Les précisions du magistrat Wando Saint-Villier sur le recours en habeas corpus en Haïti

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Le recours en habeas corpus à la lumière de la Constitution de 1987 et des instruments juridiques internationaux ratifiés par Haïti

par Me Wando Saint-Villier

Mardi 14 mai 2019 ((rezonodwes.com))– Dans les États démocratiques où se prévaut la prééminence du droit, la liberté individuelle est protégée contre l’arbitraire des autorités étatiques. Les personnes qui s’estiment victimes  d’arrestation ou de détention illégale se voient reconnaitre le droit de saisir une juridiction compétente, pour lui demander de se prononcer sur la conformité (ou non) de l’arrestation (ou de la détention) à la législation en vigueur. Cette procédure de protection est connue sous le nom de « recours en habeas corpus ». Un recours remplissant la même fonction existe dans plusieurs pays sous des appellations différentes : exhibition personnelle, amparo, habeas data, segurança[1].

I.- Définition et bref historique de l’habeas corpus

Étymologiquement, l’expression « Habeas corpus » a le sens : « que tu aies ton corps » ; sous-entendu : ad subjiciendum et recipiendum pour le produire devant le tribunal[2]. Ce qui suppose que tout détenu soit présenté en personne devant un juge compétent pour que celui-ci statue sur la validité de l’arrestation ou de la détention.

L’habeas corpus énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans jugement. En vertu de ce principe, toute personne arrêtée a le droit de savoir pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée.

La procédure en habeas corpus se définit concrètement comme une procédure extraordinaire, aménagée pour la protection de la liberté individuelle contre les arrestations et détentions effectuées en violation des règles de droit garantissant la liberté et la sûreté personnelle. 

Historiquement, ses origines remontent à la Rome antique et son principe moderne naît dans l’Angleterre du Moyen Âge. Depuis, cette procédure a été renforcée et précisée de façon à apporter des garanties réelles et efficaces contre la détention arbitraire par l’Habeas Corpus Act (« la loi d’Habeas Corpus en Angleterre ») de 1679. Devenue un des piliers des libertés publiques anglaises, elle s’applique dans les anciennes coloniesbritanniques et est au XXIe siècle présente dans de nombreuses législations nationales[3].

II.- Fondement juridique de l’habeas corpus en Haïti

En Haïti, le recours en habeas corpus trouve son fondement juridique dans la constitution de 1987 et dans des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme, ratifiés par l’État haïtien.

1)    Constitution de 1987

L’action et la procédure en habeas corpus sont prévues par les dispositions des articles 26, 26.1 et 26.2 de la constitution.

Le principe du droit au recours en habeas corpus est posé sans équivoque par l’article 26 qui stipule que: « Nul ne peut être maintenu en détention s’il n’a comparu dans les quarante-huit (48) heures qui suivent son arrestation par-devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l’arrestation, et si ce juge n’a confirmé la détention par décision motivée ».

Les articles 26.1 et 26.2, quant à eux, précisent la manière de procéder en matière d’habeas corpus. Les dispositions de ces articles sont analysées ci-dessous dans un point portant sur la mise en œuvre de la procédure en habeas corpus.

2)    Instruments juridiques internationaux

Des instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par Haïti, soit dans le cadre du système onusien ou du système interaméricain, garantissent la protection individuelle et la sûreté personnelle.

a)    Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté à New-York par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, ratifié par le parlement haïtien le 06 février 1991, reconnait dans son article 9 paragraphe 4 le droit pour toute personne qui se trouve privée de liberté par arrestation ou détention d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération, si la détention est illégale.

b)    La convention américaine relative aux droits de l’homme adoptée à San José, le 22 novembre 1969, à la Conférence spécialisée interaméricaine sur les droits de l’homme de l’Organisation des États américains, ratifiée par Haïti le 18 août 1979, prévoit en article 7 paragraphe 6 que : « Toute personne privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant un juge ou un tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la légalité de son arrestation ou de sa détention et ordonner sa libération si l’arrestation ou la détention est illégale […] ».

Aux termes de l’article 276-2 de la constitution[4], ces deux instruments juridiques internationaux incorporent la législation haïtienne et leurs dispositions sont invocables par-devant les juridictions internes et applicables par les juges nationaux.

Les dispositions des articles 9 paragraphe 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 7 paragraphe de la Convention américaine des droits de l’homme étant auto-exécutoires (self-executing) et d’ordre public international, les personnes victimes d’arrestation ou de détention illégale peuvent les invoquer par-devant les juridictions nationales en l’absence de toute loi d’application sur le plan interne ; et le juge national qui ne les applique pas sous prétexte de l’absence de loi d’application commet un déni de justice.   

III.- Les types d’habeas corpus

Dans l’état actuel des législations contemporaines, il y a lieu de considérer trois types d’habeas corpus.

1)    L’habeas corpus proprement dit

L’habeas corpus proprement dit est le recours le plus courant. Il est utilisé dans les cas d’arrestation illégale  suivie de détention effectués notamment en violation des articles 24.1, 24.2 et 24.3 de la constitution, des articles 30 et suivants du code d’instruction criminelle, de l’article 7 de la convention américaine des  droits de l’homme et de l’article 9 paragraphe 1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le recours en habeas corpus proprement dit a pour objectif d’obtenir la mise en liberté de la personne arrêtée ou détenue illégalement[5].

2)    L’habeas corpus préventif

Le recours en habeas corpus préventif peut être exercé par une personne menacée de privation de liberté.

Dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme, le recours en habeas corpus préventif est prévu par l’article 7 paragraphe 6 de la convention américaine des droits de l’homme. L’article stipule :« […] Dans les États parties à la présente convention où toute personne qui se trouve menacée d’être privée de sa liberté a le droit d’introduire un recours devant un juge ou un tribunal compétent pour voir statuer sur la légalité de la menace, un tel recours ne peut être ni restreint ni aboli. Le recours peut être exercé par l’intéressé lui-même ou par toute autre personne. »

Le recours en habeas corpus préventif tend à faire statuer sur la légalité de la menace de privation de liberté[6].

Ce type de recours ne s’est pas développé en Haïti. Son développement ferait avancer le droit haïtien et permettrait d’éviter certaines illégalités.

Sur la base des dispositions de l’article 7 paragraphe 6 de la Convention, qui d’ailleurs font partie de la législation nationale, les personnes menacées de privation de liberté pourraient exercer ce recours auprès du doyen du tribunal de première instance, gardien de la liberté individuelle au regard de la constitution.  

Au lieu d’aller en référé (laquelle juridiction est incompétente en raison de la matière) pour demander par exemple l’annulation d’un mandat d’amener ou d’arrêt qui serait décerné de façon illégale par une autorité judiciaire, il serait mieux d’exercer, sur la base de cet article de la convention, un recours en habeas corpus préventif par-devant le doyen. Et, vu le caractère auto-exécutoire, d’ordre public international de ces dispositions de la convention, le doyen devrait se reconnaitre compétent pour statuer sur la légalité de la menace de privation de liberté.

3)    L’habeas corpus correctif

L’habeas corpus correctif est de mise, en cas de torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à une personne dans un lieu de détention.

L’objectif à atteindre dans ce type d’habeas corpus est la cessation de la torture et des mauvais traitements.

Le recours en habeas corpus correctif est prévu par le principe 33 de « l’Ensemble des princes pour la protection de toutes personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ».

Le texte est ainsi libellé : « Toute personne détenue ou emprisonnée, ou son conseil, a le droit de présenter une requête ou une plainte au sujet de la façon dont elle est traitée, en particulier dans les cas de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux autorités chargées de l’administration du lieu et aux autorités supérieures, et, si nécessaire aux autorités de contrôle ou de recours compétentes. »

Ce recours ne s’est pas non plus développé en Haïti.

Il important de souligner que, contrairement aux dispositions de l’article 7 paragraphe 6 de la convention américaine des droits de l’homme concernant le recours en habeas corpus préventif,  les dispositions du principe 33 ne s’imposent pas au juge haïtien vu qu’elles ne sont pas juridiques. L’Ensemble des princes pour la protection de toute personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement est un corps de règles phare pouvant guider les États membres de l’ONU dans les mesures à prendre (législatives, administratives et autres) pour mieux traiter les personnes détenues. Haïti étant membre des Nations Unies, les autorités haïtiennes concernées devraient, toutefois, prendre les mesures adéquates conformes à l’esprit de ce texte, en vue de traiter les détenus avec dignité.

IV.- Particularité et mise en œuvre de la procédure en habeas corpus

Il est à faire remarquer que la procédure en habeas corpus ne concerne pas le droit pénal et n’entre pas dans le cadre de la procédure pénale même si ce recours sera exercé à l’occasion d’une affaire pénale. La procédure en habeas corpus est une procédure de protection de la liberté individuelle, de la sûreté des personnes. Le juge de l’habeas corpus est un juge protecteur de la liberté et non un juge répressif[7].

L’action en habeas corpus pose au juge la question simple de savoir si oui ou non l’arrestation ou la détention est exécutée en conformité avec les lois de la République et les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par Haïti. En application de l’article 26.2 de la constitution, si l’arrestation est jugée illégale, le juge ordonne la libération immédiate du prévenu.

Il s’agit d’un contrôle de forme qui n’a rien à voir avec les faits qui pourrait être reprochés à la personne soupçonnée ou poursuivie. L’habeas corpus ne met pas fin à la procédure pénale.

Le recours en habeas corpus est un recours simple, rapide, exempt de formalisme. En effet, l’article 26.1 de la constitution fournit l’essentiel de la procédure. L’article stipule que : « […] En cas de délit ou de crime, le prévenu peut, sans autorisation préalable et sur simple mémoire, se pourvoir par-devant le doyen du tribunal de première instance du ressort qui, sur les conclusions du ministère public, statue à l’extraordinaire, audience tenante, sans remise ni tour de rôle, toutes affaires cessantes, sur la légalité de l’arrestation et de la détention ».

Le recours en habeas corpus se fait sur simple mémoire adressé au doyen, sans permission préalable. Le mémoire peut être une simple lettre exposant succinctement les faits, le lieu et la date de l’arrestation ou de la détention, invoquant le texte de loi violé et contenant la demande produite au doyen. Il est daté et signé du demandeur ou de son avocat.

La procédure suppose que le détenu soit présenté en personne au doyen. S’il n’est pas amené à l’audience, le doyen peut ordonner, avant même de statuer, sa comparution.

Le doyen ayant entendu et apprécié les circonstances de l’arrestation et de la détention, et sur les conclusions du ministère public, rend son ordonnance de rejet ou ordonne la mise en liberté du détenu suivant que l’arrestation ou la détention a été exécutée ou non conformément aux normes juridiques régissant la matière.

Delà, nous tenons à souligner plusieurs points importants.

Premièrement, le délai d’action en habeas corpus ne s’éteint pas si la personne arrêtée est déférée à un juge dans le délai de 48 heures suivant son arrestation. À titre d’exemple, une personne arrêtée sans mandat, en dehors de toute flagrance, est bien victime d’une arrestation illégale, quand bien même elle serait déférée à son juge naturel dans le délai de 48 heures.

En matière de protection de la liberté individuelle, il n’y a pas de délai pour agir et l’action peut être introduite à n’importe quel stade de la poursuite pénale, même celui de l’instruction[8].

Deuxièmement, aux termes de l’article 26.1 de la constitution, le doyen est la seule autorité judiciaire compétente pour statuer en habeas corpus, à la différence de ses attributions en référé où suivant les stipulations de l’article 755 du Code de procédure civile, il peut désigner des juges pour entendre des affaires à sa place. Il serait nettement contraire à la constitution qu’un doyen confie l’audition d’une affaire d’habeas corpus à un juge. De telles latitudes ne lui sont pas reconnues par la constitution.

Troisièmement, à bien analyser les dispositions de l’article 26.1 de la constitution, le ministère public a pour devoir et non un droit de se présenter à l’audience pour prendre sa réquisition. Le fait par lui de ne pas s’y présenter constitue non seulement un manquement à son devoir, mais aussi un obstacle au droit de la personne soupçonnée ou poursuivie de voir une autorité judiciaire indépendante connaître de la légalité de son arrestation. Le doyen, interprétant pro-homine (en faveur de l’arrêté ou du détenu) la constitution, devrait ordonner la mise en liberté du détenu s’il estime que l’arrestation ou la détention a été exécutée de façon illégale.

V.- Effets de la décision résultant de l’habeas corpus

L’ordonnance du doyen statuant en habeas corpus peut être soit une ordonnance de rejet de la demande de mise en liberté du détenu ou une ordonnance déclarant illégale l’arrestation ou la détention attaquée dépendamment de la conformité ou non de l’arrestation ou de la détention aux règles juridiques régissant la matière.

Dans le cas où le doyen, estimant illégale l’arrestation ou la détention, ordonne la mise en liberté de la personne soupçonnée ou poursuivie, son ordonnance est du coup exécutoire sur minute nonobstant appel, pourvoi en cassation ou défense d’exécuter[9]. Conséquemment, un réquisitoire d’informer du commissaire du gouvernement saisissant le juge d’instruction ne devrait en principe avoir aucune influence sur l’exécution de l’ordonnance de mise en liberté.

Nous terminons ces quelques lignes sur le recours en habeas corpus tout en attirant votre attention sur le fait que la personne victime d’arrestation ou de détention illégale a le droit d’exercer un recours en réparation contre l’État et d’engager la responsabilité pénale de l’agent exécutant ou de l’autorité auteure de l’arrestation ou de la détention. Ce droit est consacré par l’article 27 de la constitution qui dispose que : « Toutes violations des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable, se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires quelles que soient leurs qualités et à quelque corps qu’ils appartiennent ».

Le droit à réparation des personnes victimes d’une arrestation ou d’une détention arbitraire est aussi reconnu par l’article 9 paragraphe 5 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui stipule que : « Tout individu victime d’arrestation ou de détention illégale a droit à réparation ».

Wando SAINT-VILLIER, Magistrat

Président de l’Association professionnelle des magistrats


[1].- Michel Fromont: La justice constitutionnelle dans le monde, éd Dalloz, Paris, France, 1996.

[2].- Lexique des termes juridique, 15ème édition, Dalloz, Paris, France, 1999, P.270.

[3] . – Site de recherche: google.

[4].- Article 276-2 de la constitution: « Les traits ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la constitution, font partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires ».

[5] .- La procédure en habeas corpus, Me Léon SAINT-LOUIS, fascicule, EMA, Août 2011.

[6].- Ibid.

[7].- Ibid.

[8] .- La Cour suprême du Costa-Rica a, par exemple, jugé que le recours en habeas corpus doit être admis à n’importe quelle étape du procès pénal, dès lors que les garanties du procès équitable n’ont pas été respectées.

[9] .- Article 26.2 de la constitution : « […] cette décision est exécutoire sur minute nonobstant appel, pourvoi en cassation ou défense d’exécuter ».

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