L’Édito du Rezo : Le Protecteur du Citoyen, un défenseur des Droits humains ou un zélé «jovenéliste» revanchard ?

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Jeudi 20 janvier 2022 ((rezonodwes.com))–

Dans un article intitulé « En Haïti, l’impossible enquête sur l’assassinat du président Jovenel Moïse », paru dans le quotidien de référence français « Le Monde », le 12 janvier 2022, le journaliste Nicolas Bourcier relève que « six mois après l’assassinat du chef de l’Etat, criblé de balles à son domicile, les commanditaires de l’opération n’ont toujours pas été identifiés et le pays est plus que jamais soumis à la loi des gangs ».

Il aurait pu ajouter : « Le système judiciaire en déliquescence totale sur fond de corruption et de dysfonctionnements », comme on le constate dans bien d’autres pays en développement[1].

Le 13 janvier 2022, le Sénat étatsunien a ordonné l’ouverture d’une enquête détaillée sur l’assassinat du président de facto Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021. Un tournant, un rebondissement, pour le politologue Frédéric Thomas qui affirme : « S’il n’apparaît pas encore le sommet de l’écheveau criminel, la thèse d’un règlement de compte au sein de l’oligarchie locale se confirme, ainsi que la nécessité d’un changement radical pour mettre fin à l’impunité », souligne-t-il[2].  

En Haïti, nombreuses ont été les réactions des acteurs de la vie sociopolitique à l’annonce de cette initiative parlementaire étatsunienne. Parmi ces diverses réactions, celle du dirigeant de l’Office de la Protection du Citoyen, Renan Hédouville, peu décryptée, mérite toute l’attention du grand public, compte tenu de l’importance du rôle que confère la Constitution du 29 mars 1987 à cette haute personnalité. En effet, à y regarder de près, l’on est en droit de se demander si c’est le défenseur des droits humains qui s’est exprimé ou tout simplement un zélé « jovenéliste » revanchard qui veut en découdre à tout prix avec ses adversaires, voire ses ennemis politiques, dont l’actuel Premier ministre de facto, Ariel Henry, dans sa ligne de mire depuis plusieurs mois.

Dans un premier temps, le 15 janvier 2022, le Protecteur du Citoyen publie une note pour se réjouir de l’initiative étatsunienne. « L’Office de la Protection du Citoyen, Institution Nationale de promotion et de protection des Droits Humains, salue le vote du Congrès américain en date du 13 janvier 2022 ordonnant au département d’Etat l’ouverture d’une enquête sur l’assassinat du Président Jovenel Moïse et sur le massacre survenu à la saline en novembre 2018, ayant occasionné la mort de plusieurs dizaines de personnes, selon des sources combinées. C’est une bonne décision, vu le caractère transnational de l’assassinat du Président Moïse et les obstacles majeurs liés à cette enquête conduite par un juge d’instruction haïtien », estime-t-il.

Et dans un second temps, le combat politicien l’emportant sur la raison, Renan Hédouville rappelle « que depuis le début du mois d’août 2021, il avait affirmé que le Premier Ministre de facto, Dr Ariel Henry est le principal obstacle à l’aboutissement de l’enquête, information qui se confirme de plus en plus à l’échelle internationale ». « L’entraide internationale s’avère donc nécessaire, voire […] indispensable », ajoute-t-il.

Comme on peut le constater, le Protecteur du Citoyen ignore quasiment l’autre information-clé de l’initiative du Sénat étatsunien concernant l’enquête ordonnée, par ailleurs, sur le massacre de La Saline. Il préfère se concentrer essentiellement sur celle portant sur l’assassinat de son ami, le bienfaiteur Jovenel Moïse, en s’attaquant frontalement à sa cible préférée, Ariel Henry, qu’il soupçonne d’être impliqué dans l’assassinat du petit dictateur. Il s’y emploie avec d’autant plus d’énergie et de détermination qu’une enquête du New York Times[3] est venue récemment confirmer les révélations du RNDDH, issues de l’enquête de la DCPJ, laissant entendre que le Premier ministre de facto aurait été en contact téléphonique avec l’un des présumés meurtriers, la nuit du crime et même après celui-ci.

Alors, quand on sait qu’« il a pour mission de veiller au respect de l’Etat de ses engagements en matière de droits humains, notamment ceux contractés au niveau national et international et de protéger tout individu contre toutes les formes d’abus de l’administration publique »[4], il est légitime de questionner l’attitude du Protecteur du Citoyen dans cette affaire d’Etat.

A supposer qu’il soit de bonne foi et impartial – ce qui ne semble pas être le cas –, pourquoi ne se montre-t-il pas alors aussi actif dans la recherche de justice pour toutes les victimes sans distinction, notamment toutes les personnes, à l’image de Marie Antoinette Duclaire (Netty), Diego Charles et tant d’autres, tombées sous les balles assassines des affidés du régime criminel PHTK2 dirigé par son mentor Jovenel Moïse ?

Pourquoi ne se bat-il pas bec et ongles pour soutenir et faire aboutir la demande d’une enquête internationale sur l’assassinat de Me Monferrier Dorval dans le voisinage de la résidence privée du président de la République ?

Que ferait-il si son ennemi juré Ariel Henry, qui détient quasiment tous les pouvoirs, décidait de prendre une telle initiative pour que justice soit rendue au nom du peuple haïtien ? Le soutiendrait-il ?

Quelles démarches a-t-il entreprises sur le plan juridique pour aider les victimes à la suite des détails du massacre de La Saline révélés dans un rapport de l’ONU[5] le 21 juin 2019 cependant que son ami ApreDye régnait en maître et seigneur ?

Il s’agit là de questions tout à fait pertinentes et légitimes qui méritent d’être posées dans un pays où tout voum se do.

En effet, dans cette affaire d’Etat – comme dans d’autres d’ailleurs –, exigeant son professionnalisme, Renan Hédouville devrait respecter scrupuleusement les « attributions de l’OPC […] énumérées à l’article 6 de la loi portant organisation et fonctionnement de l’Office de la protection du citoyen […] » ainsi que le décrit Me Patrick Laurent dans un entretien accordé au Nouvelliste[6]. Et principalement deux d’entre elles d’une importance capitale dans le contexte actuel, à savoir : « enquêter sur tout abus, notamment les violations des droits humains, commis ou susceptible d’être commis par l’Administration publique ou cautionné par celle-ci […] ; contribuer avec les institutions publiques compétentes au respect et à la protection des droits des groupes vulnérables…[7] » Et il précise, plus loin : « […] l’OPC peut lui-même s’autosaisir, c’est-à-dire […] elle peut intervenir d’office lorsqu’il a des motifs valables faisant croire que les droits d’un individu auraient été lésés par un acte, une omission ou une négligence de l’Administration publique ou cautionné par celle-ci. […] L’OPC peut tout aussi bien saisir les instances judiciaires dans le cas d’une violation constatée des droits humains, ce en application de l’article 42 de la loi organique de l’institution.[8] » 

Ainsi, sans vouloir nécessairement défendre le Premier ministre de facto, nommé à partir d’un simple tweet, une autre question s’impose : pourquoi le Protecteur du Citoyen ne s’applique-t-il pas à respecter la présomption d’innocence du citoyen Ariel Henry comme il devrait le faire pour n’importe quel autre citoyen dans l’assassinat du président de facto Jovenel Moïse? Faut-il rappeler que, tant que la justice ne s’est pas prononcée, tout individu indexé dans une affaire est présumé innocent?

A quand un véritable défenseur des Droits humains à la tête de l’OPC ?


[1] The New Humanitarian | La spirale du non-droit dans le ‘Far West’

[2] Frédéric Thomas, « Haïti : un tournant dans l’enquête sur l’assassinat de l’ex-président Jovenel Moïse », CETRI, 18 janvier 2022.

[3] Anatoly Kurmanaev, « Haïti : des liens entre le Premier ministre et un suspect du meurtre », The New York Times, 12 janvier 2022.

[4] OPC – Accueil (opchaiti.com)

[5] Haïti: les détails du massacre de La Saline révélés dans un rapport de l’ONU (rfi.fr)

[6] Robenson Geffrard, « Que peut l’OPC pour les citoyens ? », Le Nouvelliste, 7 octobre 2015.

[7] Ibid.

[8] Ibid.

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