit jamais insulter la langue d’un pays. Je condamne son manque de jugement et cette réaction qui étale au grand jour son immaturité.
Tout comme Dibango, bon nombre de mes contacts, parmi les haïtiens les plus instruits, ne publient que rarement en créole sur les réseaux sociaux. Agiraient-ils ainsi pour faire semblant qu’ils ne peuvent pas écrire leur langue maternelle ou par crainte que leurs amis des pays francophones sur Facebook, Twitter, Instagram, TikTok n’aient pas trop de peine à comprendre leurs messages ? Si tel est le cas, accordent-il plus d’importance aux sentiments de l’étranger qu’à ceux de leurs compatriotes haïtiens qui ne maitrisent pas le français ? Adjey ! Seraient-ils différents de Dibango ? Et aussi bizarre que ça en a l’air, ils sont parmi celles et ceux qui veulent la tête de Dibango. Quelle hypocrisie !
Pendant qu’on y est, à ma connaissance la constitution de 1987, tant dans sa version originale que ses versions amendées, stipule que la République d’Haïti a deux langues officielles, le créole et le français. Tous les documents importants (acte de naissance, acte de mariage, acte de décès, attestation bancaire, publication officielle, mandat émis par les tribunaux, etc… ne sont-ils pas rédigés en français sans tenir compte de la majorité de la population qui ne parle, ne lit ni ne comprend la langue de l’ancien colonisateur, pardon l’une de nos langues officielles? Aucun des moralistes et détracteurs qui font de Dibango leur cible, le petit vilain à abattre, n’a jamais accusé l’État de mépris de la langue, ni de rejet de la culture. Peut-être qu’on en trouvera parmi ceux qui fulminent leurs remarques acerbes contre le pauvre Dibango, des renards qui prendront à mauvais escient la défense des institutions étatiques haïtiennes à cet égard.
Dibango, est-il un médiocre en chanson, comme l’affirme Guy Wéwé et autres ? Faut-il qu’il abandonne la musique ?
Je ne suis pas un expert en musique, mais en tant qu’ancien animateur avec plus de 15 ans d’expérience et une oreille attentive à la bonne musique, je suis assez informé de notre soi-disant industrie musicale pour déclarer haut et fort que l’on a eu des chanteurs très médiocres, mais n’empêche pas que nombre d’entre eux ont été adulés par mélomanes et animateurs. D’ailleurs, au cours des récentes années, nous avons aussi eu des femmes admirées pour leur plastique, mieux leur extravagance, qui ne devraient chanter que sous la douche, mais à qui des personnalités médiatiques très respectées ont déroulé le tapis rouge au point de les imposer au public.
N’est-ce pas vrai que les médias ont fait la promotion de Polky, de Krèk Koko, de Florence, de Blondedy ou de Djouly comme chanteurs et chanteuses. A moins que les critiques sont en train d’utiliser deux mesures différentes pour comparer la capacité vocale de Dibango à ces gens-là.
Carel Pèdre a eu le plaisir de recevoir Polky comme artiste invité à son émission. Radio Caraïbes a accordé plus d’une heure à Krèk Koko. Si ma mémoire est fidèle, Guy Wéwé qui a récemment fait un coup d’essai comme chanteur a reçu avec enthousiasme à son émission les Florence, Blondedy et autres qui ne dépassent pas vers le haut la barre de la médiocrité quand il est question de chanter.
Dibango est âgé seulement de 18 ans. Il n’a pas encore, peut-être, les talents des grands chanteurs de notre business musical, mais s’il veut considérer une carrière comme chanteur, son manager pourra lui trouver un coach vocal et des musiciens qui peuvent l’aider. Il doit cependant être encadré, à tous les points de vue.
Si mon point de vue s’apparente au sophisme de la double faute, ce n’est pas une tentative de diversion, encore moins une justification ou approbation de l’attitude quelque fois immature et irrévérencieuse de Dibango, mais plutôt une démarche pour mieux exposer l’hypocrisie de certaines personnalités médiatiques, de certains influenceurs et utilisateurs des réseaux sociaux. Ce sont des gens qui choisissent quand garder le silence, quand défendre ou condamner à l’avance et sans aucun jugement certaines personnes, en fonction de leur amitié avec elles, de leur admiration pour elles, ou de leur animosité contre elles.
En conclusion, si la stratégie manipulatrice et controversée de Dibango semble lui donner la visibilité et la popularité escomptée, elle lui a aussi dressé des obstacles. Les effets-retour peuvent être nombreux, prendre différentes formes et perdurer sans doute tout au long de sa carrière, s’il compte sérieusement se faire une carrière dans la musique haïtienne. Car, il est bien évident qu’il s’est fait autant de fans que de détracteurs au cours de ces derniers mois.
Et puisque Dibango vit maintenant aux Etats-Unis, il a aussi des options imminentes :
1) Poursuivre ses études, apprendre un métier lucratif et abandonner la musique, ou la faire comme un simple hobby
2) Sortir du personnage de Dibango, et expliquer le concept Dibango. Mais aussitôt qu’il laisse tomber le masque et commence à parler créole pour dire qu’il est haïtien, le personnage Dibango est automatiquement mort. Il lui faudra alors changer son nom d’artiste et ses tactiques. Mais tout cela au risque de voir arriver tout ce qui pourra arriver.
3) Prendre des leçons de voix et de musique, faire le contact avec des producteurs et promoteurs africains et américains, et puis essayer de se lancer dans d’autres industries musicales.
Quant aux détracteurs et moralistes, sachez bien que vos attaques peuvent aussi l’affecter psychologiquement et lui causer des troubles même. Je ne peux vous dire de quelle façon exprimer votre frustration et dégout pour cette jeune sensation des réseaux sociaux, mais vous ne vous rendez même pas compte que vous instiguez d’autres choses qui peuvent avoir d’autres conséquences néfastes sur sa sécurité physique et/ou sa santé mentale. Même si Dibango n’est pas un membre de votre famille, il est le fils de quelqu’un et encore plus un adolescent.
Peu importe l’immensité de son audace, le vilain personnage qu’il choisit d’interpréter pour acquérir sa personnalité, vous pouvez choisir de l’ignorer, ne pas le supporter musicalement, mais le traiter de toutes sortes d’épithète, demander qu’il soit banni ou encourager de la violence physique contre sa personne, ces démarches sont au-delà de toute tolérance.
Miguel Mingolove Romain

