L`ancien conseiller Ricardo Augustin s`adresse aux nouveaux membres du CEP

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Haiti-CEP-Elections: 10 conseils salutaires d’un ancien conseiller aux nouveaux:

Honorables conseillers,

Je prends la liberté de vous prodiguer ces quelques conseils en guise de témoignage de mon vécu au Conseil électoral provisoire (CEP).




Le CEP est une institution noble, l’une des plus importantes de la République, compte tenu de sa mission qui est d’organiser les compétitions électorales, à tous les niveaux et sur toute l’étendue du territoire national, pour renouveler le personnel politique. Vous êtes neuf (9) citoyennes et citoyens à composer le Conseil d’administration de cette prestigieuse institution républicaine. Je suis certain que vous serez à la hauteur de la mission qui vous est confiée car vous avez les capacités personnelles et professionnelles nécessaires. Cependant, je ne puis m’empêcher de vous prodiguer ces humbles conseils en guise d’un partage d’expériences.




I. Vous êtes seuls. Ne l’oubliez pas !

La solitude dont il est question ici ne réfère pas à votre entourage immédiat. En votre qualité de conseillers électoraux vous avez droit à un cabinet composé de professionnels de confiance que vous choisirez vous-mêmes pour leur compétence et leur savoir-faire. Sauf que dès le départ il faudrait fixer avec eux les règles de travail ainsi que les principes à suivre. Quand je vous dis que vous êtes seuls, je ne parle pas de cette catégorie. Je me réfère plutôt aux acteurs politiques, aux différents secteurs de la vie nationale.

Toutes vos décisions seront objet de critiques parfois sévères et destructives.

On vous attaquera de tous les côtés, on dira tout de vous mais rarement la vérité. Vous n’aurez personne pour vous défendre même pas les gens qui vous adressent des félicitations en privé ou qui vous disent tout bas: « tenez bon, vous faites du bon travail ». Quand leurs intérêts seront menacés par vos justes décisions, et croyez-moi cela arrivera, ces gens seront les premiers à vous clouer au pilori.




II. Vous serez la cible de toutes les critiques, mais gardez votre honnêteté !

On dit avec raison que la critique est aisée mais l’art est difficile. Prêtez une oreille attentive à la critique. Elle ne sera pas toujours constructive. Quand elle l’est, elle vous aidera certainement à corriger des erreurs et à améliorer le travail. En règle générale, Haïti est un pays où la présomption est la règle : présomption d’incompétence, présomption de corruption, etc. Dès que vous occupez une haute fonction d’Etat, vous êtes mis dans l’annuaire des abonnés corrompus.

Rien à y faire. Bien qu’on dise souvent qu’il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs, ces derniers n’intéressent personne. On ne voit et ne connaît que les présumés corrompus. Sachez que dans notre pays il est facile de coller des étiquettes sur les gens sans en apporter des preuves, ce n’est pas une exigence. Tout le monde d’ailleurs s’en fout des preuves. Pour les gens de peu d’esprit, dès que votre nom est cité dans les médias, la preuve importe peu, ce qu’on dit de vous est forcément vrai. On vous taille sur mesure une réputation de corrompu et votre image devient si sale que plusieurs litres d’eau de javel ne suffiront pas pour la nettoyer. Inutile de vous livrer à la polémique « les jugements de la cour vous rendront noirs ».

Vous êtes donc prévenus que les critiques méchantes s’abattront sur vous comme de la grêle dès que vous aurez pris votre première décision. Elle ne fera pas l’unanimité. D’ailleurs, c’est impossible qu’elle le fasse. Toutefois, assurez-vous de respecter la loi, d’agir en responsables et en toute honnêteté. Cette dernière est une qualité précieuse qu’il vous faudra cultiver dans cette fonction. Restez honnêtes en tout temps. C’est ce qui vous donnera une paix d’esprit et un soulagement à la fin de votre mission qui, j’espère, apportera au pays la stabilité qu’il recherche.

III. Vous n’aurez pas le temps pour bien maitriser la machine. Ouvrez l’œil !

Vous assumez cette fonction à un tournant difficile. Les circonstances ne vous accorderont pas le temps nécessaire pour connaître la machine électorale avant de vous y embarquer. C’est une machine lourde et compliquée que probablement les concepteurs croyaient produire pour un pays à climat tempéré. Cependant vous n’avez pas le choix, vous devez faire avec. Chemin faisant, vous apporterez les améliorations nécessaires pouvant vous permettre d’accomplir la mission dans le temps imparti.

Mais attention, ne vous laissez pas mener et ouvrez l’œil. Prenez-en le contrôle dès le début. Rassurez-vous de ce qui se fait et comment cela se fait. Rappelez-vous que vous êtes les administrateurs, vous répondrez de tout. Vous assumerez l’entière responsabilité du fonctionnement ou du dysfonctionnement de la machine. Vous serez pris entre le marteau et l’enclume : une machine à faire tourner et une mission à accomplir. Le temps sera votre plus rand ennemi.

IV. Attention à la presse. Ne la négligez pas, mais n’en faites pas un allié !

Honorables conseillers, si vous avez peur que vos respectables noms soient cités dans les médias, alors, je suis désolé de vous dire que vous avez eu tort d’accepter cette charge. Car, pendant toute la durée de votre fonction, vos noms seront parmi les plus cités de la République. Ils seront sur toutes les lèvres, objet de toutes les conversations. Vous serez souvent sollicités par les journalistes, mais vos discours et prises de position seront compris et analysés selon leur sensibilité politique. Vous serez quelquefois étonnés d’entendre véhiculer des informations insolites et parfois surprenantes vous concernant. À titre de témoignage : « Il était un jeudi matin. J’étais chez moi et j’avais prévenu mes collègues que je ne viendrais pas en réunion du Conseil parce que j’allais faire office de président de jury à une séance de soutenance d’un mémoire de sortie d’une étudiante de la faculté dont je suis le vice-doyen.

Je faisais une relecture du texte en même temps que j’écoutais la radio. A un certain moment, le journaliste demanda à l’auditoire de rester branché car il avait une information importante à communiquer et sollicita de son metteur en onde une pause musicale. Un morceau de musique racine tenait l’audience en attente.

Après quelques secondes, le journaliste reprend le micro pour annoncer qu’actuellement, au moment où il parlait, deux (2) conseillers électoraux étaient au centre de tabulation en train de passer des ordres au directeur dudit centre. Il s’agissait du président du Conseil Pierre-Louis Opont et du conseiller Ricardo Augustin. Abasourdi, je voulus appeler sur le champ le journaliste pour connaître ses motivations mais je me suis retenu me disant que cela n’arrangerait rien. Il pourrait s’agir d’un acte intéressé visant un but précis. Il ne fallait pas que je tombe dans ce piège.

Honorables conseillers, des exemples du genre, j’en ai des tonnes. Si vous voulez bien comprendre ce type de communication politique, il faudrait prendre le temps de lire les écrits de Noam Chomsky. Il saura mieux vous édifier. Néanmoins, la presse demeure le canal idéal pour informer la population en général et les acteurs politiques en particulier de vos activités.

Par ailleurs, rappelez-vous que vous êtes des femmes et des hommes d’Etat. On ne règle pas les affaires de l’Etat sur la voie publique. C’est une pratique peu digne des hauts dignitaires que vous êtes. Ne jetez pas l’État que vous servez en pâture. Il y a un forum pour les discussions d’État. Utilisez-le ! Cette démocratie qui nous pousse à tout régler sur la voie publique ou à travers les médias au mépris des règles d’éthique et de déontologie tue l’État sans nous en rendre compte.

V. Méfiez-vous des opportunistes. Soyez vigilants !

Ils seront nombreux ceux, amis et politiciens, qui chercheront à tirer profit de votre position. Vous serez « anges ou démons » selon qu’ils parviennent ou pas à obtenir de vous ce qu’ils veulent. Il est vrai que le Conseil électoral travaille pour la classe politique mais prenez garde aux politiciens et aux candidats. Ils ne sont pas tous animés de bonne foi. Ils seront les premiers à vous lancer des flèches et à vous cracher dessus. Ils ne ménageront rien pour vous atteindre. Vous avez affaire à de mauvais perdants et de mauvais gagnants.

Les premiers voudront vous abattre car à leurs yeux vous êtes la cause de leur défaite, question de trouver en vous un bouc émissaire pour sauver l’honneur. Tandis que les seconds chercheront à vous pourrir la vie, car ils estimeront n’avoir pas obtenu assez de voix pour mieux asseoir leur victoire et que c’est vous, conseillers électoraux, qui les en auriez privés. Pour parodier Corneille, « des deux côtés, le mal est infini ». À ceci, j’ajouterai toutes autres machinations politiques qu’ils peuvent faire pour détruire vos œuvres : délation, diffamation, dénigrement, dénonciations calomnieuses, etc.

VI. Ayez de bons rapports avec tous les autres pouvoirs de l’État ainsi qu’avec la communauté internationale, mais gardez vos distances et votre indépendance !

Vous faites partie de l’État. Il est de bon ton que vous ayez de très bons rapports avec tous les autres pouvoirs de l’État ainsi qu’avec les représentants de la communauté internationale. Cette dernière est un partenaire privilégié du Conseil électoral. Il n’y a rien, en effet, que vous puissiez faire sans cette communauté internationale. Malheureusement, Haïti ne peut pas encore se passer de l’expertise ni de l’aide internationale.

Pour organiser une élection en Haïti, deux éléments sont primordiaux : La logistique et la sécurité. Ces deux éléments sont, en grande partie et depuis plusieurs années, contrôlés et pris en charge par la communauté internationale. Tout d’abord, il y a le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) qui, en tant que partenaire privilégié d’exécution du programme d’assistance aux élections en Haïti, gère les fonds fiduciaires selon ses règles et procédures. Ensuite, l’UNOPS s’occupe de la logistique et la MINUSTAH apporte son assistance à la Police nationale d’Haïti (PNH) pour les questions de sécurité des élections.

Tant que dure cette situation, la communauté internationale sera un partenaire incontournable. Il faut faire avec, mais, dans une moindre mesure, la garder à une certaine distance. Il faut peser et soupeser toute offre et toute proposition. Vous êtes bien placés pour connaître ce qui est bon pour le processus et pour le pays. Alors soyez de bons interlocuteurs !

VII. Attention aux téléphones et aux réseaux sociaux !

Les enjeux vous imposent la prudence. Il faut faire très attention à vos conversations surtout quand vous n’êtes pas sûrs de l’interlocuteur à l’autre bout du fil ou quand la délicatesse du sujet vous astreint à une certaine réserve. Vous n’êtes pas obligés de tout débattre au téléphone ou sur les réseaux sociaux. Sachez que vos messages peuvent être interceptés et utilisés à des fins malhonnêtes. Donnez rendez-vous à votre bureau et, au moment de recevoir les gens, faites-le en présence de témoin, un membre de votre cabinet par exemple.

VIII. Respectez la loi. C’est votre boussole !

« La loi est dure mais c’est la loi », dit le vieil adage. Vous ne serez pas vulnérables tant que vous n’êtes pas en désaccord avec la loi de votre pays. Vos prédécesseurs avaient posé des actes pour lesquels ils ont été fustigés à tort alors qu’ils n’avaient fait qu’appliquer la loi de leur pays. A titre d’exemple : « Des organisations de la société civile ont interpellé le Conseil précédent pour demander l’éviction de la course électorale de citoyens sur la base qu’ils ne sont pas de bon commerce, qu’ils sont de moralité douteuse. Nous parlons de gens qui se sont régulièrement inscrits et qui ont soumis toutes les pièces requises par la loi, y compris un certificat délivré par l’autorité compétente disant qu’ils sont de bonne vie et mœurs ».

Pour n’avoir pas donné suite à cette requête illégale, le CEP a été traité de tous les noms. Imaginez un instant, dans ce contexte particulier, la situation du CEP s’il avait posé un acte manifestement illégal. Pensez-vous que ces organisations auraient défendu l’institution électorale en pareille circonstance? Ne cherchez pas à plaire à tout le monde. Ce sera impossible ! Respectez scrupuleusement la loi et accomplissez votre mission selon notre âme et conscience.

IX. Ne cédez à aucune pression, ni à aucune tentation !

Vous êtes appelés à remplir une mission délicate. Ne croyez pas que tous ceux qui réclament des élections soient sincères ou veulent qu’elles soient organisées dans le temps imparti par l’accord de février. Les projets politiques sont multiples et de divers ordres. Le CEP est au milieu d’une grande bataille idéologique pour la prise du pouvoir et l’accès aux postes et fonctions de privilèges. Le CEP ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants de cette bataille rangée.

Dans ces conditions, il est difficile de savoir à quoi s’en tenir. Vous êtes nommés à cette haute fonction pour réaliser des élections. Prenez toutes les mesures pour y arriver. Ne vous laissez pas déstabiliser, ne cédez à aucune pression d’où quelle vient ni à aucune tentation de favoritisme.

On ne manquera pas de vous coller des étiquettes, de salir votre réputation que vous avez si durement forgée. Résistez ! Ne vous adonnez pas à de vaines polémiques. Bien au contraire, appliquez le dixième conseil.

X. Bien faire et laissez dire !

Accomplissez votre tâche de manière impartiale et attendez le jugement de l’histoire.

Salutations patriotiques.

Dr. Ricardo Augustin

5 COMMENTS

  1. Bonjour Dr.Ricardo Merci et felicitation pour ces 10 conseils que je dirais salutaire que vous avez pris soin d’envoyer au CEP. C’est avec bcp d’emotions que viens de les lire. Il y a des gens serieux dans le pays mis…. De toute facon Docteur c’est un bienfait a la nation. Je suis en dehors du pays mais je suis haitiens Dr. vous n’aurez pas imaginer ma souffrance regardant la torture de toutes sortes que subissent les haitiens en terre etrangère. On nous des plus vils des mots. Merci Dr.

  2. 1- Vous avez oublié de dire certaines vérités dans vos longs conseils.

    2- Vous devriez se servir de ces conseils pour empêcher les graves corruptions au CEP.

    3- Après la mort vient le médecin .

    3- Vous avez oublié de mentionner le support des services de Pompiers , des ambulances dans le transport des faux bultins pour vous aider à trouver un gagnant au moment du comptage des votes.

    Je vous considère comme un petit innocent, petit ange mon frère Ricardo. Vous avez fait un travail excellent afin de donner assez de figues bananes au peuple Haïtien qui meurt de faim durant ces 5 dernières années.

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