Par Jean Garry Denis
La 27e commémoration du génocide rwandais de 1994 est marquée cette année par un fait nouveau qu’il convient de souligner à l’encre forte. Une commission d’historiens dirigée par Vincent Duclert a remis au gouvernement français, le 26 mars 2021, un rapport sur le rôle de la France dans ce génocide. En effet, ce rapport pointe les responsabilités accablantes pour la France quoique soulignant l’absence de complicité de génocide.
Pourtant, au même moment, le dénommé Core Group, dont la France est membre, soutient sans réserve un pouvoir corrompu et répressif dont les massacres assimilées à des crimes contre l’humanité sont connus et maintes fois dénoncés par les organisations de défense des droits humains, les parlementaires américains et le Conseil de sécurité des Nations unies. Ces massacres visent à instaurer une campagne de terreur en vue d’imposer au pays de Dessalines leur agenda d’élections préprogrammées, truquées et changer illégalement la Constitution en vigueur.
Depuis notre indépendance, notre histoire avec la communauté internationale a été toujours marquée du sceau d’agressions armées, de non-respect de nos valeurs, d’humiliation, d’occupation, de violation de notre territoire et d’ingérence de toutes sortes. Citons les faits les plus importants : l’imposition par la France coloniale d’une dette de reconnaissance de l’indépendance en 1825, les agressions espagnoles dans l’affaire Rubalcava en 1859 et allemandes dans l’affaire Luders en 1897 suivies de fortes indemnités, l’occupation américaine de 1915. Cependant, à partir de 1994, après le débarquement des marines américains pour restaurer la démocratie, dit-on, l’ingérence étrangère est devenue systématique et hégémonique avec une souveraineté totalement mise en veilleuse.
La démocratie et le développement nous sont systématiquement refusés par les néo-colonisateurs. Elle est une simple procédure dont le rôle consiste à légitimer les dirigeants corrompus, criminels et antinationaux à travers d’élections contestables, contestées et truquées. L’exemple illustrant au mieux cette situation durant ces dernières années a été l’élection de Michel Martelly en 2011 dans un contexte postséisme avec un peuple hagard, hébété mais très combatif qui peinait à se relever des impacts dévastateurs des secousses telluriques meurtrières fauchant la vie des centaines de milliers de gens en un rien de temps.
Arrivé au 1er tour en 4e position, Michel Martelly a été repêché en 2e position au second tour pour être enfin catapulté à la première magistrature de l’État sous la pression de l’ambassade américaine et de ses laquais du Core Group. Ce régime a bénéficié du soutien absolu des diplomates arrogants du Core Group qui font toujours fi des principes de la Convention de Vienne sur les relations entre les États. L’ingérence des 10 dernières années est sans précédent dans notre histoire diplomatique. Parallèlement, la situation économique, renforcée par un bilan de corruption, d’insécurité, de massacres, de gangs armés, de mainmise d’une mafia économique sur les institutions du pays, etc., n’a jamais été aussi catastrophique. Aujourd’hui, les indicateurs macroéconomiques sont au rouge avec un taux d’inflation de plus de 23,2% et 42% de la population en situation d’urgence alimentaire.
Dans cette conjoncture politique fragile, le peuple haïtien, dans sa grande majorité, est fatigué des arrogances, des ingérences, des hypocrisies des diplomates du Core Group. La situation arrive à un point tel que même les comportements de façade à travers cette démocratie procédurale et à géométrie variable ne peuvent être repêchés. À ce carrefour historique, le peuple haïtien réclame un nouveau départ pour un véritable changement de système axé sur le développement et l’établissement de nouveaux rapports de coopération avec l’international.
Dans ce contexte, deux adversaires se liguent contre le projet national du peuple haïtien :
1- D’une part, les actuels dirigeants alliés de la mafia économique qui veulent maintenir le système de contrebande, de concussion, de prévarication et capturer des institutions publiques au bénéfice d’intérêts particuliers. Cette catégorie réprouve surtout les revendications de justice du peuple haïtien contre : (i) les massacres orchestrés durant ces dernières années dont certains sont dénoncés par le Conseil de sécurité et le Congrès américain, (ii) la dilapidation des milliards de dollars provenant du fonds PetroCaribe du programme pétrolier vénézuélien et ceux de la Commission de la reconstruction après le séisme du 12 janvier 2010.
2- D’autre part, le Core Group qui considère le changement réclamé par le peuple haïtien dans cette conjoncture à travers une transition de rupture comme : (i) une preuve de l’échec des 30 dernières années de la tutelle unilatérale et multilatérale. Avec des milliards partis en fumée dans des missions onusiennes mal montées, l’international ne peut s’armer de courage pour assumer le bilan négatif de cet échec (ii) une offense à leurs droits d’ingérence pour continuer à imposer des marionnettes et des fripouilles qu’ils contrôlent à la tête de l’État. On peut comprendre aisément pourquoi plusieurs massacres et kidnapping des familles haïtiennes par les gangs d’État ne sont pas dénoncés par les organes du Core Group. Au contraire, Madame Lalime, représentante du secrétaire général, sans gêne et sans aucune forme de respect pour les personnes disparues et victimes des gangs armés, faisait l’apologie de la fédération de ses gangs dans son rapport [2] à l’ONU pour la période du 1er juin au 31 août 2020.
L’histoire nous démontre que ces annonces se matérialisent toujours si rien n’est fait. Dans le roman «Chronique d’une mort annoncée» du Nobel Colombien, Gabriel Garcia Marquez, l’un des principaux personnages, Santiago Nassar, a été effectivement tué. Dans « L’espace d’un cillement », Jacques Stephen Alexis comme une sorte de présage sur le duvaliérisme disait : «Il ne faut pas s’y tromper, cette histoire annonce des massacres». De fait, les 30 ans du duvaliérisme ont donné naissance au régime le plus répressif de la région et qui dépasse l’imagination. Aujourd’hui, les faits démontrent que toute une série de massacres de plus grande envergure du pouvoir se préparent et seront certainement soutenus par le silence du Core Group. D’ailleurs, l’intention criminelle du pouvoir n’a rien à prouver et puisqu’elle s’est déjà manifestée en maintes occasions dans plusieurs massacres et crimes contre l’humanité sous le regard silencieux et complice de ce syndicat de diplomates.
Pour les raisons susmentionnées, le Core Group préférerait encourager le pouvoir de facto de Jovenel Moïse avec ses gangs armés à massacrer la population haïtienne au lieu de laisser triompher le droit à l’autodétermination du peuple haïtien qui voudrait planifier son avenir. En tout cas, il est encore temps pour l’opinion publique nationale et internationale de prévenir ce massacre annoncé en dénonçant l’arrogance et les manœuvres déloyales de ces diplomates, en exigeant le respect de la Constitution pour le retrait de Jovenel Moïse du pouvoir et en se solidarisant avec la lutte du peuple haïtien.
Nous n’espérons à l’avenir aucune solidarité douteuse, pas de larmes de crocodile dans des commémorations de crime contre l’humanité comme celle récente du Rwanda pour se donner bonne conscience, ni non plus aucune commission de vérité sur des crimes qui pourraient être évités. Ce massacre annoncé peut être encore arrêté, arrêtons-le maintenant pendant qu’il est encore temps.
Jean Garry Denis
Membre du Directoire
Initiative des Patriotes du Marien (IPAM)
14 avril 2021