27 juin 2024
L’urgence de l’intranquillité pour traquer la précarité (Partie II)
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L’urgence de l’intranquillité pour traquer la précarité (Partie II)

PAR ERNO RENONCOURT

Entre Impostures, insignifiance et indignité, les postures indigentes des lettrés haïtiens nourrissent un climat d’irresponsabilité qui, au même titre que la corruption et l’impunité, conforte l’errance qui entraine le collectif haïtien sur une trajectoire défaillante. Au nom d’une urgente intranquillité, il faut terrasser cette indigence pour ensemencer les ferments d’un écosystème intelligent

Jeudi 24 décembre 2020 ((rezonodwes.com))–

Le recycleur médiatique et le fossoyeur viral

Les Grecs disaient qu’on ne peut connaitre le vrai que si on connait les causes. Or, connaitre les causes, c’est assumer l’indispensable nécessité de l’intranquillité. Plonger en profondeur pour aller à la racine des maux, c’est oser poser les questions qui fâchent et traiter les sujets qui dérangent. Et pour cela, il faut que l’intégrité et l’éthique de la vérité soient disponibles, côte à côte, pour irradier le feu de l’intranquillité. Car, comme disait Khalil Gibran « nul ne peut atteindre l’aube sans passer par l’épreuve de la nuit ».

Mais, dans un pays, comme Haïti, où les consciences sont effondrées et que toutes les indigences se justifient par la précarité, on ne voit pas trop les remparts qui peuvent se constituer comme avant-garde de cette intranquillité. D’ailleurs, la pensée critique, ayant, par absence d’intégrité et mépris pour la vérité, déserté les consciences, tous les réseaux de la culture se sont affaissés indignement sur les supports septiques du ventre et du bas-ventre. Ce qui donne lieu à la prédominance des préoccupations grégaires de la panse, de la jouissance et de la survie. Logiquement, cela explique pourquoi, en un tel lieu, la bêtise se recycle et perdure, pour laisser la tranquillité faire la fête jusqu’au bout de la folie !

Parlant de déni de vérité, qui ne se souvient pas des froides prévisions[1] qu’un prestigieux infectiologique, béatifié par les éditorialistes haïtiens, spécialistes du recyclage merdiatique, avait annoncé comme catastrophe sanitaire imminente pour Haïti avec le Coronavirus ? Par le biais d’une interview réalisée avec le Rédacteur en chef du quotidien le Nouvelliste, le Président de la commission Scientifique (Chiantifique pour reprendre les mauvaises langues) haïtien pour le coronavirus, le plus célèbre et le plus médiatisé des infectiologues haïtiens avançait, avec une certitude infaillible, des statistiques effrayantes sur le nombre de morts que le coronavirus allait infliger à la population haïtienne. Fait étrange, ces mêmes statistiques avaient été avancées par le ministre[2] de l’intérieur haïtien trois semaines avant sans aucune modélisation de la réalité sanitaire haïtienne en fonction des caractéristiques de la contagion. Faut-il rappeler que ledit ministre s’était fait une grande réputation de fossoyeur dans le décompte des cadavres sur les charniers laissés par le tremblement de terre de 2010.

On notera que personne, dans les médias et dans la communauté universitaire, n’avait jugé opportun de questionner la provenance de ces chiffres. Bien au contraire, comme toujours, lorsque les porte-faix de la communauté internationale prennent la parole dans un shithole, les antennes médiatiques locales et internationales, au service des intérêts étrangers, s’étaient empressés de relayer ces propos comme s’il s’agissait d’un évangile à répandre pour le salut d’Haïti.

C’est quand même révélateur d’un climat d’extrême indigence qu’un éminent médecin, que le même journaliste (l’éminent rédacteur en chef du Nouvelliste) s’acharnait, quelques semaines auparavant, à présenter[3] comme un modèle de réussite scientifique, ait accepté de se complaire dans une si grande insignifiance méthodologique. En effet, dans ce qui était médiatisé comme une interview fleuve, il prédisait calamités, souffrances et cadavres sans aucune preuve factuelle en soutien aux statistiques annoncées. Il n’y avait pas même l’éclaircie d’une base informationnelle pour objectiver la problématique du risque sanitaire par des données probantes capables de fonder la pertinence des prévisions et rassurer sur la cohérence des recommandations.

L’interviewé s’était contenté d’évoquer des simulations faites dans une prestigieuse institution universitaire étrangère (Oxford) sans autre forme de preuve. Comme si l’argument d’autorité, fondé sur la réputation d’une université, était une preuve scientifique. L’interviewer, dans un rôle d’interlocuteur futile, ne s’embarrassait guère à poser plus de questions. Soit par incompétence, soit par inconscience, soit par accointances, mais certainement, au nom d’une sourde indigence, il se contentait du minimum indigent. Manifestement, interviewé et interviewer, agissaient, en toute impunité, dans un déni méthodologique immense. Car, en défendant des intérêts supra nationaux, ils se savaient protégés en haut lieu. Ils se disaient, sans doute, que dans un shithole, avec la protection du blanc, on peut tout se permettre et même se passer des normes méthodologiques et des exigences de toute modélisation statistique.

Et pour sublimer l’indigence, plusieurs mois après que les faits aient montré l’inexactitude des prévisions, au lieu de s’excuser et de reconnaitre les errances méthodologiques, dans un acte de pur déni scientifique, le larron et le pape se sont contentés de nous dire que c’est Dieu qui a protégé Haïti. Car Dieu dans sa bonté impénétrable, sachant qu’il avait déjà envoyé le PHTK décimer le peuple haïtien, a cru bon de le protéger du coronavirus.

Si je reviens sur ce fait, c’est parce que je vis dans le sentiment que bientôt nous verrons les mêmes acteurs (le Larron et le Pape) se présenter à nous, sans même s’excuser, sans même avouer leurs errances précédentes, nous vendre les vertus d’une campagne de vaccination pour nous protéger du coronavirus.  Alors même que le magazine Politico[4], relayé par la chaine MSNBC[5], vient de révéler que la stratégie de l’administration américaine a toujours été de laisser le covid contaminer le maximum de gens pour constituer sans doute le troupeau pour la vaccination.

Cet état de choses est significatif du bordel qu’est Haïti et montre implacablement l’improbable disponibilité des gens dits de bien à pouvoir se mobiliser pour l’intelligence éthique afin de faire reculer l’indigence. Car l’indigence, c’est justement l’enfumage dans la conscience des bien-pensants. Comme je ne cesse de le dire, ce sont les gens qui se présentent sous les jours les plus fastes qui enfument le plus l’écosystème national haïtien. Le jour où il y aura davantage de gens courageux dans ce pays, pour porter les fouilles sur les domaines institutionnels de la gouvernance publique et d’entreprise, on prendra conscience enfin :

  • Combien ceux et celles qui portent les lauriers académiques, contribuent à nourrir l’indigence dans le domaine de l’éducation pour leur succès personnel ;
  • Combien ceux et celles qui brillent par l’éclat des droits humains, se gavent de corruption et d’injustice ;
  • Combien ceux et celles qui brandissent les étendards du changement, vivent de leurs accointances mafieuses avec le statu quo.

L’imposture, c’est la réussite !

Un état de choses qui pousse à demander quel doit être le rôle d’un média dans la construction démocratique dans un pays comme Haïti ? Quelle doit être la mission de l’université dans un pays où tout est défaillance ? Un journaliste doit-il, au nom de la précarité, se confiner dans un rôle de panseur publiciste et de recycleur merdiatique ? Un universitaire, doit-il, au nom de la précarité, mettre son savoir au service du pouvoir et des affaires jusqu’à se transformer en fossoyeur de la conscience collective ? Ne peut-on pas inventer de nouveaux rôles et de nouvelles postures pour médiatiser la réussite de la pensée critique contre la panse comme dans un lieu où ceux qui ont revendiquent pu portent les traces d’une quelconque réussite empestent d’une suffocante indigence ?

Voilà des questions qui nous permettent de surfer sur le décès récent d’une lanceuse d’alerte qui sensibilisait le monde sur la dangerosité toxique des vaccins quelques jours avant que l’Europe et les USA n’entreprennent une vaste campagne de vaccination. Questions d’autant plus pertinentes qu’en Haïti se prépare, sans doute, déjà une campagne médiatique pour inciter aussi à la vaccination. Car les réseaux haïtiens de la bien pensance, universités, médias, société civile, organismes de droits humains, partis politiques ne sont que des étouffoirs qui relaient les injonctions des États-Unis. Et, on peut même jurer que ce sont les mêmes arnaqueurs, ayant annoncé en avril 2020 les froides prévisions, qui vont réchauffer, dans le fumier, leurs titres et leurs médailles pour nous enfumer à nouveau. Et ce, en toute impunité. Alors qu’ils dénoncent, en toute imposture, l’impunité des politiques.

Voilà pourquoi les postures éthiques, comme marqueurs d’un nouvel écosystème, sont les remparts qu’il faut ériger sur le périmètre de toutes les activités de la gouvernance publique et d’entreprise. Il faut briser le cycle de l’imposture qui assure ces réussites précaires qui minent l’intelligence collective. Car il est un postulat que rien ne peut infirmer : Derrière chaque réussite qui se trouve dans l’incapacité de livrer les traces de ses empreintes éthiques, il y a 99.99% de chances de trouver de lourdes complicités avec l’indigence. Des complicités si lourdes que même une éternité en enfer ne permettra pas de purger. 

On aurait tort de croire que ce constat ne vaut que pour les gens d’une certaine couleur politique. Au risque de me faire lapider, je prends le courage d’affirmer qu’il y a plus de faux semblants et d’impostures chez ceux qui se réclament du secteur démocratique et de la gauche en Haïti que chez ceux de la réaction. Et pour cause, car quand on flotte entre les lignes de la servilité et de l’indignité, il n’y a plus de postures, donc pas besoin d’impostures. Par contre, quand on ne s’assume pas, on est obligé d’être dans le flou, de faire dans le marronnage, de trouver un improbable sens de la répartie. Or, les gens qui sont incapables de prendre parti sont les gens les plus dangereux. C’est sans doute pourquoi Gramsci les détestait[6] beaucoup plus que ceux qui arboraient les couleurs du fascisme.

En effet, rien n’est plus dangereux que ces gens qui, tout en étant incapables de prendre ouvertement position contre l’injustice et de défendre courageusement la vérité, vous font rêver en vous parlant de leur militance. Leur lecture transpire du Zola, leur poésie exalte Aragon, leur musique retentit et vibre de Ferré. Leur imposture est aussi grande que leur escroquerie est profonde et leur vide éthique immense. Ils ont laissé émerger le zèle du militant aguerri sur les fondements d’une précarité humaine abyssale. C’est normal qu’ils s’effondrent sous le poids des responsabilités, et se laissent gagner par toutes les compromissions, au nom tous les renoncements, en découvrant l’ivresse de la réussite matérielle

L’urgence de l’intranquillité

C’est contre cette imposture qu’il faut se mobiliser. Car comme disait Einstein, ce ne sont pas les méchants qui détruisent le monde, ce sont les bienpensants, les indifférents, les indigents qui, au nom d’une insoutenable précarité humaine, se réfugient derrière les impostures d’une certaine précarité matérielle pour ne pas agir. Contre cette imposture multiforme, il faut décréter l’urgence de l’intranquillité, et le droit à la provocation. Pour paraphraser Karen Blixen, « Ce n’est point la liberté du tyran qui impose son bon vouloir au monde », c’est la soumission des intellectuels et des universitaires aux injonctions médiocres qui leur permettent de brandir, en retour, comme marques de succès, les prix littéraires, les distinctions honorifiques, les titres académiques, les subventions financières et autres stimuli matériels, par lesquels se faufilent les menaces pour la résistance collective des peuples. Contre cette soumission, Il faut réaffirmer, haut et fort, que l’exercice de la pensée critique et l’insoumission restent, pour contrer l’indigence, le seul vaccin capable de relever les consciences pour régénérer, dans sa dignité, l’humain effondré.

Mais pour réussir cette œuvre exaltante, il faut repenser le savoir, repenser la formation, repenser l’être dans une harmonie avec son écosystème. Il faut exiger, au-delà des titres, de véritables postures qui ne soient pas des impostures et des insignifiances. Il faut ensemencer profondément, dans les consciences, les ferments d’une écologie de valeurs à même de contribuer à l’émergence de ces postures qui mettent leur savoir, leur renommée au service de l’humain et de sa dignité.

D’ailleurs, à quoi peut servir une compétence improbable qui reste figée dans la mention d’un diplôme ou d’un titre académique ? À quoi sert une réussite qui n’est pas capable de prendre le risque de s’afficher dans une posture éthique, où se reflètent et transpirent les problématiques de son écosystème ? Voilà pourquoi, il faut transmettre, aux générations futures d’Haïtiens et d’Haïtiennes, ce goût de l’intranquillité qui anime les héros de ces mythes où la réussite est toujours une étincelle dont la lumière porte plus loin que soi.  C’est le seul luxe qui soit à la portée de tous, même de ceux et celles qui sont confinés dans un shitole. Voilà pourquoi il faut nourrir l’intranquillité pour amplifier le récit de cette humaine défaillance qui permet à l’indigence, au nom de la tranquillité, de faire la fête.

[1] https://lenouvelliste.com/article/215312/covid-19-froides-previsions-pour-Haïti

[2] https://Haïtistandard.com/coronavirus-le-pays-pourrait-compter-environ-1-500-morts-chaque-jour-dici-fin-mai-dixit-joaceus-nader-ministre-des-travaux-publics/img-20200407-wa0003-1280×856/

[3] https://twitter.com/frantzduval/status/1247684928134885377?lang=fr

[4] https://www.politico.com/news/2020/12/16/trump-appointee-demanded-herd-immunity-strategy-446408

[5] https://www.msnbc.com/rachel-maddow-show/former-trump-appointee-cdc-we-want-them-infected-n1251550

[6] http://dormirajamais.org/gramsci/

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