13 novembre 2025
Brûler et briser : nouvelle stratégie de luttes électorales en Haïti.
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Brûler et briser : nouvelle stratégie de luttes électorales en Haïti.

par Dr Jean Ford G. Figaro
Lundi 28 novembre 2016 (rezonodwes).- L’écrivain René Dépestre dans un texte publié en 2005 dans la revue Gradhiva d’où je soutire cette idée prophétique, « Haiti a pris un mauvais chemin dans l’histoire », a dépeint une réalité neurasthénique et torturant de l’existence de la nation haïtienne. Les crises électorales de ces dernières années ont donné tout le mérite à cette analyse pragmatique de l’antropho-sociologie du pays et l’intellectuel a prouvé qu’elles ne sont pas le fruit du simple hasard. Un long cheminement historique palissadé d’une construction mentale sont à la base de cette situation désagréable.





Dès qu’on parle d’élections en Haïti, on voit tout sauf le certain et la stabilité. Nous nous sommes habitués à des pratiques qui nous rendent esclaves du passé macabre de notre histoire de peuple. Les vieux démons des premières manœuvres déloyales de Pétion contre Christophe, augmentant arbitrairement de 15 le nombre de paroisses de l’Ouest et du Sud qui passent alors de 24 à 39, semblent nous hanter le destin, à un point tel, que parler d’élections, c’est parler de vols, de fraudes massives et de crise sociale.

À l’approche de la publication des résultats de l’élection présidentielle célébrée le 20 novembre, malgré tous les avertissements des phénomènes naturels (ouragan et inondations), la tension artérielle et la glycémie des fanatiques font signe de déborder le niveau normal de concentration dans le corps sociétal haïtien. Une journée électorale qui semblait dérouler sans grande difficulté avec une participation très faible, selon plusieurs organisations d’observation, ne dépassant pas le 23% des personnes ayant droit de vote. Des doutes sérieuses planaient sur la réalisation de ces élections selon plusieurs analystes à cause des rhétoriques qui prêtent à équivoque, dont se sont servis certains leaders et partis politiques sur l’échiquier national. Des concepts comme « dechoukaj et révolution » ont plongé les votants dans un scepticisme et une peur de prendre le chemin des urnes.




Peu après le décompte des votes retransmis en direct par des médias qui se sont précipités à annoncer une certaine tendance des élections, seulement avec quelques procès-verbaux en main, la situation a commencé à se dégénérer dans les rues comme sur les réseaux sociaux. Les partisans du parti PHTK festoient leur écrasante victoire confirmant la théorie du « sel Kout kle » au profit du « neg banan ». Les adeptes du parti Lavalas eux-mêmes demandent le respect du vote majoritairement exprimé en faveur de leur candidate Marise Narcisse. Les sympathisants de Lapeh et de Pitit Dessalin se déclarent être très confortables avec les résultats et ils sont très confiants quand à leur éventuel succès. Malgré les exemples récents des pays comme la République Dominicaine et les États-Unis d’Amérique où les élections se sont célébrées dans une atmosphère sereine. Des démocraties où les perdants appellent les gagnants pour leur féliciter, ce n’est pas toujours le cas pour Haïti. À chaque élection, son lot de déchirements. Des menaces réciproques se font circuler d’un camp à l’autre. Comme d’habitude, sans aucune surprise, tout le monde se réclame sans aucun gêne avoir gagné les joutes électorales, dépourvu de tout document pour le prouver. Dans la même soirée du vote, ce qui fait parler d’une coïncidence incompréhensible, un marché public a été brûlé laissant des pertes incalculables dans le secteur des petits marchands, les éternelles victimes des crises politiques haïtiennes.




Depuis la chute du régime des Duvalier, les forces dites pro-démocratie ont utilisé le feu comme un symbole de libération et de justice contre ceux qu’ils appelaient, macoutes et dictateurs. Si le régime était connu pour ses méthodes violentes contre les opposants du système, force est de constater que les tontons macoutes n’avaient pas utilisé les flammes pour contraindre les détracteurs qui nuisaient à leur gouvernement. La tombée de Jean-Claude Duvalier a ouvert la porte à la démocratie de l’incandescence et le pouvoir de certains de décider sur les vies et biens en toute impunité. Sans aucune conscience que les propriétés de l’état sont celles de tout le peuple, presque tout ce qui avait l’empreinte du régime passé devrait être purifié par le feu. Donc, nous sommes passés d’une dictature féroce à un puritanisme démocrate sacré par la caléfaction.
La destruction de notre écosystème par la propagation du monoxyde de carbone, en faisant l’utilisation du charbon de bois notre principale source d’énergie, semble ne pas satisfaire plus d’un, on est venu avec le fameux supplice du « Père Lebrun », une technique de lynchage sur des dissidents. On voulait le promouvoir à « Monseigneur » pour ses bons services à la société haïtienne. Depuis cette bamboche appelée « ère démocratique » on brûle par la pensée et les actions. Peu importe le jour ou la nuit, qu’il soit une ancienne cathédrale, des bibliothèques ou des locaux de partis politiques, on doit les détruire, après peu-être, on les reconstruit.
Pas trop loin, en 2010, pour forcer les résultats dans le sens du candidat Martelly, les gens des Cayes ont presque tout incendiés. Quand il s’agit de défendre la victoire électorale, il faut tout éliminer sur son passage. Les archives de la nation où sont gardés les documents les plus importants doivent subir les conséquences sans penser à l’avenir. Et après, on y verra…. À la fin du régime « tet kale », des institutions de la nation ont été passées au feu, une école brûlée à Léogane et des voitures carbonisées. Il faut donner le pouvoir politique aux opposants sinon ce sera le pouvoir du feu et du béton qui vous y forceront. Quelle bonne approche de développement du pays? Comment dans ses conditions, le pays va attirer l’investissement étranger? Ce n’est pas sans raison que les multinationales sont très timides de venir s’installer dans le pays de peur que leur capital ne soit pas charbonné par les professionnels de l’âge des pierres. On se rappelle des déclarations d’un jeune leader politique de l’opposition, maitre André Michel, lors d’une manifestation anti-Martelly. Il avait menacé de réduire le pays en cendre si Jovenel devrait être élu président de la république. Si les grands projets de justice sociale et de développement préconisés par Dessalines ont été rejetés d’un revers de main par ses descendants, il faut reconnaître que la stratégie de lutte pour vaincre l’armée de Napoléon, celle de « Boule kay » est généralement acceptée et mise en pratique dans la politique haïtienne.
En 2016, des groupes qui se réclament vainqueurs ou perdants menacent déjà de tout brûler si les résultats du conseil électoral provisoire ne sont pas à leur faveur. À rappeler qu’il y a 27 candidats à la présidence, il ne peut y avoir qu’un seul gagnant. Quelques jours après le vote, des centaines de manifestants ont investis les rues pour faire pression sur l’institution en charge de donner le score des candidats. Des journalistes ont reçu des menaces de se faire calciner ou assassiner et plusieurs stations de radio se retrouvent dans le collimateur de potentielles attaques des perdants. Des appels à la mobilisation générale sont lancées de part et d’autre afin de sécuriser le vote du peuple. Les patrons et les associations de médias ont déjà condamné toutes velléités de menacer la liberté de la presse. Le commissaire du gouvernement Maitre Danton Léger a convoqué le responsable de radyo timoun et celui de la compagnie Digicel pour les entendre sur les menaces verbales proférées contre le secteur de la presse et l’entreprise téléphonique sur la publication présumée des résultats du scrutin du 20 novembre.
En 1970, le journaliste Alvin Toffler publiait un ouvrage provocateur et visionnaire intitulé « Le Choc du Futur », qui prédisait une accélération fulgurante des progrès technologiques à l’approche du nouveau millénaire, susceptible de semer la confusion et le désordre dans la société et ses institutions. Le sociologue et futurologue attribuait la majorité des problèmes sociaux au future shock ». En fait pour nous autres haïtiens, le vrai problème auquel nous faisons face, c’est le choc du passé. Plus de deux ans après, nous sommes tenus aux mêmes pratiques qui ne font que nous donner les dernières positions dans tous les examens du développement humain.
Dans le léviathan de Thomas Hobbes, il relate l’aventure politique moderne à partir de l’état primitif de l’homme et élabore le postulat « Homo homini lupus es », l’homme est un loup pour l’homme. L’haïtien, aidé par les aléas naturels est le destructeur de son propre pays. Si vous gagnez après avoir tout brûlé et détruit, comment vous allez diriger un pays en ruine? Si vous êtes dans l’opposition et après vous assumez le pouvoir, comment en cinq ans, reconstruire ce que vous avez brisé et cassé?
 
Il faut une prise de conscience pour savoir qu’un comportement de la sorte ne fera que nous pérenniser dans la misère et la pauvreté. L’heure est venue de nous dissocier de ces pratiques médiévales et commencer à embrasser la modernité politique. Brûler et brûler encore. Il vous en restera quelque chose. Brûlons le peu qui reste de nous. Que les pyromanes fassent leur travail et après il n’y aura plus rien à brûler.
Dr Jean Ford G. Figaro, MD, MsC-HEM
Boston, Massachusetts
Jeanfordfigaro@gmail.com

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