14 novembre 2025
Le marché de Salomon : foyer de mutualité et de confiance. par Websder Corneille
Actualités Société

Le marché de Salomon : foyer de mutualité et de confiance. par Websder Corneille

Le marché Salomon, à l’instar des autres marchés de la Capitale, assure aux acheteurs, aux vendeurs la distribution des produits de première nécessité pour leur quotidien. Au-delà de la fonction commerciale, il établit des relations d’entraide entre les marchands. C’est un vaste lieu de socialisation.

À moins de deux kilomètres du Palais national, qui peine encore à se relever 6 ans après sa chute lors du tremblement de terre de janvier 2010, se dresse le marché Salomon, véritable lieu d’échange et de rencontre entre les habitants de cette portion de la capitale haïtienne. 5:28 heures AM, le mardi 14 juin 2016, Mme Maurice, la soixantaine bedonnante, se retrouve déjà dans la rue avec l’espoir d’attraper les premiers clients qui n’ont pas eu la possibilité de faire leurs courses la veille.




Autour d’elle, d’autres petits commerçants s’installent. Dès son arrivée, Mme Maurice se fait aborder par une jeune fille étalant ses légumes, dont des betteraves, et des poivrons, lui demandant avec un sourire: « comment a été la nuit Man ? », avant de venir à sa rencontre pour l’aider à se décharger de la marchandise qu’elle portait sur sa tête. Ici, le principe premier c’est : « l’union fait la force », ajoute Mme Maurice, témoignant de son regard le vivre ensemble infaillible qui y règne. D’âge et de rigueur physique différents, elle bénéficie du respect et de l’assistance des autres plus jeunes. Depuis notre arrivée, Mme Maurice doit répondre à plus de dix salutations.

Culte du lien familial ou régional

Héritière de sa place d’une tante au début des années 70, Mme Maurice entend conserver la même logique de filiation. « L’intérêt qu’une place libérée soit occupée par une connaissance est relié à la reproduction de la structure sociale du marché en tant qu’espace de connaissances, de réciprocité et de proximité »i, rapporte Kelogue Thérasmé, spécialiste en études urbaines. Donc, ce rapport conjoint même entre deux marchands situés à des endroits différents, résulte fréquemment de la survivance des rapports culturels, familiaux qui y sont liés.




Mme Maurice débute sa carrière de commerçante avec deux gourdes empruntées à sa tante les vacances d’été de 1973 où écolières se transforment en marchandes éphémères. Elle y était venue pour un mois, elle a passé toute sa vie. Au regret de ne pas pouvoir retourner à l’école pour réaliser son plus grand objectif : étudier la médecine.

Syndrome du prix unique et logement en miniature

12:20 heures. Nous sommes à l’écoute des mille bruits de la vie. Autour de Mme Maurice bourdonnent des voix confuses et lointaines. Là-bas, un client squatte d’étal en étal à la recherche d’une gourde de moins sur un paquet de persil. « Les prix sont relevés tous les jours sur quatre marchés de Port-au-Prince : Croix des Bossales, Vallières, Salomon, Nirvana »ii. C’est la règle un prix pour tous. Sans aucune consigne, la marmite de riz passe de 30 à 35 gourdes à chaque étal. « Quitte à nous reprocher de l’augmentation des prix selon nos vœux : nous sommes solidaires!, » martèle-t-elle. Quoique, reconnait-elle, parfois les décisions ne se prennent pas par consensus.

Construit dans les années 1800, brulé et réaménagé suite à des bouleversements politiques après 87, le marché Salomon dépasse le cadre strictement marchand. On peut croiser des sarah locales, où des détaillants en train de raconter des balivernes, départager leur nourriture, etc. C’est aussi un espace où la rumeur trouve droit de cité. Sous ce jour, le professeur Georges Eddy Lucien, spécialiste en histoire et en géographie, pense qu’à cet espace la rumeur est signe de vérité inaltérable. Si l’on prenait le cas du président haïtien Dumarsais Estimé, renversé par un coup d’état le 10 mai 1950, dont la nouvelle a été propagée pour la première fois dans les marchés.

Solidarité et appartenance collective

Il importe de souligner que les marchés à Port-au-Prince s’étendent sur environ 380.000 m2iii. D’après Etzer Emile, économiste de Radio Vision 2000, on peut dénombrer jusqu’à une centaine. Mais le peu de statistiques, regrette-il, qu’il existe en la matière porte entorse à l’exactitude des faits, tel le nombre d’étals par marché. Il estime à environ 3000 les consommateurs, curieux qui fréquentent le marché Salomon, calcul effectué en fonction de la densité de la population de la zone.

Si on recourt à une enquête de l’ONG Viva Rio en 2011iv, le nombre de places occupées par les commerçants entre 200 à 400 à chaque 100 mètres, en fonction de la localisation, des horaires et des jours de la semaine.

Au-delà des dysfonctionnements, liés à la structure même des marchés : manque d’infrastructure, d’assainissement, souvent de sécurité, les marchandes entretiennent des relations cordiales. L’entraide est toujours une fenêtre à la survie de l’un et de l’autre. Du troc, de la fragmentation des produits, du consortium, en passant par la génération de petits bénéfices dans des mouvements associatifs, sans oublier les conflits de dette, rien ne sert d’obstruction à ce qu’ils continuent à exister mutuellement le lendemain. Pendant quelques heures du jour, une commerçante peut gérer délibérément le commerce d’une amie.




Le soir venu, affirme Mme Maurice, « au moment de replier mes affaires, quelqu’un vient toujours m’aider à la tâche. Parfois, ce sont les fils des amies de notre association ».

Comme l’a analysé le professeur Lucien : « ce type de rapport marchand-marchand témoigne d’une solidarité discrète et invisible ». Elle doit inspirer d’autres acteurs de la vie nationale, en vue de pallier certaines difficultés qui freinent le développement social, économique et politique du pays.

iKelogue Thérasmé, Dynamiques sociales et appropriation informelle des espaces publics dans les villes du Sud : le cas du centre-ville de Port-au-Prince, UQAM – INRS, Canada, octobre 2010

iiEnquête d’étude de la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (ENSA), 2014

iiiLes marchés du centre de Port-au-Prince : Morphologie, circuits, agents, gouvernance, 2012S

ivEthnographie des marchés du centre de Port-au-Prince Premier, Rapport décembre 2011

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