Il y a 30 ans, l’écroulement de l’U.R.S.S. Mikhaïl Gorbatchev présenté par beaucoup comme le fossoyeur du système

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Vatican News

Bernard Lecomte est écrivain et journaliste, ancien grand reporter à La Croix et à l’Express. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur le Vatican et le Kremlin. Il vient de publier KGB, la véritable histoire des services secrets soviétiques (Perrin).Entretien avec le journaliste Bernard Lecomte.

Mercredi 29 décembre 2021 ((rezonodwes.com))–

Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev démissionnait de la présidence de l’URSS. Le 26 décembre, cette Union des Républiques Socialistes Soviétiques se voyait finalement dissoute par le Soviet suprême (instance dirigeante du parti communiste russe). Le journaliste que vous étiez à ce moment-là a-t-il été surpris? Ou, au contraire, vous attendiez-vous à un tel événement?

Tous les observateurs s’attendaient à la fin de l’URSS depuis un an et demi, deux ans. Cet effondrement était quand même dans la suite logique de cet affrontement entre l’URSS, telle qu’elle était restée, avec Mikhaïl Gorbatchev à sa tête, et les velléités d’autonomie de ces fameuses républiques socialistes soviétiques: l’Arménie, la Géorgie, la Lituanie et tous ceux qui, profitant de la Perestroïka de Gorbatchev, avaient petit à petit exprimé à haute voix leur volonté d’indépendance sans être réprimés par l’Armée rouge ou par le KGB, à quelques exceptions près.

Ce qui était totalement inattendu, c’est qu’une de ces républiques en particulier monte au créneau et exprime, elle aussi, un désir d’indépendance: la Russie. Personne n’aurait imaginé un jour qu’il y aurait ce espèce de bras-de-fer extraordinaire, mondial et historique entre l’URSS et la Russie, qui n’était jamais qu’une des républiques de l’URSS -la plus puissante du reste. C’est à partir du moment où la Russie a eu un président élu au suffrage universel en la personne de Boris Eltsine -juin 1991- que l’on comprend que ce président légitime d’une Russie puissante va l’emporter face au président peu légitime de l’URSS. Mikhaïl Gorbatchev contre Boris Eltsine, c’est l’URSS contre la Russie. Et la Russie va gagner.

Mikhaïl Gorbatchev a été présenté par beaucoup comme le fossoyeur de l’URSS, en raison de sa Perestroïka. Partagez-vous ce point de vue?

Oui et non. D’une certaine manière, il est évident qu’il est le fossoyeur de l’URSS, comme Napoléon fut celui de la Révolution française. Il s’agit d’une évolution historique d’ouverture, d’une tentative de libéralisation d’une structure politique qui, en réalité, ne pouvait pas être réformée. Cette tentative-là, celle de Gorbatchev, va aboutir en effet à un certain pluralisme, à un peu plus de libertés, à moins de censure dans les journaux, mais en même temps, à la destruction de ce qui faisait l’unicité autoritaire et totalitaire de cette structure. L’URSS c’était un parti unique, une armée et une police -le KGB. A partir du moment où vous sciez les pieds de ces meubles, vous avez forcément un effondrement qui va se produire. Personne ne savait comment cela allait se passer mais sous Gorbatchev, les chefs du KGB avaient compris que tout cela était extrêmement dangereux pour la structure politique de l’Union soviétique.

Gorbatchev ne s’attendait pas, évidemment, à faire s’écrouler l’URSS, dont il était le président! Mais, historiquement, c’est ce qu’on retiendra: ce sont bien ses réformes qui ont miné les fondements de l’URSS.

Vos écrits ont beaucoup mis en avant le rôle du Pape Jean-Paul II dans le lent processus de délitement de l’URSS. Peut-on dire que ce rôle s’est révélé décisif?

Oui, le rôle du Pape a été décisif pour fixer le moment. Juste après son élection, le Pape polonais, qui vient d’un pays situé derrière le rideau de fer, a une formule qui va rester dans l’Histoire et qui est capitale: «N’ayez pas peur !». Il parle, bien sûr, au monde entier mais s’adresse plus précisément aux Polonais, aux Lituaniens, aux Hongrois, aux Slovaques, aux Ukrainiens et à toutes les communautés catholiques de l’Est, qui l’écoutent attentivement. Surtout les Polonais, qui sont très fiers de leur Pape. La Pologne est à ce moment-là le pays le plus anticommuniste de l’Europe de l’Est, mais elle est aussi découragée parce qu’on n’est plus dans la Guerre froide, que la détente est venue, et qu’il y a eu les Accords d’Helsinki qui ont entériné la domination de l’URSS sur la moitié de la planète.

Aussi, quand les Polonais et les peuples voisins entendent-ils ce Pape crier «n’ayez pas peur !», c’est comme une onde de choc qui les traverse. En tant que journaliste, j’ai couvert le retour de Jean-Paul II dans son pays, en juin 1979. Et je vous assure que j’en garde des souvenirs extrêmement forts ! De voir ce Pape redonner confiance à des dizaines de millions de gens… c’était absolument extraordinaire.

Quelques mois après ce fameux voyage, il y aura Solidarnosc ainsi que les accords de Gdansk, où le Pape joue un rôle majeur. Car s’il n’avait pas défendu ostensiblement Solidarnosc, le général Jaruzelski et les soviétiques auraient probablement fini par étouffer cette révolte syndicale. Or, le Pape ne les a pas lâchés. Dix ans après, en 1989, l’on assiste à la chute du mur de Berlin dont le principal acteur est le Pape Jean-Paul II.

On ne peut pas tout à fait dire la même chose pour la fin de l’URSS, car elle -ci se passe loin du Vatican. Mais lorsque l’on refait cette histoire, à partir des accords d’Helsinki, des dissidents, de Soljenitsyne, de la Pologne et de Solidarnosc, on voit bien que le Pape a joué un rôle majeur dans toute cette aventure.

La fin de l’URSS signe celle de la bipolarisation du monde et l’émergence d’un nouvel ordre mondial, dominé par les États-Unis. Le monde d’aujourd’hui porte-il encore les conséquences de cet effondrement ?

Oui, bien sûr. Il suffit de voir comment la Russie a évolué depuis 30 ans. Elle a été emportée un temps par un vent de libéralisation avec Boris Eltsine, qui était prêt à démocratiser ce pays, à la suite de Gorbatchev. Mais l’on s’est rendu compte que la Russie est un immense continent, qui ne se manipule pas aisément, qui a des racines, une tradition et qui n’avait jamais connu la démocratie.

Elle est aujourd’hui un pays autoritaire – et non pas totalitaire-, qui s’est détaché de l’Europe pour se rapprocher de la Chine, dirigée par un homme issu du KGB -ne l’oublions jamais- et dont l’ambition est de renouer avec le côté impérial de la Russie de toujours. Et cela est la conséquence directe de qui s’est passé il y a trente ans.

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