Un discours dangereux cherche à imposer l’idée qu’Haïti serait le pire pays au monde, comme si l’insécurité était une singularité haïtienne, comme si la violence, la pauvreté ou l’instabilité n’existaient nulle part ailleurs. Cette narration est fausse, malhonnête et profondément destructrice.
Dans le monde réel, la violence est une réalité partagée par de nombreux peuples.
En Ukraine, des milliers de civils et de soldats tombent sous les bombes.
En Palestine, des générations entières grandissent sous l’occupation et les bombardements.
En Israël, la population vit sous la menace permanente des roquettes.
En Syrie, la guerre a détruit des villes entières.
En Irak, en Afghanistan et en Libye, les conflits ont laissé des sociétés brisées.
En République démocratique du Congo, les massacres se répètent depuis des décennies.
Au Soudan et au Soudan du Sud, les guerres civiles ravagent les populations.
Au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad et au Nigeria, le terrorisme frappe quotidiennement.
En Somalie, l’État peine à exister face à une insécurité chronique.
En Éthiopie, les conflits internes ont déplacé des millions de personnes.
Au Yémen, la famine et la guerre coexistent.
En Centrafrique, la violence communautaire est devenue structurelle.
Au Mozambique (Cabo Delgado), les attaques armées persistent.
Au Myanmar, la répression militaire est sanglante.
Au Pakistan et au Sri Lanka, les tensions ethniques et religieuses ont fait des milliers de victimes.
En Colombie, la violence armée n’a jamais totalement disparu.
Au Mexique, les cartels transforment des régions entières en zones de guerre.
Au Venezuela, la crise économique et sociale pousse à l’exil massif.
Au Brésil, certaines favelas vivent sous la loi des armes.
Au Salvador, au Honduras et au Guatemala, les gangs imposent la terreur.
Même dans des pays dits développés, la violence existe :
aux États-Unis, les fusillades de masse se multiplient ;
en France, en Belgique et en Suède, l’insécurité urbaine progresse ;
au Royaume-Uni, les violences au couteau font chaque année des victimes.
Et pourtant, aucun de ces peuples ne passe son temps à proclamer que son pays ne mérite plus d’exister.
Chaque nation porte ses crises, ses drames et ses contradictions. Mais aucune ne conditionne son humanité à l’obtention d’un visa.
Et pourtant, chez nous, certains préfèrent risquer la mort, l’humiliation, la déportation ou l’enfermement dans des prisons étrangères — ironiquement surnommées « prisons aux alligators » — plutôt que de revenir avec dignité sur leur terre natale.
Voilà le génocide moderne :
détruire un peuple sans bombes ni balles, simplement en l’amenant à haïr sa propre patrie.
Lorsque ce discours est relayé par une partie de l’élite et amplifié par la masse, il devient une arme de destruction psychologique. Il fabrique des esprits convaincus que la dignité humaine commence à Miami, Montréal ou Paris. Or Haïti ne se résume pas à Port-au-Prince.
Haïti, ce sont aussi ses provinces, ses terres, son peuple, son intelligence collective et son potentiel inexploité.
Lorsque vous disposez d’une plateforme à l’étranger, d’une voix dans la diaspora ou d’une influence communautaire, votre responsabilité n’est pas de nourrir la haine de la patrie, mais de participer à sa reconstruction morale, politique et économique.
Haïti traverse l’un des moments les plus sombres de son histoire contemporaine. Pourtant, ses ancêtres ont cru en cette terre alors qu’ils n’étaient même pas reconnus comme des êtres humains. Ils ont choisi de bâtir une nation libre plutôt que de rester esclaves dans la cour du maître.
Aujourd’hui, on affirme que « les intelligents quittent le pays ». À force de glorifier la fuite, nous finissons par célébrer notre propre effacement. Dans la vie des peuples, on ne fuit pas éternellement les problèmes : on les affronte, on les comprend et on les résout.
Les Africains ont longtemps été enfermés dans cette logique du départ permanent. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui prennent conscience et investissent dans leurs pays.
Ne voyez-vous pas qu’en détruisant Haïti par le discours, vous préparez aussi votre marginalisation sur la scène internationale ? On ne respecte jamais un peuple qui méprise sa propre terre. Les discours qui circulent dans la société haïtienne ne sont pas innocents : ils servent à formater les esprits pour faire croire que, sans les États-Unis, le Canada ou l’Europe, nous serions moins humains.
C’est faux, c’est toxique et c’est une trahison nationale.
Alceus Dilson
Communicologue, juriste
Alceusdominique@gmail.com

