Romain Molina : L’ex-président de la FIFA, Sepp Blatter, ferait partie des officiels ayant l’habitude de recevoir des « cadeaux sexuels « en Haïti

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« Yves Jean-Bart a demandé à un membre de l’équipe médicale de la fédération d’acheter des pilules bleues pour le président de la Fifa. Cette nuit-là, un employé de FHF a passé la nuit avec Sepp Blatter à l’hôtel Oasis, écrit le journaliste français Romain Molina.

Par Romain Molina

Jeudi 18 mai 2022 ((rezonodwes.com))–

Pendant près de deux décennies, les principaux responsables de la Fédération haïtienne de football (FHF) ont construit un vaste réseau d’exploitation sexuelle. Cela comprenait le viol d’adolescentes et de garçons, des avortements, du chantage et des menaces de mort. Selon des documents judiciaires haïtiens en possession de Josimar, au moins une victime s’est suicidée.

Le Centre Fifa Goal de La-Croix-des-Bouquets était comme « l’enfer sur terre » selon les victimes. Des délégations de la Concacaf ou de la Fifa se rendant en Haïti pour assister à des cours d’arbitrage ou pour inspecter les progrès du Centre Fifa Goal se sont vu offrir un joueur, un arbitre ou un employé avec qui avoir des relations sexuelles. Certains des plus hauts responsables du football, dont Sepp Blatter, ont profité de ce système.

« Tu es venu en Haïti, tu as reçu une fille de la fédération à ton hôtel. C’est comme ça que ça a fonctionné », raconte l’ancien capitaine de l’équipe nationale et président du syndicat des joueurs, Ernso Laurence. Il est l’un des rares à avoir parlé publiquement de ce qui s’est passé à l’intérieur de FHF.

« Je me bats contre l’ancien président (Yves Jean-Bart) et son administration corrompue depuis 2007. J’ai parlé de toutes sortes d’abus, y compris sexuels. »

Après une enquête du Guardian, Yves Jean-Bart (74 ans) a été banni à vie par la Fifa en novembre 2020 pour abus sexuels sur 14 joueurs, dont de nombreux mineurs.

« Le comportement de M. Jean-Bart est tout simplement inexcusable, une honte pour tout responsable du football », a déclaré Vassilios Skouris, président de la chambre de jugement du comité d’éthique de la Fifa. « Tout en prétendant développer le football haïtien, en particulier les compétitions et les équipes féminines, M. Jean-Bart a fait exactement le contraire : il a abusé de sa position pour satisfaire son attitude personnelle de domination sur les personnes les plus fragiles, détruisant les carrières et la vie des jeunes joueuses prometteuses.

« Le ranch »

Au Centre Fifa Goal – connu sous le nom de « The Ranch » – certains des meilleurs jeunes joueurs haïtiens, filles et garçons, ont vécu, se sont entraînés et sont allés à l’école dès l’âge de 14 ans. Rêvant de devenir footballeurs professionnels, ces adolescents ont quitté leur famille pour poursuivre leur objectif. La majorité des joueurs venaient de certaines des familles les plus mal loties financièrement d’Haïti, l’un des pays les plus pauvres du monde. Aujourd’hui, plusieurs de ces joueurs autrefois prometteurs gagnent leur vie en se prostituant après leurs expériences à « The Ranch ». Au moment de faire partie du programme de formation, ils ont dû remettre leur passeport au président de la FA, Jean-Bart. Dès le premier jour, Jean-Bart a exercé une influence sur les enfants vulnérables qui pensaient qu’ils étaient sur la voie d’une carrière dans le jeu qu’ils aimaient.

« La seule chose que nous connaissions était le centre et rien à l’extérieur. C’était facile pour lui de manipuler et de laver le cerveau des jeunes filles », raconte l’une des victimes à Josimar.

« Le football est peut-être la seule option pour que ces enfants sortent de l’extrême pauvreté », remarque l’ancien capitaine Ernso Laurence. « C’était l’effet de levier que ‘Dadou’ (le surnom de Jean-Bart) avait. Avec ça, il pouvait obtenir ce qu’il voulait.

Si vous vouliez voyager avec l’équipe nationale et obtenir un visa américain, un rêve pour des millions d’Haïtiens, Jean-Bart et son administration vous demandaient quelque chose en retour. Le plus souvent, le sexe.

« Nos passeports ont été confisqués tout le temps. C’est comme ça qu’ils nous ont gardés. Ils ont pris nos passeports, ils nous ont fait chanter pour les visas, pour tout », explique un ancien pensionnaire de « The Ranch ».

« C’était un cauchemar. Nos parents ont dû nous aider mais nous ne pouvions pas leur dire la vérité. Nous étions aussi leur espoir d’un avenir meilleur.

Jusqu’à présent, 34 victimes, dont de nombreux mineurs, ont été identifiées. Comparé à une « organisation cartellaire » dans un rapport de 45 pages de la commission d’éthique de la Fifa, ce système implique de nombreux prédateurs et complices, comme Rosnick Grant, président de la commission des arbitres de la FHF et banni à vie par la Fifa pour abus sexuels en juillet 2021. Un rapport de la Fifpro a identifié dix auteurs. Selon les rescapés, au moins une vingtaine d’employés de la FHF étaient directement impliqués – en tant que prédateurs et/ou facilitateurs.

« Ce que je ne comprends pas, c’est comment la Fifa n’a pas vu ce qui se passait », raconte une des victimes de Jean-Bart. « Nous parlons de deux décennies d’abus. C’était un secret de polichinelle en Haïti. Comment et pourquoi la Concacaf et la Fifa ont-elles fermé les yeux ? Il était impossible de ne pas savoir.

Comme le souligne une autre victime : « Ils fermaient les yeux parce qu’ils recevaient des filles lorsqu’elles venaient nous rendre visite. C’est aussi simple que ça. C’était tout un système. »

Garçons et filles violés au centre Fifa

Comme déjà rapporté par Josimar, Rosnick Grant a utilisé de jeunes arbitres haïtiens comme cadeaux sexuels pour plusieurs responsables de la Concacaf et de la Fifa, comme Ronald Gutiérrez, l’ancien directeur du développement des arbitres à la Fifa. Pour Jean-Bart, c’était différent. « Il n’aimait pas partager les filles », se souvient une de ses victimes. « Il était très jaloux. Il ne nous voulait que pour lui et ses pulsions sexuelles.

Jean-Bart a fait une exception pour un vieil ami très cher, Sepp Blatter. « Il aimait beaucoup le président Blatter », raconte un ancien membre du conseil d’administration de la FHF. « Il l’appelait son ami personnel. »

Ils se connaissaient depuis des années. Sepp Blatter a été élu pour la première fois président de la Fifa en 1998 et deux ans plus tard, Yves Jean-Bart est devenu président de la FHF. Au fil des ans, les deux ont développé une relation étroite. Depuis le tout début du mandat de Blatter, Haïti et le président de sa fédération étaient chéris par Zurich. La FHF a également été l’une des premières fédérations à recevoir des fonds du programme Goal.

En avril 2002, une cérémonie a eu lieu pour marquer l’achèvement de la première phase du nouveau Fifa Goal Center, qui comprenait un bureau administratif, un auditorium de 300 places et un dortoir pouvant accueillir jusqu’à 32 joueurs dans 16 chambres climatisées. C’est dans ce centre, financé par la Fifa à hauteur de près de 1,5 million d’euros, qu’Yves Jean-Bart a violé certains des adolescents les plus prometteurs d’Haïti. Selon des documents judiciaires en possession de Josimar, l’ancien ministre des sports, Evans Lescouflair, ainsi que d’autres entraîneurs sous contrat FHF, ont violé des garçons mineurs au centre.

« Les trois mois que j’y ai passés ont été un cauchemar », se souvient l’une des victimes qui a officiellement porté plainte contre Lescouflair et d’autres responsables de la FHF. « J’avais 14 ans quand c’est arrivé. Je me suis enfui une nuit avec certains de mes amis. Je n’avais pas le choix. »

Evans Lescouflair a été accusé par plusieurs victimes présumées de viol mineures, dont la famille d’un ancien international des jeunes qui s’est suicidé après avoir été abusé sexuellement par l’ancien ministre des sports.

Le jeudi 12 mai, Lescouflair a été convoqué par un tribunal de Port-au-Prince, mais ne s’est pas présenté. Son avocat a écrit une lettre disant que son client était à l’étranger pour des raisons de santé. Cependant, Jacques Lafontant, commissaire du gouvernement d’Haïti, a émis un mandat d’arrêt contre lui pour viol d’enfants et autres chefs d’agression sexuelle.

« Sur cette affaire, tout s’est passé au ranch », raconte Franck Vaneus, l’un des avocats des victimes, à Josimar. « Les garçons faisaient face à un réseau d’agresseurs là-bas. »

Alors que des garçons et des filles mineurs étaient violés à plusieurs reprises au centre, Yves Jean-Bart a reçu le prix spécial du président de la Fifa en décembre 2004. Reconnu pour « son dévouement », il a également été félicité pour avoir organisé un match amical contre le Brésil la même année comme moyen « pour rassembler les gens et lutter contre la discrimination sous toutes ses formes.

En 2011, après le terrible tremblement de terre qui a tué plus de 220 000 personnes et détruit une grande partie du pays en 2010, l’équipe féminine haïtienne des moins de 17 ans a reçu le prix du fair-play Fifa à Zurich. Jean-Bart a reçu le trophée en souriant avec la capitaine de l’équipe U17 de l’époque, Hayana Jean-François, une joueuse parmi tant d’autres qui a été privée de primes et dont le passeport a été saisi par la fédération.

Trois mois plus tard, dans une interview à CNN, Jean-Bart affirmait que 32 des 50 personnes présentes au siège national étaient mortes lors du tremblement de terre

En réalité, seuls deux salariés de la FHF sont décédés, dont l’entraîneur des U17, Jean-Yves Labaze. Sepp Blatter et la Fifa n’ont pas dit un mot sur les fausses allégations et ont plutôt donné à Jean-Bart plus de 3 millions de dollars américains pour reconstruire la fédération.

L’hommage de Blatter à Jean-Bart

Ancien journaliste, médecin et propriétaire de Radio Galaxie, Yves Jean-Bart est devenu l’un des hommes les plus puissants d’Haïti grâce au beau jeu. « Le football vous donne un accès et des liens politiques comme aucun autre sport », commente Ernso Laurence. « Vous ne pouvez pas imaginer ce que cela représente pour nous. Haïti est fou de football, absolument fou. Jean-Bart le savait et avec la Fifa à ses côtés, il était intouchable.

Jean-Bart avait entretenu de bonnes relations avec l’ancien président du pays, feu René Préval. En 2011, Michel Martelly a été élu président et il voulait que Jean-Bart soit évincé de la FA haïtienne.

« Ce n’était pas un secret que Martelly voulait se débarrasser de lui », explique Pierre Richard Midy, un journaliste d’investigation haïtien vivant en exil en Amérique du Sud après avoir reçu des menaces de mort. « Il n’aimait pas la façon dont Jean-Bart gérait la fédération. Jean-Bart agissait comme un dictateur qui voulait toujours plus d’argent. Martelly n’aimait pas son attitude.

Selon trois conseillers présidentiels de l’époque, Martelly leur a personnellement demandé de trouver suffisamment de preuves pour monter un dossier judiciaire solide contre Jean-Bart. Sentant la pression, Jean-Bart a demandé de l’aide à la Fifa au motif d’ingérence politique. Ainsi, en avril 2013, lors du voyage de Sepp Blatter en Haïti, il rend visite au président Martelly pour « défendre coûte que coûte le travail accompli » par Jean-Bart et sa fédération. Faisant pression sur l’Etat, Sepp Blatter a même demandé au gouvernement d’apporter une aide financière à la FHF et d’apaiser les tensions. « Martelly savait qu’il ne pouvait plus rien faire après ça », se souvient l’un de ses conseillers. « Sinon, Haïti serait suspendu pour ingérence politique et il ne pourrait pas y faire face. Cela aurait pu conduire à d’énormes protestations contre lui et son gouvernement.

S’adressant à la presse locale, Sepp Blatter a fait l’éloge d’Yves Jean-Bart, le décrivant « non seulement comme un grand médecin, mais aussi comme un grand président […] Dans les moments de turbulences du football haïtien ces dernières années, il Il fallait être un bon médecin pour avoir la ténacité, cette foi en l’avenir, cette énergie formidable et exceptionnelle, et c’est pourquoi je vous rends hommage, Yves Jean-Bart.

Pilules bleues pour le président

Avant la visite de Sepp Blatter au Fifa Goal Center, Jean-Bart a convoqué tout le personnel et les joueurs. « C’était arrivé une semaine avant », se souvient une ancienne internationale junior féminine. « Chaque fois qu’une délégation venait, nous étions convoqués par le président. Il nous a donné des instructions précises sur ce que nous devions dire au cas où quelqu’un nous poserait une question. Nous avions besoin de dire que « Dadou » nous traitait bien, qu’il était comme un père pour nous et que nous avions besoin de plus d’argent pour améliorer le centre. « Dadou » nous a également utilisés pour gagner de l’argent. »

La fédération a appelé des nettoyeurs pour polir le centre, cachant des traces de saleté, de moisissure et de murs effondrés. « Je ne sais pas où est allé l’argent parce que nous vivions dans une porcherie », racontent d’anciens habitants à Josimar.

« Nous n’avions pas de serviettes hygiéniques, pour l’amour de Dieu. Je ne parle pas des toilettes parce qu’elles n’étaient pas propres non plus la plupart du temps […] Certains jours, on mangeait une fois par jour, un repas de merde, alors que les réalisateurs mangeaient vraiment bien. Mais quand la Concacaf ou la Fifa sont arrivées, elles ont veillé à ce que nous mangions tous bien et que tout soit propre. Surtout quand le président Blatter est arrivé. C’était un moment spécial pour nous tous et « Dadou » a été très clair sur la façon dont nous devions nous comporter.

Logé à l’hôtel Oasis de Pétion-Ville, un quartier de style western de la capitale, Sepp Blatter a accueilli le staff et quelques joueurs. Yves Jean-Bart se tenait aux côtés de son cher ami « le président Blatter », comme il aimait l’appeler. Les filles souriaient et une promesse de nouveaux fonds Fifa a émergé. Tout fonctionnait comme prévu et Jean-Bart commandait un « cadeau » pour son bon ami de Suisse.

« ‘Dadou’ a ordonné à un employé de rendre visite à Blatter à son hôtel », se souvient un membre supérieur de la fédération. «Il lui a essentiellement dit de coucher avec lui. C’était un ordre. Elle a hésité car elle avait peur de la réaction de son mari. ‘Dadou’ n’a pas compris qu’elle pouvait défier son autorité, mais il a demandé à une autre femme. Elle a accepté. Elle n’avait pas vraiment le choix. »

Yves Jean-Bart a demandé à un membre de l’équipe médicale de la fédération d’acheter des pilules bleues pour le président de la Fifa. Cette nuit-là, un employé de FHF a passé la nuit avec Sepp Blatter à l’hôtel Oasis.

« ‘Dadou’ en était tellement fier », se souvient le membre du personnel médical qui a apporté les pilules bleues. « Il a raconté l’histoire à tout le monde en utilisant le nom de l’employée même lorsqu’elle était à côté de lui. Il a dit : « Le président Blatter aime les femmes haïtiennes ! Il aime les femmes haïtiennes ! J’en ai un pour lui ».

Contacté par Josimar, le salarié a nié connaître personnellement Sepp Blatter. Cependant, après avoir envoyé une photo d’eux ensemble – ce qui signifie que Blatter savait parfaitement qu’elle était une employée et non une étrangère – elle a admis avoir « une grande affection pour lui […] Nous nous sommes rencontrés lors d’une conférence, je m’en souviens maintenant. » Elle a également nié toute relation ou ordre donné par Jean-Bart.

« Monsieur Jean-Bart est un grand homme. Il ne ferait jamais une chose pareille. Je ne comprends pas pourquoi tu parles de lui. C’est un honnête homme. »

Trois des victimes de Jean-Bart ont répondu à cette déclaration en disant : « Ce n’est pas une surprise car c’est l’une des plus grandes complices de Jean-Bart. »

Pour la suite voir : http://josimarfootball.com/hell-on-earth/

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