Les réincarnations de Moïse Supa Denot

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par Dr Yves Boissonnière 

Lundi 17 août 2020 ((rezonodwes.com))– C’est entouré de ses proches, de quelques amis et de rares fans que Moïse Supa Denot a reçu un dernier hommage à l’église Ste Anne le samedi  8 Août 2020. Il n’avait jamais voulu un enterrement en grande pompe à la Michael Jackson .Il disait préférer que ses œuvres soient consommées et que les dividendes retombent dans ses poches dès son vivant. Bastonné au Portail Leogane, malgré les soins prodigués et les efforts de son amie d’enfance Kathia Georges, il avait succombé quelques jours plus tard.

Moïse Supa Denot, l’acteur à abattre

Si le blackout de son cerveau est définitif cette fois, Supa Denot en a vécu d’autres depuis sa naissance en République Dominicaine d’une institutrice haïtienne et d’un père dominicain. La mère de l’artiste avait traversé la frontière pour poursuivre sa carrière d’institutrice en Haïti. Le père de Moïse fit de même, mais s’enrôla dans les forces paramilitaires duvaliéristes  et se fit tuer par des hommes armés. Orphelin de père, Moïse Supa Denot reçut une éducation monoparentale stricte de sa mère qui prône le respect de soi et des autres. Enfant obéissant, tout allait changer le jour où un professeur, transgressant les règles de l’école qui interdisait la bastonnade le roua de coups .Il accepta sans broncher jusqu’à ce que l’enseignant l’empoigne au collet .Il réagit finalement et l ‘envoya valser derrière un banc. C‘était sa première scène de self -defense  .Il changea d’établissement scolaire mais écrit déjà ses premières  chansons.

Héritant de l ‘instinct musical de sa mère pianiste, de son père guitariste  et son oncle qui n’était nul autre que le grand Manno Charlemagne et accompagné de musicien comme Toto Laraque, l’une de ses chansons est classée à la 6e place du concours American Airlines .Il était encore un adolescent  mais la route du succès s’ouvrait déjà  à lui.

Vu son style fougueux et moderne ,son penchant pour le rap et le reggae ,ses mentors d ‘alors lui conseillèrent de voir Georges Lys Herard ,Master G, directeur de programmation d ‘une radio très populaire  dont  les tubes cartonnaient  déjà sur toute la bande FM en Haïti comme ailleurs . Supa Denot débarqua à Tropic FM à l ‘émission “ Jungle tropicale “ .Aux premiers essais, sa voix fit un malheur au studio .Le pionnier du rap créole venait de trouver l ‘interprète parfait qui devait l’accompagner pour le son qui allait devenir un méga tube “Manmzèl”.

Autre que Supa Denot, Master G prit sous ses ailes plusieurs autres jeunes comme Elylrak ,T-Bird ,Frantzy Jamaican ,Mc Tresor et forma Haïti Rap and Raga ,l ‘un des premiers groupes du genre qui enflamme les journées récréatives et les soirées branchées de la capitale .Ils raflent les prix ,sortent 3ème du concours RFI et deviennent champions du concours “50 ème anniversaire des Nations -Unies .Les tubes s ‘enchaînent et sont de plus en plus structurés avec un texte comme Conscience noire en rotation sur RFI .C ‘est  l ‘apothéose ,la vie de Superstar de Moïse Supa Denot était lancée .

Il est bien  encadré par les professionnels du milieu .Il collabore avec Kéké Belizaire, Fabrice Rouzier, Joe Doré, Gilbert Bahy et autres. Pas pour longtemps car Master G se sent mal et leur avoue qu’il ne pourra pas les protéger éternellement et qu’ils devront faire cavalier seul .Il est si malade qu‘ils sont obligés de le soutenir  pour qu ‘ils puissent tourner ensemble le clip “Match la rèd “ . Alité, il ne pouvait accompagner le groupe à leur prestation pour l’école des sœurs de Bourdon  .Ce jour-là , à leur retour ,le maître les avait quittés …et pour toujours . Le cinéma de la vie n’est pas fait que de points lumineux .Pour ces jeunes c ‘était un fondu au noir terrifiant et malgré leur succès et leur talent le groupe finit par  se désintégrer .

Supa Deno superstar à 15 ans  sort de la lumière et se retrouve sans hit malgré son album “Maximum Respect “il devint encore plus proche de sa mère à qui il voue une admiration sans égal .Comprenant sa détresse ,elle lui lance un défi pour relancer sa carrière ,celui de gagner le concours de chansons de Noël de Télémax .Il lui promet de n’en faire qu’une bouchée ,”Noël nan Wèl ou” était né .Le public est emballé ; pour eux ,Supa Denot est le champion incontesté .Mais des rumeurs circulent ,le jury qui n ‘est pas composé de fans de la tendance Rap voudrait abattre sa production  et attribuer la première place au profit de sons plus orthodoxe .Le vote du public lui permet d ‘être classé premier mais Supa Denot ne pardonnera jamais au jury  et ils n ‘oublieront pas non plus ses  propos désobligeants lancés en plein direct .

Le public en liesse le porta à bout de bras mais sa carrière en prit un coup .Il n ‘était plus le bienvenu dans l ‘industrie musicale  qui respectait les personnalités qu ‘il avait invectivées .La gloire ne pardonne pas ,tu montes ou tu plonges .Sans support psychologique ,il est adulé mais abattu ,applaudi mais craint car Supa Denot n ‘est pas de ceux qui se laissent marcher sur les pieds .Du haut de ses accomplissements ,il n ‘accepte pas n ‘importe quelle offre et vise Hollywood ,le rock and roll et le cinéma et les millions qu ‘ un hit pourrait lui rapporter. Dans   le film “Pretty Woman “ mettant en scène Richard Gere et Julia Roberts,  un rêveur déchu introduit et conclut le scénario en criant :

“Nous rêvons tous, certains rêves se réalisent, d’autres pas. Continuons de rêver quand même “. Supa Denot n’a jamais cessé de rêver au point de jouer dans sa vie réelle le personnage qu’il voulait .Un indépendant, un marginal devant qui on avait envie de fuir .Ce rôle, il le trouva lors  du casting du film Tourbillon qui parle d ‘un vaccin que des criminels voulaient détourner pour le vendre au prix fort .

Acteur brillant, jouer le vilain, le Bad Boy lui seyait comme un gant .Il maitrisait son texte, ses mouvements .Jamais en retard, Supa encourageait les autres acteurs qui l’adulaient en créant une ambiance familiale.

À la sortie du film en 2004 ,Supa reprend le devant de la scène ,poster géant de Ralph Penel Pierre le met en exergue dans la capitale, au Capitol , à l’Imperial Supa est roi et se retrouve dans les colonnes des journaux nationaux et internationaux .Ticket  Magazine l ‘honore à la fête du cinéma et le film Tourbillon /Whirlwind rafle des prix à l ‘étranger  “Best Directorial Award “ à Hollywood ,”Best screenplay award “ à New-York prix validés sur IMDB  (Internet  Movie Data Base ) ,marché du film à Cannes . Mais encore une fois, Moïse Supa Denot est abattu en pleine gloire et physiquement cette fois .Une moto le fauche devant le Centre sportif de Carrefour et il rentre en coma sans transition.

L ‘équipe du film ,compatissant à un artiste qui leur avait montré son vrai visage pendant deux ans de tournage accompagné de sa copine d ‘alors Nadine Nozaire et d’autres bons samaritains le prirent en charge .Il revint à lui grâce à la diligence des médecins mais avec des séquelles irréparables .Il se réfugia dans l’alcool et refuse de laisser le périmètre de la place  Ste Anne à la Grand Rue où il se sent chez lui jusqu’à ce qu’un groupe d’artistes accompagnés du PDG de la Radio Caraïbes Patrick Moussignac décidèrent de lui offrir une cure de désintoxication en République Dominicaine . Il y passa 6 mois .À son retour  ,il avait pris du poids et paraissait confortable mais ne se sentait pas bien dans la maison huppée mise à sa disposition .Mais les étoiles ne sont pas faites pour vivre cloîtrées ,il lui fallait des featuring ,l‘odeur des studios ,le bruit de la foule. Le monde avait cependant changé ,il est dur d’être rappeur au temps de COVID -19 .Mais Supa se retrancha dans son fief ,millionnaire en hit ,mais humble en billet vert ,il attendit le miracle d’une « remontada » mais ne reçût qu’une lâche bastonnade d’acculturés ayant déjà sûrement chanté ou dansé sur l ‘un de ses hits .Encore quelques jeunes qui croient à la génération spontanée et qui croient avoir le droit de cracher sur le labeur de ceux qui les devancent en âge . Cette fin me fait penser au film coréen à succès “Parasite”, Lorsqu’on croit le vilain mort ,il ne fait qu’échapper au regard.

Devant les portes du paradis, Supa Denot aura moins de péché á confesser que beaucoup d’entre nous .La différence est qu’à l ‘opposé de beaucoup d ‘artistes, de professionnels protégés par des gardes du corps, des murs épais, des vitres teintées, il a bu son alcool dans la rue. Sa réincarnation est inévitable, il revivra dans une espèce plus pragmatique mais avec la même rectitude et toujours attaché à ses convictions de gagnant qui ne se rabaisse  pas pour des brindilles . Il reviendra dans une chanson sifflotée pour une “manmzél “ ou pour réveiller notre “Conscience noire “ .

               Dr Yves Boissonnière 

               OBGN/Realisateur du film 

                           Tourbillon

                   prosch_b@yahoo.fr

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