A qui et comment dire Bonne année 2023

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À QUI ET COMMENT DIRE BONNE ANNÉE 2023

par Henri Piquion

Lundi 2 janvier 2023 ((rezonodwes.com))–

J’ai hésité avant de me décider à écrire ce texte, car que signifie Bonne Année cette année. J’ai même souhaité ne pas devoir l’écrire même si j’ai pris l’habitude de m’adresser à mes compatriotes au début de chaque année. J’ai aussi hésité à lui donner un titre, car j’ai pensé d’abord à poser la question “Oui mais! Mais quoi?” Mais quoi en effet?

Sans une réponse à cette question il ne reste que le Oui, l’acceptation que Ariel Henry puisse demander à la “communauté internationale” d’occuper militairement notre pays et que la “communauté internationale” réponde positivement à cette demande.
À la publication de la lettre de Ariel Henry ma réponse a été NON à l’occupation parce qu’elle ne pouvait être que NON. Elle l’est encore aujourd’hui après bientôt trois mois et le sera toujours.

Cependant certaines personnes m’ont rappelé des faits que nous connaissons tous, mais qui restent des faits à connaître tant que nous n’avons pas pris la mesure de la déstructuration psychique de ceux qui les vivent au quotidien. Apprendre qu’une jeune étudiante infirmière a été enlevée, violée, torturée, assassinée puis jetée à la poubelle ne nous informe pas de la dépression, du désespoir, de la révolte contenue de ses parents et de ses amis. Il y a les faits dont on entend parler, il y a le tragique vécu de ceux qui en souffrent. Quelque chose doit être fait pour que cela cesse, pour que les gangs et leurs patrons soient mis hors d’état de nuire. Définitivement sans autre considération que celle de libérer le pays de la mort par les gangs par la mort des gangs.

La description qui ne pouvait pas m’être faite des états d’âme des victimes mais que j’ai essayé de ressentir m’a fait comprendre, j’en étais déjà conscient d’ailleurs,  qu’un NON pur, même si l’histoire de nos occupations subies le justifie pleinement, risque d’envoyer aux gangs et indirectement à la population qu’en Haïti les crimes restent impunis. La faiblesse chronique de la PNH et de l’appareil judiciaire face aux gangs ne ferait que justifier ce défaitisme. J’ai donc écrit NOU BÉZWEN YON KOUT MEN pour redire NON à l’occupation appréhendée et reconnaître en même temps que le rapport des forces actuel doit être inversé au profit de la PNH et des FAd’H afin qu’elles puissent affronter les gangs tout puissants.

C’était une façon de dire NON mais. Mais quoi? Tout ce que je pouvais espérer, c’était que la “communauté internationale” apporte une “assistance technique” et des équipement appropriés aux FAd’H et à la PNH et que ces deux corps débarrassent le pays radicalement, définitivement des gangs et de leurs complices politiciens et affairistes. Radicalement et définitivement signifient physiquement, et ce travail doit être fait par nos forces nationales de sécurité et non par des étrangers à qui nous reprocherons demain d’avoir tué de nombreux Haïtiens. J’ai donc dit NON mais.

En même temps j’ai pu constater que certains individus qu’on aurait pu associer à un OUI sans nuances ont précisé que leur OUI équivalait à un OUI mais. Déjà ils avaient dit NON et OUI. “Non à une force militaire d’occupation car ce n’est pas notre problème (sic). Oui à une force humanitaire d’appui à la PNH.”

J’ai personnellement de la difficulté à me rappeler qu’une “force humanitaire” ait jamais été mise sur pied pour “appuyer” un corps par définition répressif. On peut bien envoyer des policiers et des soldats distribuer du pain, du lait et des vaccins dans les bidonvilles ou aider lors de désastres naturels, mais ça n’en fait pas des agents humanitaires. Du point de vue de la “communauté internationale” ou il y aura une intervention, et elle sera militaire d’occupation et non humanitaire, ou il n’y en aura pas.

Cela ne dépend pas de nous, mais de ceux à qui nous avons confié depuis plus d’un demi-siècle la gestion de notre destin. Ce qui dépend de nous par contre, c’est toute concertation pré-intervention, non commanditée de l’extérieur, mais authentique et nationale qui définisse les paramètres de l’intervention afin qu’elle se différencie de toutes celles qui l’auront précédée. Il est vrai qu’il ne nous reviendra pas in fine de définir le quotidien de l’intervention.

Mais il nous revient de dire à l’avance ce que nous souhaitons qu’elle soit, une assistance technique et matérielle aux FAd’H et à la PNH, et ce que nous ne voulons pas qu’elle soit, la mise sous tutelle des autorités politiques et administratives du pays, la répression brutale, le mépris des citoyens, les agressions sexuelles et le pillage de nos ressources connues et à découvrir. Nous nous occuperons nous-mêmes de construire le pays. Nous savons ce qu’il y a à faire et nous savons comment le faire car depuis plus de 60 ans nous contribuons à le faire chez d’autres dont certains ont les moyens aujourd’hui de se proposer comme modèles.

Le discours politique haïtien se déplace aujourd’hui tracté par deux termes: inclusion et consensus. Ces deux termes sont liés car il n’y a pas de consensus qui est l’objectif ultime s’il y a exclusion. En d’autres termes le particulier, idéalement chaque Haïtien doit donner son consentement à une entreprise qui rassemble l’ensemble. Puisqu’il nous fait consentir, oublions que Jovenel Moïse et combien d’autres avant lui ont été assassinés et trouvons l’élément de la conjoncture qui semble nous rassembler. Oublions aussi que plusieurs de ceux à qui nous donnons notre consentement pour l’entreprise commune du relèvement de la patrie sont ceux-là même qui dirigent les gangs, qui en vivent politiquement et financièrement et qui les font vivre.

À l’examen les concepts d’inclusion et de consensus paraissent être non seulement des obstacles à notre sortie de la crise, mais plutôt des facteurs de son élargissement et de son approfondissement car la crise en question n’est pas seulement la gangstérisation de la société haïtienne mais plus fondamentalement une crise de généralisation de la dépendance qui risque d’aboutir à la perte, même formelle, de notre souveraineté.

L’extermination des gangs est le prétexte du consensus En réalité son point d’ancrage tant en amont pour ceux qui la souhaitent qu’en aval pour ceux qui la subiront est l’occupation militaire du pays à long terme par des forces étrangères. Et nous ne pourrons pas dire que nous n’y avons pas “consenti”. Ce n’est pas par hasard que le Premier ministre canadien Justin Trudeau et sa Ministre des Affaires étrangères aient insisté pour que les Haïtiens parviennent à un consensus avant une intervention militaire et qu’ils aient dépêché l’ancien Premier ministre de l’Ontario Bob Rae pour obtenir ce consensus. Ce n’est pas par hasard non plus que la représentante américaine d’origine haïtienne soit revenue d’Haïti après un bref séjour avec la conviction qu’il faut des “boots on the ground” pour libérer le pays des groupes terroristes, et que c’est ce qu nous voulons.

Comprenons-nous. Nous n’en pouvons plus de ne pourvoir mener une vie normale dans notre pays contrôlé par les bandits. Il nous faut donc nous en débarrasser. Faut-il cependant que l’obsession des gangs et les souffrances qu’ils nous imposent nous empêchent de voir qu’ils sont un épiphénomène, qu’ils renaîtront sous des formes diverses comme ils le font depuis les premiers jours de notre histoire tant que nous n’aurons pas réglé le problème de fond qui est la construction d’un pays pour la nation. Ce n’est pas que nous n’avons pas essayé, mais nous avons trop souvent remis à la rue que nous appelions “le peuple” la mission de bâtir le pays, de construire l’état. Je le dis tout de suite, “le peuple” constitue la nation mais ne construit pas un état. Il revient aux élites de dire ce qu’un pays doit être et comment il doit être gouverné au bénéfice de la nation.

Dans une telle démarche il ne peut pas s’agir d’inclusion car “tout voum pa do”, mais de sélection et de cooptation sur la base d’un projet de pays défini dans lequel chaque membre de la nation qui œuvre pour le développement du pays trouve la justification de son existence. On parle alors de “solidarité nationale”. Les politiciens contemporains n’en sont pas là. Les missions des élites ne changent pas au cours du temps sauf dans les détails conjoncturels et selon la nature et la spécificité des élites. Dans tous les cas elles se résument toutes en une seule: Faire un pays, bâtir un état pour la nation.

La conjoncture d’aujourd’hui se caractérise par les situations suivantes dont certaines durent depuis très longtemps:
1. L’absence de l’état et la confiscation par des particuliers de l’administration publique.
2. L’insécurité causée par les gangs armés, le blocage régulier du pays par les mots d’ordre des politiciens et l’inefficacité avérée de la PNH.
3. La demande adressée à la “communauté internationale” d’intervenir militairement dans le pays pour y rétablir l’ordre.
4. Une occupation militaire appréhendée par les États-Unis, le Canada et probablement d’autres pays.

On s’attendrait à ce que les élites de toutes natures, en particulier les professeurs, les juristes, les éditorialistes et chroniqueurs de même que les artistes se concertent pour aider à comprendre notre échec historique et proposer une vision et une organisation de la société dans lesquelles les Haïtiens se reconnaissent; qu’ils se concertent également pour définir les balises d’une assistance technique à la PNH et aux FAd’H, pour définir également les diverses lignes rouges au-delà desquelles la soi-disant “assistance technique” deviendrait une occupation militaire qui doit être traitée comme telle par l’ensemble du  pays.

On s’attendrait à un tel sursaut de patriotisme comme il y en eut déjà dans notre histoire dans des circonstances analogues. Au lieu de cela, c’est le silence assourdissant de nos élites interrompu ponctuellement par des OUI à l’occupation. Nous avons si mal géré notre patrimoine national qu’une intervention semble inévitable. Mais pas une occupation, quel que soit le nom qu’on lui donnera. Je me répète, mais je dois le faire. Toute intervention sera une occupation si nous ne disons pas à l’avance ce que nous voulons qu’elle soit et ce que nous refusons qu’elle  devienne.

La tradition veut que chaque année à cette date j’adresse des vœux de bonheur à mes compatriotes et leur souhaite que l’année qui commence soit bonne à tous les points de vue.

Ne pouvant pas cette année inclure ceux qui en situation de responsabilité ont trahi le pays et leurs concitoyens en sollicitant l’occupation, et ceux qui l’ont déjà fait dans le passé, je formulerai le souhait que nous parvenions à éviter une occupation pareille à celles qui de 1915 à aujourd’hui ont déstructuré le pays jusque dans son âme chaque fois plus brutalement, et le souhait que nous apprenions que l’histoire ne connaît pas de destin, mais qu’elle est continuellement formatée par l’action des hommes sur les autres hommes.

Bonne Année 2023

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