Les États-Unis et le Canada peuvent-ils recourir à une force d’intervention en Haïti en dehors des Nations Unies ?

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La Charte des Nations Unies interdit à tout État membre des Nations Unies  de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout autre État.  Le  Secrétaire d’État américain, M. Anthony Blinken, qui semble se donner pour tâche ces dernières semaines de trouver des pays qui acceptent d’intervenir militairement en Haïti, un  État théoriquement souverain, agit-il dans le cadre de la Charte des Nations Unies ?

Cairn

Vendredi 28 octobre 2022 ((rezonodwes.com))– L’article 2,§ 4 de la Charte des Nations Unies stipule : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.

Cela n’empêche à l’Administration  qui , récemment , a condamné et sanctionné la Fédération de Russie pour avoir recouru à l »usage de la force contre  Ukraine , de vouloir intervenir directement ou indirectement avec une force militaire contre l’indépendance politique d’Haïti en dehors des Nations Unies.

L’autorisation de recourir à la force est une pratique par laquelle le Conseil de sécurité des Nations Unies permet à des États membres des Nations Unies ou à des accords ou organismes régionaux, voire au Secrétaire général des Nations Unies, de recourir à la coercition militaire. Elle est l’une des circonstances excluant l’illicéité face à l’interdiction de recourir à la force dans les relations internationales dont la règle Qd posée à l’article 2,§ 4 de la Charte des Nations Unies.

Il est évident que cette pratique ne correspond pas clairement à la lettre de la Charte mais elle tire sa légitimité du fait qu’elle permet au Conseil de sécurité de s’acquitter de sa mission principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales, étant donné que le système de coercition militaire prévu par la Charte s’avère inapplicable dans la pratique. Il reste que cette pratique est empreinte d’ambiguïté : elle apparaît tantôt comme une intervention des Nations Unies, tantôt comme une action unilatérale au profit de certaines puissances capables de mener des opérations de grande envergure.

Cette ambiguïté est encore exacerbée par le problème de l’autorisation présumée que certains Etats pourraient déduire des actes du Conseil de sécurité, pour intervenir dans divers conflits. Dans les faits, la pratique de l’autorisation de recourir à la force semble actualiser une tendance belliciste qui caractérisait les époques antérieures. Elle peut, si l’on n’y prend garde, refondre, par pans entiers, les legs du droit contre la guerre (jus contra bellum) issu du XXème siècle, droit qui a été le fruit de longues tribulations dans l’histoire des relations internationales. Le danger le plus grave est que des acquis chèrement négociés risquent d’être jetés par-dessus bord avec trop de facilité et sans délai, pour servir des visées à court terme

Créée pour prévenir les guerres et déjouer les menaces ou atteintes à la paix, l’ONU prohibe fondamentalement l’usage de la force « soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies » (Charte art. 2, §4). Cet usage est en revanche licite lorsqu’un État, en situation de légitime défense, riposte à une agression (Charte art. 51). Il l’est également lorsque l’organisation elle-même conduit des opérations de maintien de la paix et déploie une force d’urgence composée de casques bleus. Enfin le Conseil de sécurité peut, tout aussi légalement, autoriser certains des États membres à intervenir militairement de façon individuelle ou collective dans un conflit international ou interne.

Depuis sa création, l’ONU a conduit, décidé ou autorisé des opérations complexes, notamment en matière de rétablissement de la paix, de maintien de la paix et d’assistance humanitaire. L’usage de la force est donc tantôt décidé et mis en œuvre directement par le Conseil de sécurité, tantôt délégué par ce dernier à ceux des États qui acceptent de coopérer avec lui. Mais nombre d’usages de la force échappent encore à l’ONU qui, en dépit de certains espoirs suscités par ses actions des années quatre-vingt-dix, n’est toujours pas, loin s’en faut, le nouveau « gendarme du monde ».

L’usage de la force décidé par l’ONU

Les traditionnelles opérations de maintien de la paix (OMP), souvent décriées, demeurent la principale forme d’usage de la force par l’organisation internationale elle-même. Il est vrai dans des conditions telles qu’elles ne pouvaient, durant les premières décennies de l’organisation, n’être déployées qu’avec l’agrément des parties à un conflit, et davantage pour consolider ou observer une situation que pour rétablir ou imposer la paix. Incapable de mettre en œuvre les moyens coercitifs prévus par la Charte (art. 45, 46, et 47), l’ONU a ainsi créé sur simple recommandation du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale [1] de telles forces temporaires en vue de garantir un cessez-le-feu. Forces d’interposition tout au plus, dépourvues de pouvoir coercitif, elles perdurent le temps de l’accord des parties. Elles sont établies dans la logique du chapitre vi de la Charte relatif au règlement pacifique des différends.

De telles opérations ont été entreprises en 1956 à propos de l’affaire de Suez, par l’établissement de la force d’urgence des Nations unies (FUNU), puis au Congo lors des événements de 1960-1965 (ONUC) ; à Chypre en 1964 (UNFICYP) ; au Proche-Orient à partir de 1973 (FUNU 2), au Liban en 1978 (FINUL)… Au total 56 OMP depuis l’origine de l’organisation. De nos jours 14 OMP sont encore en fonction. 123 pays ont volontairement fourni plus de 750 000 militaires et policiers civils. La plupart de ces opérations militaires concernent aujourd’hui la surveillance d’un cessez-le-feu ou la création d’une zone tampon pendant que les négociateurs recherchent une solution à long terme. D’autres font appel à des policiers civils ou à du personnel civil chargé de contribuer à l’organisation d’élections ou à la surveillance du respect des droits de l’homme. Des opérations sont également déployées pour vérifier la mise en œuvre d’accords de paix en coopération avec les forces de maintien de la paix d’organisations régionales.

La durée d’une OMP peut varier de quelques mois à plusieurs années. Celle installée sur la ligne du cessez-le-feu entre l’Inde et le Pakistan dans l’État de Jammu-et-Cachemire, par exemple, a été établie en 1949. C’est la plus ancienne. Des soldats du maintien de la paix sont présents à Chypre depuis 1964. En revanche, l’ONU a pu achever sa mission dans la bande d’Aozou entre la Libye et le Tchad, en 1994, en à peine plus d’un mois.

Depuis les années quatre-vingt-dix, les OMP connaissent une double mutation. D’abord une mutation quant à leur objet. Jusque-là limitées aux seuls conflits interétatiques, elles s’étendent désormais aussi aux conflits internes, aux guerres civiles, religieuses ou ethniques. En effet, le Conseil de sécurité, libéré des pesanteurs de la Guerre froide et dynamisé par l’essor du concept de « droit d’ingérence » développe, souvent à l’initiative de la France, une conception extensive de la notion de « menace contre la paix ». Il affirme notamment qu’une violation massive et grave des droits de l’homme dans l’ordre interne constitue une telle menace. Ensuite une mutation quant aux moyens, le Conseil décide de déployer une version plus musclée des opérations sous casques bleus. Il autorise notamment celles-ci à user de la force, dans le cadre du chapitre vii de la Charte. Mais ces opérations demeurent cependant encore tributaires des moyens que leur accordent les gouvernements des pays membres.

L’usage de la force décidé par l’ONU

Le Conseil de sécurité décide désormais d’intervenir de façon combinée, lors de conflits internes, tantôt par l’établissement et le déploiement d’une OMP « classique », tantôt par l’habilitation d’une force coalisée d’intervention, enfin par une OMP « dopée », nouvelle manière. Parfois les trois modalités sont utilisées en alternance. Ce triple scénario novateur apparaît en Somalie durant le conflit interne qui déchire le pays au début des années quatre-vingt-dix. Le Conseil constate, dans un premier temps, une menace contre la paix (résolution 733 du 23 janvier 1992) et décide l’envoi d’une force traditionnelle de maintien de la paix sous casques bleus (ONUSOM I). Dépourvue de moyens réels d’action, elle demeure impuissante à contenir les violences. Face à cet échec, le Conseil de sécurité, dans un second temps, autorise l’envoi d’une force multinationale coalisée au sein de laquelle chaque contingent national intervient sous son propre pavillon, avec un commandement unifié (résolution 794 du 3 décembre 1992). Dans un troisième temps, l’organisation prend le relais et envoie une nouvelle force de casques bleus (ONUSOM II) dotée de pouvoirs supérieurs par rapport à la première en ce qu’elle est autorisée, pour la première fois, à recourir à la force dans le cadre du chapitre vii de la Charte (résolution 814 du 6 mars 1993). L’ONUSOM II est elle-même renforcée trois mois plus tard (résolution 837 du 6 juin 1993). C’est la consécration la plus vigoureuse du droit d’ingérence. Une réelle imposition de la paix.

Contrairement à une idée largement reçue, elle n’a pas échoué, car, si tel avait été le cas, les massacres (500 morts par jour) se seraient poursuivis… Or, même si la paix civile demeure précaire et si les violences ressurgissent périodiquement, elles sont largement en deçà de ce qu’elles étaient au moment du déploiement d’ONUSOM II. Cette opération préfigure donc, en raison de l’aspect coercitif de son mandat, une troisième génération d’OMP qui coexiste désormais avec les formes initiales dans la panoplie des mesures à la disposition du Conseil de sécurité.

Durant le conflit en ex-Yougoslavie, on est passé de la simple interposition décidée par la résolution 743 du 21 février 1992 en vertu du chapitre vi de la Charte (FORPRONU) à la possibilité d’employer « toutes les mesures nécessaires », y compris la force, dans le cadre du chapitre vii, par la résolution 819 du 16 avril 1993. De nos jours, toutefois, les 14 OMP [2] en cours en 2004 mettent en œuvre essentiellement la première de ces deux formes d’intervention.

Au reste, le progrès est réel. Il n’est pas achevé car ces OMP, même dans leur version renforcée, demeurent tributaires de moyens juridiques, humains et matériels que les États leur dispensent avec parcimonie.

L’usage de la force sous-traité par l’ONU

À partir de 1991, le Conseil de sécurité consacre une nouvelle lecture du chapitre vi puis du chapitre vii de la Charte, relatifs au « règlement pacifique des différends » et à l’« action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression », lorsque l’ampleur des violations des droits de l’homme, le développement d’un génocide ou de crimes contre l’humanité justifient une intervention armée énergique, sous-traitée par lui auprès de certains États membres disposés à mener des opérations militaires d’envergure.

Ce type d’action doit se distinguer de celles, toutes classiques, menées en riposte à une agression, qui relèvent exclusivement de la légitime défense individuelle ou collective, comme celle déclenchée à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak, le 2 août 1990. Le Conseil de sécurité de l’ONU condamne alors l’invasion qui viole la Charte. Il exige le retrait des troupes irakiennes du Koweït (résolution 660), le départ immédiat des étrangers retenus par les autorités irakiennes (résolution 664). Il édicte des sanctions économiques, boycottage (résolution 661) et embargo sur les biens en provenance de l’Irak (résolution 670), il autorise l’utilisation de la force pour faire respecter l’embargo et demande l’appui des autres États (résolution 678). L’ultimatum posé dans la résolution 660 n’est pas respecté, ce qui fonde le déclenchement de l’opération Tempête du désert menée par une coalition de 29 États sous commandement américain qui libère le Koweït et rétablit son gouvernement. Réplique traditionnelle à une attaque, il ne s’agit pas ici d’une intervention dans les affaires intérieures d’un État comme celles que délègue le Conseil de sécurité à partir de l’affaire kurde. Très différente aussi fut l’opération unilatérale Renard du désert déclenchée le 16 décembre 1998 avec d’importants bombardements contre l’Irak, par les États-Unis et la Grande-Bretagne qui estimaient que le rapport de l’UNSCOM ne leur donnait pas entière satisfaction. Elle n’avait pas été autorisée par l’ONU.

À la variété des situations correspond une variété de réponses multinationales, tant en ce qui concerne la composition des forces, leur commandement, les formes d’habilitation que les résultats obtenus. L’innovation pose au juriste un problème de qualification sur lequel la doctrine demeure largement partagée. La chose précède le mot. Ni l’une ni l’autre ne réunissent l’unanimité.

Source : https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2004-2-page-111.htm

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