L’ouragan Matthew : surtout un rappel pour l’avenir!

0
1280
Par Ghreid
Jeudi 12 janvier 2017 [[rezonodwes.com]]– Par sa situation géographique, Haïti et particulièrement le grand Sud avec une population estimée à plus de deux millions d’habitants en 2010 par IHSI, est constamment menacée par des cyclones. De 1954 à 1966, les villes des Cayes et de Jérémie ont déjà été gravement affectées à cinq reprises par des cyclones dévastateurs.




Pourtant, l’impression est que le gouvernement ne semble pas avoir été préparé pour faire face à un ouragan d’une telle ampleur. Un vent violent d’une vitesse de 230 km par heure, accompagné de pluies torrentielles, qui laissait derrière lui près de 2 milliards de dollars américains de pertes matérielles, 800 000 Haïtiens menacés d’insécurité alimentaire, et plus de 1.4 million de personnes en besoin d’assistance humanitaire.
Tout de suite après la catastrophe, le dénombrement même des victimes faisait problème. Il mettait aux prises le gouvernement qui se voyait précéder par les ONGs et autres institutions internationales (se croyant face à un nouveau 12 janvier 2010 où l’appareil d’Etat a été complètement effondré et laissait le champ libre à ces dernières pour donner le ton) qui annonçaient des chiffres effarants et le gouvernement lui-même, brandissant ses prérogatives « d’Etat » pour annoncer des chiffres moindres martelés comme officiel. Qui a raison ou qui a tort ? Ça on le saura peut-être jamais.
Toutefois, si le gouvernement se battait pour présenter les chiffres faisant état de l’ampleur de la catastrophe, il ne tentait aucunement de rivaliser les ONGs locales et internationales dans la fourniture des aides d’urgence. [On n’a pas besoin de rappeler les trois-cent mille gourdes (300,000.00 HTG) que certaines municipalités auraient décidé de renvoyer au gouvernement central pour insignifiance.] Le constat paradoxal est que plus les aides humanitaires se multiplièrent, plus la population sinistrée se trouvait aux abois et plus la tension sociale devenait palpable. Il convient alors de se demander si les aides atteignaient vraiment les populations les plus touchées ?
En relation au processus de distribution de l’aide, qui de toute évidence ne répondait pas aux besoins des populations les plus affectées, on s’interroge sur quel mécanisme a été mise en place pour le contrôle des potentielles vagues migratoires qui résulteraient de la délocalisation des habitants des zones les plus affectées vers les grandes agglomérations urbaines où les flux d’aides ont été, a tort ou à raison, apparemment plus importants et vers la zone métropolitaine. La logique voudrait que l’on s’inspirait des conséquences du séisme meurtrier de 2010 pour éviter la création de nouveaux bidonvilles – cette expérience laissait comprendre que d’anciens locataires en profitaient pour échapper aux coûts grandissants et exorbitants des loyers, en s’attendant à ce que l’Etat leur fournisse une alternative de relogement – mais la réalité était autre. On assistait à une augmentation sans précédent du trafic Jérémie – Cayes – Port-au-Prince. Les autobus laissaient Jérémie bondés à toutes les heures du jour et de la nuit, pour revenir à chaque fois quasi vide.




Halte-là ! Il est n’est jamais trop tard pour bien faire. Nous sommes en train de répéter la gestion calamiteuse de l’après 12 janvier 2010. Il est vrai que le tremblement de terre a forcé l’ouverture du débat sur la question de la planification et la gestion du territoire. Ce qui a quand même conduit à la mise en œuvre de certains programmes à l’initiative conjointe d’instances gouvernementales et d’organismes internationaux. A titre d’exemple, le Programme d’Appui à la Reconstruction du Logement et des Quartiers (PARLOQ) qui a accouché le projet d’Agence Technique Locale (ATL) et mis en place dans dix (10) municipalités comme une expérience pilote, mais il n’a pas donné les résultats escomptés.
La crise humanitaire née du passage de l’ouragan Matthew réinvite le pays tout entier à une profonde réflexion. Quand et comment allons-nous travailler pour faire qu’Haïti ne soit plus cette vallée de larmes ? Changer ce destin lugubre qui fait d’elle ce ’’… lieu de pénitence où toutes les bonnes âmes du monde viennent dire aux victimes en pleurs perpétuelles leurs bonnes intentions’’ ? pour reprendre feu le professeur Jean-Robert Simonise. [A se rappeler que l’enfer est pavé de bonnes intentions].
Entre autres choses, nous devons reprendre (particulièrement les autorités locales et centrales) les réflexions et cette fois aussi prendre des mesures pour mieux évaluer les faiblesses du pays en matière d’aménagement, de gestion du territoire et de planification urbaine. Nous n’avons pas assez tiré et appris les leçons du séisme de 2010. Parmi lesquelles, cette idée largement répétée, une catastrophe naturelle n’est pas une fatalité en soi ; l’ampleur des dégâts n’est que le résultat des vulnérabilités aiguës du territoire incapable de résister aux aléas naturels et anthropiques. Et cette autre idée si bien formulée par l’ex-président René Préval dans un discours à l’OIF en Octobre 2010 disant : ‘’Comme cela arrive souvent dans l’histoire de l’humanité, les grandes crises sont porteuses d’opportunités de dépassement et de transcendance lorsque nous les abordons avec courage et ténacité’’. Une catastrophe est toujours un sinistre, mais elle peut être transformée en opportunité si nous la regardons avec calme, intelligence et détermination.
Le grand Sud du pays est une région à la fois agricole et à fort potentiel touristique. Et la Grand’Anse particulièrement comme le département avec la plus grande couverture végétale du pays. De manière non exhaustive et avec un regard sélectif voulu, nous voudrions rappeler et attirer l’attention sur les points suivants que nous estimons critiques pour le relèvement du grand Sud.
L’ouragan Matthew vient de créer un chaos affectant l’identité même de la région sud. Il nous faut des mesures fortes pour recréer ou maintenir cette identité. Toute initiative, qu’elle soit privée ou publique, si elle n’est pas planifiée, doit être recadrée dans le dessein de regagner l’intégrité environnementale du grand sud et reconstituer ou développer son potentiel touristique.
Si nous n’avions pas une estimation exacte de la couverture végétale de la Grand’Anse, nous savons tous qu’elle a été dévastée par Matthew. Et comme traditionnelle pourvoyeuse de ressources ligneuses particulièrement le charbon de bois, sans denrées agricoles, les habitants s’attaqueront aux restes d’arbres épargnés par l’ouragan pour assurer leur survie. En ce sens, si les aides humanitaires d’urgence constituaient une réponse appropriée, il n’en demeure pas moins vrai qu’il fallait circonscrire les distributions d’aides d’urgence dans le temps et dans l’espace pour ne pas créer, alimenter et perpétuer aucune forme d’assistanat chez les sinistrés, et non plus les attirer dans des centres urbains déjà démographiquement surpeuplés et sans structures d’accueil.




Habiter en ville est un droit de tous les citoyens, mais dans cette circonstance particulièrement, il faut vraiment essayer de retenir les habitants des zones agricoles chez eux, distribuer massivement des outils et intrants agricoles tout en cherchant à créer ou améliorer les infrastructures agricoles existantes. La Grand’Anse était le grenier de Port-au-Prince, si elle s’affame Port-au-Prince dépérira. Il est aussi impératif qu’une évaluation soit faite, que des mesures prises et des investissements consentis pour recouvrir la Grand’Anse en arbres. Nous ne pouvons pas accepter de perdre ce que nous n’avons presque plus.
D’un autre côté, si nous considérons la dynamique de développement urbain de Jérémie bien avant l’ouragan, elle tendait déjà vers une certaine bidonvilisation. C’est aussi le bon moment de s’y pencher, si rien n’est fait, elle deviendra une ville ceinturée de bidonvilles comme c’est le cas pour la région métropolitaine de Port-au-Prince. Les décideurs et les pouvoirs publics sont appelés à faire une gestion optimale et rationnelle de l’espace affecté afin d’éviter aux agglomérations de la Grand’Anse les effets pervers de la bidonvilisation caractérisant le fonctionnement des principales villes du pays.
Quant au département du Sud qui, avec ses villes côtières et ses îles, représentait toujours un potentiel touristique énorme, une bidonvilisation effrénée conduira certainement à réduire cette possibilité. Les Cayes comme point de passage, ne présentera plus les conditions de sécurité et de sureté nécessaire pour jouer ce rôle de hub et de plateforme logistique, car tourisme ne rime pas avec instabilité et insécurité. Son développement devra obligatoirement et essentiellement passer par la création d’infrastructures capables de supporter un volume d’échange interrégional grandissant et des flux d’information et de communication vitaux pour une croissance durable.
En définitive, la catastrophe provoquée par l’ouragan Matthew a eu des incidences majeures sur les secteurs clés de l’économie. L’ouragan a pratiquement détruit les infrastructures dont disposait la région. Les télécommunications ont été durement touchées, les maisons des habitants sont pour la plupart détruites et les infrastructures agricoles dévastées. Tachons pour la prochaine fois de coordonner l’aide de manière stratégique en établissant des mécanismes clairs visant à déterminer quelle part destinée exclusivement à l’humanitaire et quelle autre part consacrée au relèvement. L’aide humanitaire ne fait que maintenir en vie et apaiser la vie sociale, elle ne fait pas vivre. Des séismes, des ouragans et d’autres formes d’aléas, nous en aurons toujours, tout ce qu’il nous faut faire c’est de préparer le territoire à en faire face, sinon nous n’arrêterons pas de compter des cadavres et de connaitre des pertes matérielles énormes.
 
GHReID : Group Haiti Recherche Innovation et Developpement
www.ghreid.com
Email :alexisjoseph@ghreid.com
 

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.