Réponse d’un jeune haïtien à l’OEA

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Jeudi 18 aout 2022 ((rezonodwes.com))–

par Wisly Joseph

Avec la victoire finale sur les forces françaises de Napoléon Bonaparte dans la Bataille de Vertières (1803), les chefs révolutionnaires de l’armée indigène proclament l’indépendance de la nation le 1er janvier 1804. Pour les pays impérialistes comme la France, l’Angleterre, l’Espagne et les États-Unis d’Amérique, la “liberté” du peuple haïtien était considérée comme un “péché”, pour avoir échappé au “fardeau de l´homme blanc”.

De ce fait, quelques décennies plus tard, la première république noire sera l’objet d’un cycle d’interventions étrangères dont la mission consiste à développer ou pacifier le pays.

Du point de vue de la pensée critique, cette perception dichotomique réaffirme l´idéologie selon laquelle: “les noirs sont incapables de s’autogouverner”. En effet, le communiqué de l´Organisation des États Américains (OEA) ne fait que reproduire cette vielle idéologie coloniale face au “nègre”.

Du point de vue des relations internationales et géopolitiques, la révolution haïtienne remet en question le système mondial capitaliste occidental fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme pendant le processus de l’accumulation des ressources naturelles et l’idéologie dominante de l’époque (la doctrine chrétienne et pensée moderne).

Trois ans seulement après l´indépendance d´Haïti, les britanniques et les états-uniens ont cessé la traite transatlantique des esclaves. Ce n’était ni l’œuvre de  l´idéologie abolitionniste  ni les fausses promesses des prétendus “Amis des Noirs” de France, mais ce qui s’est passé en Haïti.

Pour cela, les puissances occidentales ont puni Haïti d’avoir mis en échec le colonialisme, l’esclavagisme, le racisme et le patriarcalisme. Ce n’était pas au hasard, au début du 19ème siècle, nos premiers gouvernements ont été isolés sur le plan économique, politique et diplomatique pendant près de 60 ans, de 1804 à 1862. L´occident craignait que la révolution du peuple haïtien ne se répande et n’entraîne l’effondrement du système esclavagiste mondial.

Sur le plan géopolitique moderne, Haïti détient un rôle fondamental, l’un des espaces les plus importants au monde en raison de sa richesse économique et de sa localisation géographique au centre du continent américain. C’est pourquoi Haïti était l’objet de convoitises et de rivalités entre les quatre grandes puissances mondiales comme la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis.

En 1910, les allemands contrôlent plus de 80% du commerce international d’Haïti, en plus des affaires de transport et des crédits de la banque nationale du pays. En 1915, les États-Unis, de leur côté, ont envahi le pays, massacré les paysans et contrôlé une superficie de 66,62% des terres cultivables, sans oublier la banque centrale, l’administration publique et la douane, sous leur botte.

Dans un communiqué de presse, daté du 8 août 2022, l´Organisation des États Américains (OEA) accuse la communauté internationale d’être responsable de la crise que vit Haïti: “La crise institutionnelle que vit Haïti est le résultat direct des actions des forces endogènes du pays et de la communauté internationale”, a relaté l´OEA. De 1993 à 2022, Haïti a déjà connu environ huit (8) missions de l’Organisation des Nations Unies (ONU) avec prétention de maintenir la paix: MINUHA (1993-1996), MANUH (1996-1997), MITNUH (1997), MIPONUH (1997-2000), MICAH (2000-2004), MINUSTAH (2004-2017), MINUJUST (2017-2019) et BINUH (2019-), actuellement.

Le pays a reçu presque tous les types d’aides, par exemple: “aides au développement”, “aides humanitaires”, “programme d´ajustement structurel”, “aides de reconstruction”, “programme alimentaire mondial”, sans oublier plus de 10 000 “ONGs” sur le terrain. En effet, le peuple devient plus appauvri et les villes plus ganstérisées. Cela signifie tout simplement que leur modèle ne s’adapte pas à notre réalité, à notre environnement physique ou notre schéma de développement.

Le texte du Secrétariat de l´Organisation des États Américains est confus et contradictoire. Dans un premier temps, l´OEA dit ceci: “Nous parlons du fait qu’en 20 ans de stratégie politique erronée, la communauté internationale n’a pas été capable de faciliter la construction d ́une seule institution ayant la capacité de répondre aux problèms des Haïtiens, 20 ans plus tard pas une seule institution n ́est plus forte qu’elle ne l’était auparavant”. Voyons que l´OEA tente de diminuer les dégâts de la dite communauté internationale en Haïti dans une période de “20 ans”, il semble que son analyse conjoncturelle se borne entre 2000-2022.

Elle continue pour dire que: “la communauté internationale s’est retirée d’Haïti, laissant derrière elle chaos, destruction et violence”. Cette phrase nous fait penser, peut-être, aux différents massacres perpétrés à La Saline, au Bel-Air et à Cité Soleil, pour ne citer que ceux-là. Par contre, elle doute fortement “qu’une solution haïtienne complètement endogène pourrait prospérer”.

 Dans un autre temps, l´OEA pense que “le pays souffre aujourd’hui d’un manque d’idées et de capacités réelles provenant de la communauté internationale, de même que de ses propres problèmes structurels”. Cette phrase nous apparaît un peu floue, confuse et même contradictoire. L´Organisation des États Américains voyait la communauté internationale comme étant le malade et à la fois le remède ou la cause et la solution. Á regarder la situation actuelle en Haïti, l´OEA blâme « l’existence des forces internes qui voulaient, avec une complicité externe, que la Minustah se retire”. Elle voulait, tout d’un coup, montrer l’importance de cette mission. Cependant, l´action de la Minustah a laissé en Haïti un héritage de plus de 30 000 morts à cause du choléra et plus de 2 000 victimes d´abus sexuels, entre autres formes de violence.

Pour l’OEA: “Haïti ne dispose pas des ressources humaines préparées et formées” pour faire face à la situation d´insécurité. Dans la perception occidentale, les noirs sont incapables de s’autogouverner; c´est la raison pour laquelle, depuis 1990 jusqu’à nos jours, nous assistons à un cycle d’interventions étrangères. Rien n’a été fait. Le pays devient plus instable. Les missions de l’Organisation des Nations Unies ne servent à rien en Haïti, sinon à renforcer les relations de pouvoir entre Nord/Sud. Il est impératif d´une solution haïtienne à la crise d’aujourd’hui, sans cela, nous risquons d’entendre à chaque décennie les excuses ou les échecs de l´OEA.

La communauté internationale et l´élite locale sont deux véritables enjeux politiques face à la lutte pour la libération nationale. Le peuple doit-être le maître de son propre destin !

Nous devons urgemment : a) “décoloniser” nos relations internationales avec les pays hégémoniques (États-Unis, France, Canada,…) et les organisations internationales (OEA, ONU, FMI, BM,…) ; “ouvrir” notre politique externe pour discuter avec d’autres acteurs dans ce contexte multipolaire (Chine, Russie, Iran, Corée du nord,..) ; b) élire à la tête de notre État une “alliance de qualité” qui placera l’intérêt du peuple haitien au-dessus de l´intérêt étranger.

SOURCES

BENEDICTO, Ricardo Matheus. Afrocentricidade, Educação e Poder: Uma Crítica Afrocêntrica ao Eurocentrismo no Pensamento Educacional Brasileiro. Tese (Doutorado) Faculdade de Educação da Universidade de São Paulo, São Paulo, 2016.

CASTAÑEDA, Digna (2009). La Revolución Haitiana: Legado y actualidad. Projeto História, São Paulo, n.39, pp. 75-92, jul/dez.

CASTOR, Susy. L’occupation américaine d’Haïti. Societé Haitienne d’Histoire, Port-auPrince, 1988.

LOOP HAITI. Après MINUJUSTH, l’ONU envisage d’envoyer une autre mission en Haïti. Publié 6 mars 2019.

MANIGAT, Leslie François. La substitution de la prépondérance américaine à la prépondérance française en Haïti (1910-1911). In : Revue d´Histoire Moderne et Contemporaine. Armand Colin / tome XIV – Octobre-Décembre, 1967.

OEA. Communiqué du Secrétariat général de l’OEA sur Haïti; 8 août 2022.

WALVIN, James. Introducción. C. L. R. JAMES. Los jacobinos negros. Toussaint L´Ouverture y la Revolución de Haití. Traducción de Ramón García. Turner Publicaciones, S. L. Madrid; México, Fondo de Cultura Económica, 2003.

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