1 juillet 2024
L’Edito du Rezo|La démocratie électorale en Haïti : une vaste escroquerie en bandes organisées
Actualités Cas d'assassinat Corruption Diplomatie Élections Insécurité|Kidnapping Justice Société

L’Edito du Rezo|La démocratie électorale en Haïti : une vaste escroquerie en bandes organisées

L’Edito du Rezo

La poursuite du processus électoral par le nouveau CEP dirigé par Léopold Berlanger a donné Jovenel Moïse vainqueur dès le premier tour, avec environ 600 000 voix (soit 50 % de 1,2 million de suffrages exprimés sur un corps électoral de près de 6 millions d’électeurs). Le plus faible taux de participation jamais enregistré dans une présidentielle en Haïti depuis le 16 décembre 1990. Un fait probant que Jovenel Moise n’est pas un échantillon représentatif pour se permettre de décider au nom de plus de 12 millions d’Haïtiens.

par Dr Arnousse Beaulière

Paris, dimanche 14 mars 2021 ((rezonodwes.com))–Depuis plus de vingt ans, l’on assiste à une mise sous tutelle déguisée de la République d’Haïti, particulièrement en matière d’élections, sous l’égide de l’ONU. Cette tutelle se matérialise par les prises de position du Core Group – entité composée des ambassadeurs des Etats-Unis, de la France, du Canada, de l’Espagne, du Brésil et de l’Union européenne, et des représentants de l’ONU et de l’OEA, mais pilotée, en réalité, par l’Oncle Sam. Si l’on considère la dernière décennie post-séisme 2010, deux évènements majeurs illustrent cette ingérence extrêmement néfaste.

Le premier évènement est la manière dont la victoire à l’élection présidentielle de 2010-2011 du chanteur Michel Martelly a été obtenue. Il est de notoriété publique que le principe de souveraineté a été violé lors de ce scrutin via une opération pro-Martelly téléguidée par le Département d’Etat américain par l’entremise de l’OEA (Haiti Sentinel, 6 juillet 2015).

Le second évènement est le contexte très singulier dans lequel Jovenel Moïse est parvenu au pouvoir. L’on se souvient du premier tour des législatives du 9 août 2015 qui s’était déroulé dans une pagaille indescriptible. Tandis que de nombreux dirigeants de l’opposition dénonçaient une farce électorale et que des organisations de défense des droits de l’homme, ayant déployé 1 500 observateurs dans 728 bureaux de vote, évoquaient un « accro aux normes démocratiques », l’International, le CEP et le gouvernement Martelly-Paul s’étaient décerné un satisfecit pour la tenue desdites « élections ». Le Core Group, « qui paraît se contenter pour un pays pauvre comme Haïti d’une ‘‘démocratie-simulacre’’ »[1], y a même vu un « pas positif » pour le « renforcement de la démocratie ». Ce en s’appuyant sur les rapports favorables d’observateurs internationaux, notamment ceux de l’OEA et de la MOE UE basés pourtant sur seulement 2% de bureaux de vote du pays.

Contrairement au premier tour des législatives du 9 août, celui de la présidentielle du 25 octobre 2015 s’était relativement bien déroulé sur le plan sécuritaire, avec un taux de participation de près de 30%. Toutefois, du point de vue opérationnel, nombre de personnalités politiques et d’organisations ont dénoncé, dès le lendemain, l’existence de fraudes massives, de bourrages d’urnes au profit du candidat du PHTK, Jovenel Moïse, illustre inconnu, poulain du président sortant. De l’avis général, ces fraudes étaient d’une ampleur inégalée depuis la chute de la dictature duvaliérienne. Pour l’opposition, cette vaste opération de fraudes a été planifiée par le gouvernement Martelly-Paul, le Bureau des Nations unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) et le CEP. La Représentante Spéciale du Secrétaire Général des Nations unies d’alors en Haïti, l’ambassadrice Sandra Honoré, avait formellement démenti de telles affirmations.

Pourtant, le CEP de Pierre-Louis Opont, acculé, à la suite de la requête de Maryse Narcisse, candidate du parti Fanmi Lavalas, confirmait les fraudes, à travers une vérification menée par des juges du BCEN. En dépit de ces fraudes, ce CEP a convoqué un second tour entre Jovenel Moïse et Jude Célestin, le 27 décembre 2015. L’ambassadeur américain en Haïti, Peter F. Mulrean, déclarait alors à la presse : « On entend parler de fraudes massives, mais pour l’instant on n’a pas encore vu de preuves » (Le Nouvelliste, 27 décembre 2015). Ce second tour n’a pas eu lieu à cette date, Jude Célestin et le G-8 de l’opposition ayant rejeté catégoriquement les résultats du premier tour. 

De son côté, le G-8 a continué d’exiger la démission du CEP et la mise en place d’un gouvernement provisoire chargé de prendre toutes les dispositions en vue de boucler le processus dans la transparence. Ce que la « communauté internationale » a refusé catégoriquement. Les diplomates américains, Thomas Shannon, conseiller au Département d’Etat, et Kenneth Merten, coordonnateur spécial pour Haïti, en mission en Haïti, ont ainsi précisé que « leur visite s’effectu[ait] dans le cadre des efforts en cours en Haïti pour compléter le processus électoral » (Haïti Press Network, 6 janvier 2016). « On ne [voulait] pas voir un gouvernement de transition qui dur[ait] un an ou deux », faisait savoir l’ambassadrice du Canada accréditée en Haïti, Paula Caldwell St-Onge.

Arrivé au pouvoir, à la suite de l’Accord du 5 février 2016, Jocelerme Privert a appelé à la mise en place d’une commission de vérification électorale indépendante. Ce qui n’était pas du tout du goût du Core Group. D’un côté, l’ambassadeur américain Peter Mulrean s’y était opposé, arguant craindre une instrumentalisation politique de cette commission ; de l’autre, l’ambassadeur européen Ioannis Vrailas déclarait qu’« il n’y avait pas eu d’altération significative du résultat du premier tour de l’élection présidentielle. Par conséquent, l’Union européenne suggér[ait] que les résultats proclamés par le Conseil électoral provisoire constitu[aient] la base de référence du deuxième tour » (Le Nouvelliste, 17 mars 2016). Si non, a-t-il menacé, l’UE pourrait suspendre son aide à Haïti. Menace mise à exécution quelques jours plus tard, par la Banque mondiale, qui a décidé de ne plus aider le gouvernement provisoire tant que le processus électoral n’aura pas abouti. Pour accentuer la pression sur le nouveau pouvoir, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, avait fait savoir que la patience de la « communauté internationale » avait ses limites en ce qui attrait à la poursuite du processus électoral en Haïti (Le Nouvelliste, 19 avril 2016).

Malgré l’opposition farouche de l’International et des parlementaires PHTK et alliés, la CIEVE a quand même été installée par le président Privert, le jeudi 28 avril 2016. Dans son rapport remis un mois et un jour plus tard à l’Exécutif, elle a également confirmé les fraudes. La poursuite du processus électoral par le nouveau CEP dirigé par Léopold Berlanger a donné Jovenel Moïse vainqueur dès le premier tour, avec environ 600 000 voix (soit 50 % de 1,2 million de suffrages exprimés sur un corps électoral de près de 6 millions d’électeurs).

Arrivé au terme de son mandat constitutionnel, le 7 février 2021, Jovenel Moïse a décidé de se maintenir au pouvoir malgré les multiples appels à son départ de la part de l’opposition politique, sociale, culturelle, cultuelle, et entend organiser coûte que coûte des élections législatives et présidentielle d’ici à l’automne, avec le soutien de la « communauté internationale » et spécialement de l’Oncle Sam. Cependant, le pays, dans sa grande majorité, est vent debout contre ce projet. Pour l’opposition, la démocratie ne saurait se résumer à l’organisation d’élections, et surtout pas avec un pouvoir comme celui du PHTK honni par la population, qui a déjà planifié des fraudes massives via la carte Dermalog Carte d’identification nationale unique (CINU), remplaçant la CNI et le Numéro d’identrification fiscal (NIF).

Ainsi donc, après l’éphémère parenthèse démocratique (7 février 1991 – 30 septembre 1991), l’organisation d’élections est devenue, en Haïti, une vaste escroquerie en bandes organisées. Une farce liée, entre autres, à la dépendance financière et logistique du pays vis-à-vis du Core Group qui dicte sa loi : « qui finance commande ! » Serions-nous amenés à revivre, en 2021, les mascarades électorales de 2010 et 2015-2016 ?


[1] Laënnec Hurbon, Pour une sociologie d’Haïti au XXIe siècle : la démocratie introuvable, Paris, Karthala, 2001, p. 15.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.