Haïti: un présent gangstérisé contraint par un passé déshumanisé

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PAR ERNO RENONCOURT

L’angle médiatique sélectif des droits humains selon une certaine presse française : de la Russie à Haïti

Samedi 24 avril 2021 ((rezonodwes.com))– La prestigieuse revue française Esprit vient de publier son infolettre hebdomadaire marquée par le souffle humaniste d’un vibrant réquisitoire démocratique contre le « Système Poutine » installé en Russie « où l’usage du crime contre l’humanité constitue la norme ».

Car, poursuit la rédaction de la revue, « Voilà trop longtemps que la violence dans laquelle Vladimir Poutine a assis et consolidé son pouvoir, non seulement n’offre guère de perspective d’un avenir meilleur pour la société russe, mais ne fait qu’ajouter au désordre du monde ».

On ne peut qu’applaudir cette humaine disponibilité médiatique qui accourt vent debout pour défendre les droits humains. Mais, hélas, quand on sait que la Russie n’est pas le seul théâtre « où l’usage du crime contre l’humanité constitue la norme de pouvoir », et que les rédacteurs de cette revue n’en ont jamais donné si solennel écho, on est vite refroidi par cette indignation sélective. D’autant plus que la revue Esprit est une revue française et que le pouvoir politique français, malgré son caractère théorique de pouvoir démocratique, ne cautionne pas moins et a toujours fermé les yeux sur les régimes politiques, acquis à sa cause, qui ne broient pas seulement leurs opposants, mais massacrent aussi impunément leurs populations. On pense notamment au génocide rwandais de 1994 et à ce génocide de basse intensité qui se livre en Haïti dans le plus grand silence médiatique parce que cautionné par les puissances démocratiques occidentales.

En effet, ce jeudi 22 avril 2021, L’Observatoire Haïtien des Crimes contre l’Humanité et la Harvard Law School International Human Rights se sont penchés sur la répression sauvage et les crimes contre l’humanité commis en Haïti par le régime politique haïtien qui est soutenu par la communauté internationale, notamment par la France, malgré son impopularité, son illégitimité, son caractère criminel et corrompu. Alors on se demande, pourquoi la revue Esprit n’a jamais fait écho du drame que subit le peuple haïtien, qui, du reste, rappelons-le, n’est pas sans lien avec la barbarie esclavagiste dont la France s’est rendue coupable durant 3 siècles. C’est d’ailleurs ce que rappelle l’économiste Thomas Piketty dans son livre Le capital au XXI ème siècle et particulièrement dans cet article dans lequel il plaide pour un remboursement des sommes vertigineuses qu’Haïti a versées à la France durant des décennies en échange de la reconnaissance de son indépendance.

On aurait tort de croire que ce traitement sélectif, par lequel on s’indigne du malheur des blancs tout en se montrant indifférent et insensible quand ce même malheur touche les noirs, soit une exception de la revue Esprit. En effet, pour peu que l’on suive avec intérêt l’angle de traitement des médias français (et occidentaux en général), on se rendra vite compte qu’il y a un racisme structurel et même systémique ancré dans leur ADN éditorial. L’exemple le plus récent nous vient de l’émission  »28 minutes » de Arte du 22 mars 2021. Sur le plateau de cette émission, en apparence très progressiste, l’écrivaine Anne-Marie Garat était venue présenter « Humeur noire », son vingt-septième roman, paru chez Actes Sud. Et comme elle disait sa colère et son aversion pour le passé esclavagiste de son pays et notamment de sa ville Bordeaux, un des chroniqueurs de cette émission, Vincent Trémolet de Villers, lui faisait gentiment remarquer que ce serait mieux, au lieu de remuer ce passé esclavagiste des nègres de se concentrer de préférence sur les Ouïghours mis en esclavage par la Chine.

Cela m’a fait un choc de voir le racisme si ouvertement promu et assumé. De toute évidence, Arte ne peut plus étonner personne par son alignement éditorial sur les intérêts des grands groupes financiers internationaux. On se rappelle que durant le premier confinement, un autre chroniqueur, Renaud Delly, disait ouvertement qu’il fallait assumer le choix de la croissance économique par la décroissance démographique. et évidemment, dès qu’on parle de démographie, on voit l’Afrique et ses peuples noirs innombrables qui ne sont pas « entrés dans l’histoire ».

Ce qui est en cause ici, c’est une volonté systémique de privilégier les droits humains, non pas comme socle effectif de valeurs pour tous les peuples, mais simplement comme outil de contrainte géostratégique vis à vis des puissances émergentes qui ne partagent pas les valeurs de l’occident. C’est là une imposture qu’il faut sans cesse relever pour montrer combien l’occident, dans ses institution politiques, diplomatiques et médiatiques, transpire d’impostures et de médiocrités.

Haïti: un présent gangstérisé et enchevêtré dans les structures d’un passé déshumanisé

Parlant d’impostures politiques et diplomatiques, comment passer sous silence l’écho donné par de nombreux médias français de la soudaine revendication d’un chef de gang haïtien qui conditionne la libération  des religieux français kidnappés au remboursement par la France des sommes que lui ont versées Haïti, pendant des décennies, en échange de la reconnaissance de son indépendance. Je crois que le bon sens oblige à voir, dans cette démarche, d’associer la libération des religieux français kidnappés à une revendication de remboursement par la France du paiement de la dette de l’indépendance d’Haïti, une énorme diversion du pouvoir haïtien et une habile manœuvre diplomatique internationale. L’objectif est on ne peut plus cynique, car il s’agit :

  1. de légitimer le gangstérisme en Haïti en lui donnant une base idéologique et politique. Ce qu’un média étranger avait déjà fait, avec des complicités diplomatiques et politiques évidentes, à travers une promotion vidéographique de la vie du chef de gang Jimmy Chérizier (Alias Barbecue) 
  2. de discréditer une éventuelle revendication légitime du peuple haïtien relative au paiement de cette dette qui s’installe un peu plus dans la mémoire collective de cette humanité digne et solidaire.

Tenant compte de ce cynisme, il semble opportun, pour ne pas induire en erreur l’opinion publique française en particulier et mondiale en général, de se poser quelques questions et de rappeler certains faits dans une perspective historique objectivante:

  1. Questions : En effet si les gangs ont une si noble revendication en lien avec la détresse et la misère d’Haïti,
    • pourquoi ce sont les couches pauvres de la population haïtienne qui sont en majorité la cible prioritaire des kidnappings ?
    • pourquoi les gangs terrorisent-ils et massacrent-ils toutes ces personnes pauvres dans les bidons villes ?
    • pourquoi les gangs reçoivent-ils leurs armes et leurs munitions des officiels du pouvoir en place et des membres du secteur privé qui sont tous en intelligente accointance avec les diplomates et les officiels français  ?
  2. Faits: En regard de ces questions,
  • Il y a lieu de rappeler que le pouvoir actuel est soutenu diplomatiquement par la France qui est membre du CORE GROUP apportant plein soutien au régime politique criminel qui est rejeté majoritairement par la population haïtienne depuis 3 ans.
  • Il faut aussi rappeler que c’est le Secrétaire Général des Nations Unies, sous les recommandations de sa représentante dirigeant le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), qui avait applaudi la fédération des gangs par le pouvoir, allant jusqu’à insinuer que les gangs allaient apporter la paix au pays.
  • Il faut rappeler que ce triomphe du gangstérisme qu’on attribue à  l’effondrement du système politique et judiciaire haïtien survient après plus de 27 ans de réforme de l’État de droit (1994 -2021) , dont environ 17 ans (2004 -2021) de renforcement judiciaire constamment célébrés par l’ONU et la communauté internationale à travers d’imposantes missions comme la MINUSTAH, la MINUJUSTH et le BINUH sur fond de réformes pénitentiaires, de professionnalisation des forces de police et de réformes pénales.
  • Il faut aussi prendre connaissance de ce rapport, publié par l’observatoire haïtien des crimes contre l’humanité et la Harvard Law School International Human Rights, qui montre l’évidence des liens entre les gangs et le pouvoir en place.

Il serait bon que les médias français se demandent pourquoi la France soutient un régime qui est impopulaire, corrompu, médiocre et qui arme des gangs pour terroriser la population ? Dans mon indignation contre ce qui se passe en Haïti, je me laisse dire que des médias compétents, qui ne participent pas de l’imposture médiatique dominante, doivent éviter de se laisser prendre au piège de la la manipulation et ne pas rapporter uniquement ce que disent les câbles diplomatiques et les dépêches médiatiques qui viennent d’Haïti. Ce sont des circuits contrôlés par ceux la mêmes qui arment, conseillent, protègent et plébiscitent les gangs.

Je me permets de partager avec vous en pièces jointes ce document publié par l’Observatoire Haïtien des Crimes contre l’Humanité pour mieux contextualiser l’impunité totale qui couvre les massacres d’État commis en Haïti par les gangs. Les gangs ne sont que l’un des remparts de protection d’un pouvoir économique et politique criminel qui n’a plus aucune légitimité, l’autre rempart étant l’intervention des troupes étrangères.

Manifestement, il faut chercher le jeu des intérêts qui permet aux autorités haïtiennes de massacrer aussi impunément sa population avec la complicité des grandes démocraties occidentales, quand un chien qui meurt en Russie, un chat qui s’effondre en Taïwan, un rat qui trépasse en Iran scandalisent l’occident tout entier et poussent médias à identifier et politiques à sanctionner tous ceux et toutes celles qui, dans ces pays, n’affectionnent pas trop les chiens, les chats et les rats. Sans verser dans la victimisation, il est certain que cet État gangstérisé qui se criminalise de plus en plus en Haïti est diplomatiquement cautionné parce qu’en échange les autorités politiques indigentes et les élites (économiques, médiatiques, académiques) puantes haïtiennes ont consenti un abandon de souveraineté sur les richesses du sous-sol haïtien en faveur des étrangers. C’est le vrai sens de ce projet porté par la communauté internationale pour changer la constitution haïtienne afin de permettre, entre autres, aux entreprises étrangères et aux étrangers d’acquérir des droits de propriété en Haïti.

Ce qui se joue en Haïti n’est pas différent de ce qui se jouait au temps de la colonie de Saint Domingue: c’est la même déshumanisation qui se poursuit. Sauf qu’aujourd’hui, elle est dissimulée derrière une imposture d’indépendance qui permet aux anciens colons de donner le pouvoir à des nègres médiocres et soumis pour assassiner plus légitimement d’autres nègres, tout en donnant vie à un certain racisme systémique médiatisant l’incapacité des peuples noirs à se prendre en charge par eux-mêmes.

C’est quand même regrettable que l’enfer haïtien ne prenne sens pour la majorité des médias français que seulement quand deux de leurs compatriotes sont abandonnés par leur pouvoir, alors même que la population haïtienne agonise dans un silence angoissant et crie son impuissance devant les forces qui la déshumanisent depuis au moins trois ans. Évidemment, c’est plus « médiatisant » pour certains médias de parler des droits démocratiques et de la dignité des Ouïghours, des Taïwanais  et des LGBT russes que de parler des droits démocratiques des Nègres d’Haïti. Comme on peut le comprendre, il y a un immense biais médiatique, diplomatique et politique dans le traitement que donne l’occident au concept des droits humains. Et ce n’est nullement un hasard, var ce lien avec le racisme structurel de l’occident. Car comme le dit Jean-Claude Omotunde « La conscience inhumaine occidentale » cherche toujours « à agir avec une force extérieure de persuasion psychologique » et médiatique pour aliéner mentalement le nègre afin de mieux le déshumaniser.

J’ai cru bon d’apporter cette « éclaircie systémique » pour mieux contextualiser les dénonciations sélectives des crimes contre l’humanité et la médiatisation des revendications politiques des gangsters haïtiens dans un même récit d’instrumentalisation diplomatique à des fins de manipulation  géopolitique. Car Haïti ne doit pas laisser des imposteurs, au service de l’occident, lui ravir les outils légitimes de sa lutte d’émancipation et de sa dignité.

Enfumage © Erno Renoncourt

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