Monitoring sur la situation de détention de l’ancien député Arnel Bélizaire

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Monitoring sur la situation de détention de l’ancien Député Arnel Bélizaire au Pénitencier National d’Haïti du 7 juillet au 28 juillet 2021.

par Me Camille OCCIUS
Coordonnateur Général
OCNH

Lundi 2 août 2021 ((rezonodwes.com))–

A- Introduction

  1. Au cours de la fin du mois de juillet 2021, OCNH a documenté la situation de détention de Arnel Bélizaire au pénitencier National d’Haïti
  • Tout de suite après l’assassinat de l’ancien président Jovenel MOÏSE dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021 , des rumeurs persistantes faisaient état de la dégradation de l’état de santé de l’ancien Député Arnel Bélizaire incarcéré au pénitencier national.
  • Certaines informations laissaient croire qu’il avait entamé une grève de faim en signe de protestation contre la violation de ses droits.
  • Désireuse de faire lumière et de rétablir la véracité des faits, l’Organisation des Citoyens pour une Nouvelle Haïti (OCNH), organisme de promotion et défense des droits humains remplissant toutes les formalités légales pour son fonctionnement en Haïti a dépêché une équipe aux fins de rencontrer l’ancien Arnel Belizaire dans son lieu de détention, prendre ses griefs et surtout connaitre la version des faits des responsables de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP).

B- METHODOLOGIE

  • La visite des prisons et centres de détention est l’une des activités les plus efficaces pour la surveillance du respect des droits des personnes incarcérées. Consciente de ce fait, au regard des règles minima des Nations Unies concernant la gestion des détenu-e-s, l’OCNH dans le cadre de ce présent rapport, a cherché à vérifier les conditions matérielles dans lesquelles l’ancien Député Arnel Bélizaire est incarcérée au regard du respect de sa dignité et de son humanité.
  • Les sources principales d’information sur lesquelles ce rapport est basé sont en premier lieu les observations des agents de l’OCNH dépêchés au Pénitencier national particulièrement la visite de la cellule d’Arnel Bélizaire ainsi que des entretiens avec l’ancien Député Arnel Bélizaire ; l’inspecteur Victor Julien, Responsable du Pénitencier National et le Commissaire Dominique Voltaire Spady, Directeur de l’administration pénitentiaire – DAP.
  • Ce rapport entend relater, le plus objectivement possible, les observations de l’OCNH sur la situation de détention d’Arnel Bélizaire réalisées le mardi 27 juillet 2021 ainsi que les propos recueillis lors des entretiens menés les 27 et 28 juillet 2021.

C- SITUATION JUDICIAIRE D’ARNEL BELIZAIRE

  • Faisant l’objet d’un mandat d’amener émis par le Commissaire du Gouvernement près du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince d’alors, Me Jacques Lafontant pour répondre aux accusations de complot contre la sureté intérieure de l’Etat, de l’ambassade américaine et de la brasserie La Couronne, l’ancien Député Arnel Bélizaire a été arrêté à Jacmel dans la nuit du 29 au 30 novembre 2019, quelques heures après qu’il ait échappé à une tentative d’arrestation menée par la Brigade de Lutte contre le Trafic des Stupéfiants (BLTS), l’Unité Départementale de Maintien d’Ordre et le Groupe d’Intervention de la Police Nationale haïtienne (GIPNH/SWAT) alors qu’il donnait une conférence de presse dans la ville de Saint Marc dans le département de l’Artibonite.
  • Il faut noter que sept (7) autres personnes ont été appréhendées avec lui et selon les dires des autorités policières : la Police Nationale d’Haïti (PNH) a trouvé 3 fusils, 5 pistolets, 3 grenades, 1 masque à gaz, 12 chargeurs de fusil, des munitions, de l’argent en cash et des équipements de communication.
  1. Transféré dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, il a été auditionné au parquet près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, pendant près de

deux heures par le commissaire du gouvernement par intérim Jacques Lafontant le 9 décembre 2019. Après l’audition, deux personnes arrêtées en sa compagnie ont été libérées et Arnel Bélizaire, objet d’un mandat de dépôt a été mis en détention au Pénitencier national.

  1. Après un mouvement de tension et une tentative d’évasion, survenue le 28 janvier 2020, au pénitencier national, l’ancien élu de Delmas/Tabarre à la 49e législature a été transféré à la prison civile de la Croix-des-Bouquet. En signe de protestation contre ses conditions de détention et pour dénoncer la situation des autres détenu- e-s, il y a entamé une grève de faim.
  1. Le 3 mai 2021, après plus de 17 mois de détention préventive à la prison civile de Croix-des-Bouquets et au Pénitencier national, l’audience prévue pour plaider le dossier n’a pas eu lieu. Le dossier n’étant pas en état, les honorables juges de la troisième section de la cour d’appel ont donc ordonné aux représentants du ministère public de mettre l’affaire en état de recevoir jugement dans le plus bref délai. Face à l’évidence que l’audience relative au dossier d’Arnel Bélizaire pouvait être organisée dans un bref délai, les autorités ont décidé de le garder au pénitencier national.

D- CONDITIONS MATERIELLES DE DETENTION

  1. Lors de sa visite au pénitencier national le mardi 27 juillet 2021, la délégation de l’OCNH s’est enquise des conditions d’hébergement d’Arnel Bélizaire dans les locaux du pénitencier national avec un regard particulier sur l’hygiène qui y règne.
  1. L’ancien parlementaire haïtien, membre de la 49e législature, n’est pas incarcéré dans le même bloc que les autres détenu-e-s. Avec deux autres codétenus, il occupe un espace qui a été aménagé au niveau du greffe de la prison.
  1. Dans l’espace assez bien aéré , l’équipe de l’OCNH a remarqué un téléviseur écran plat, trois lits chacun garni d’un matelas et 5 gallons dont un était complètement vide. Pour faire leurs besoins physiologiques, les détenu-e-s n’avaient ni WC ni paravent à leur disposition. Deux grands sceaux ont été placés dans des coins . À cet effet , une odeur de chlore  emplissait l’air.

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E- TRAITEMENT D’ARNEL BELIZAIRE AU REGARD DES DROITS HUMAINS

  1. Haïti a signé et ratifié de nombreux instruments internationaux qui posent des standards en matière de détention et de traitement des détenus sans aucune forme de discrimination et dans le respect de leurs droits comme le droit à la vie, le droit à la sécurité, le droit à la dignité des personnes et le droit de ne pas être victime de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Haïti a ratifié des traités leur reconnaissant aussi, les droits à un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, à la santé et à l’éducation.
  1. En adéquation avec l’ensemble de règles minima des Nations Unies, le cadre normatif national reconnait aussi aux personnes privées de libertés certains droits. En matière de conditions de détention, particulièrement en ce qui porte aux droits à l’alimentation, à un lieu de vie décent, au maintien des liens familiaux, à l’éducation, à l’accès à l’air frais et le cadre de l’action disciplinaire, les RIEP prennent le relai et posent les principales règles.
  1. Rencontré à la salle de réception de la prison, l’ancien Député Arnel Bélizaire, cheveux coupés à plat et arborant un T-shirt blanc propre, un pantalon de couleur beige en bon état et un cache-nez blanc en parfait était a échangé avec l’équipe de l’OCNH sur sa situation au centre de détention. Après les salutations d’usage, la présentation des membres de la délégation de l’OCNH, Arnel Bélizaire s’est engagé à bien répondre aux questions en relatant ce qui est conforme à la vérité et n’a émis aucune réserve à ce que ces propos soient reproduits dans un rapport.
  1. L’équipe de l’OCNH a débuté l’entretien en exprimant combien elle était préoccupée par les informations qui lui étaient parvenues. Certaines relataient que le concerné n’arrivait pas se nourrir parce que les policiers refusent de recevoir de la nourriture apportée pour lui par ses proches et que sa santé s’était détériorée. Invité à faire lumière sur ces rumeurs, Monsieur Bélizaire a répondu qu’effectivement ça fait plusieurs jours qu’il n’a pas mangé des mets apportés par ses proches. Du 6 au 25 juillet 2021, il n’a rien reçu de ses proches.
  • . La raison était simple , vu qu’il ne pouvait s’alimenter dans n’importe quel ustensile pour des raisons de santé. Donc, on lui apportait sa nourriture dans un récipient spécial. Cet ustensile dans lequel il recevait sa nourriture est devenu la source d’une mésentente entre les agents de la DAP qui ont été divisés en deux groupes. Un acceptait de laisser entrer le récipient, l’autre refusait et exigeait que sa nourriture vienne dans le même type de récipient que les autres détenus. Estimant que les policiers sont divisés sur la question relative au récipient, il a pris l’initiative de demander à sa famille de ne plus lui apporter à manger en attendant que le problème soit résolu.
  • À la demande de la délégation de l’OCNH de préciser si ce sont les policiers qui refusent de laisser entrer sa nourriture ou plutôt qu’il a pris la décision de demander à ses proches ne pas lui en apporter durant la période jusqu’à ce que les policiers s’entendent sur la question relative au ustensile. Désireuse de savoir s’il ne s’est pas nourri durant la période en question, l’OCNH a demandé des éclaircissements à ce sujet. Monsieur Bélizaire a répondu qu’il partage sa cellule avec deux « frères » qui partagent avec lui leur nourriture.
  • L’ancien Député Arnel Bélizaire a affirmé qu’il n’a été victime d’aucune violence physique, que les policiers n’auraient jamais osé lui donner des coups. Toutefois, il a précisé que ce qu’il reproche aux policiers ce sont leurs nombreuses violations des droits des autres détenus. Ils les battent, certains prisonniers sont blessés à la tête lors des bastonnades. Lui comme militant conséquent, il lui est impossible de

tolérer les abus dont il est témoin et quand il revendique pour les autres détenus, les policiers ont des problèmes avec lui.

  • En réponse aux rumeurs sur son état de sa santé, Arnel Bélizaire a fait savoir qu’il était en pleine forme et qu’il attendait sa sortie de prison. Il a conclu en rappelant qu’il sait se battre et qu’il compte continuer à se battre parce que le pays doit changer.

F- VERSION DES AUTORITES PENITENTIAIRES

  • Aux yeux du responsable du Pénitencier national, Arnel Bélizaire est un prisonnier qui a un comportement de révolutionnaire dans le centre de détention. Il ne respecte pas les policiers. Monsieur Bélizaire lui a proposé de le mettre à ses cotés afin qu’ils travaillent ensemble durant son passage à la prison. L’inspecteur Victor Julien, décrit Monsieur Bélizaire comme un prisonnier qui incite les autres prisonniers à se révolter parce que d’après lui, leurs droits sont violés. Il a toutefois reconnu que la toile de fond des discussions entre les policiers et le détenu était le type de récipient .
  • Lésé par les informations qui circulaient sur les réseaux sociaux et dans certains médias, le Directeur de l’administration pénitentiaire, le commissaire Dominique Voltaire Spady, a déclaré avoir été victime de mauvaise foi et de méchanceté. Suite à un appel recu de l’avocat de Monsieur Bélizaire, il a invité ce dernier à passer à son bureau. Malgré son insistance, l’avocat du détenu n’a pas été en mesure de prouver que les droits de son client ont été violés.
  • Il a toutefois reconnu que certains agents travaillent assez mal. Ils n’arrivent pas à traiter les détenu-e-s de la même manière et font des traitements de faveur à certains mettant de côté le principe d’égalité de tous les détenu-e-s. En ce qui concerne le problème posé par le récipient ou bol pour la nourriture, le Responsable de la DAP considère que c’est un incident qui est survenu parce que les agents ont dérogé à la règle.
  • Tous les détenus doivent recevoir leur nourriture dans des bols en plastique, ils n’auraient jamais dû accepter le bol stainless avec une cavité a-t-il poursuivi tout en précisant que le transfert du détenu à la prison civile de la Croix-des-Bouquets moins de 24 heures après le passage de la délégation de l’OCNH était déjà prévue.
  • Le Commissaire a mentionné qu’à cause de nombreuses privations auxquelles l’administration pénitentiaire fait face, elle n’arrive pas à combler les besoins spéciaux de certains détenus particulièrement en ce qui a trait au régime alimentaire. Toutefois, il a déclaré qu’il veille au strict respect des droits des détenu- e-s.

G- OBSERVATIONS

  • Les données recueillies par l’OCNH permettent d’attester que les rumeurs sur Monsieur Arnel Belizaire étaient faux, mais nous confirmons des conflits latents entre les autorités pénitentiaires et Bélizaire.
  • Toutefois, ses revendications pour le respect des droits des autres détenu-e-s dans des conditions inhumaines et victimes de violence des agents de la PNH sont à la base du conflit qui a éclaté au sujet du bol qui en principe n’aurait pas dû être admis dans l’espace pénitentiaire.
  • Par contre, il est important de mentionner que le concerné est en détention préventive prolongée depuis près de 19 mois. C’est inacceptable et c’est une violation de son droit à un procès dans les délais prévus par la loi.

H- RECOMMANDATIONS

  • Le 27 juillet 2021, 3 683 détenus étaient hébergés au Pénitencier national. Cette surpopulation carcérale a des effets néfastes sur la santé physique et mentale des

détenus qui sont entassés dans des cellules dont les conditions hygiéniques rendent le climat propice à la propagation de certaines maladies.

  • L’OCNH recommande donc aux autorités :
  1. Que les juges de la Cours d’appel s’organise pour permettre à Arnel Belizair de savoir son sort dans le plus bref délai.
  • Prendre en toute urgence les mesures nécessaires afin de remédier à la situation de malnutrition dans la prison civile de Port- au- Prince
  •   Mettre sur pied dans la prison civile de Port—au-Prince des activités visant à augmenter l’autosuffisance alimentaire ;
  • Prendre en compte les besoins sanitaires particuliers des détenus lors de la réception de la nourriture apportée par leurs proches et parents ;
  • Diminuer la surpopulation de la prison Civile de Port- au- Prince – et donc le nombre de détenus à nourrir –  en réalisant des assises ;
  • Améliorer le cadre de détention et traiter les détenu-e-s sur un même pied d’égalité, sans aucune discrimination liée à leur rang social, les motifs de leur arrestation, leurs tendances politiques ;
  • Favoriser l’exercice physique, le sport ; 8-   l’usage de radios, TV, lectures, etc.

9- Veiller au strict respect des droits des détenu-e-s dont le droit de conserver son intégrité physique ou moral.

34- Recommandations à l’endroit des organisations internationales et nationales œuvrant dans le milieu carcéral :

  1. Appuyer l’administration pénitentiaire dans l’accès à l’eau potable et aux médicaments,
  • Sensibiliser l’administration pénitentiaire sur le règlement d’ordre intérieur des établissements pénitentiaires et d’autres lois protégeant la population carcérale,
  • De veiller au respect des droits des prisonniers surtout les prisonniers politiques
  • Sensibiliser les détenus-e-s sur les gestes barrières contre la covid-19 et distribuer des matériels de protection..

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