par Fred Lagrandeur et James Osne
Vendredi 27 juillet 2018 ((rezonodwes.com))– Le projet de création du centre financier international de la Gonâve a suscité beaucoup de réaction au sein de la population haïtienne surtout chez les gonaviennes et gonaviens. Avant d’aborder et de pénétrer le fond de la question, il nous parait important de chercher à la comprendre, à la maîtriser et en même temps à mettre au placard tout nationalisme sensationnaliste et romantique qui est souventefois dérivé d’un passé historique lié à notre dévotion à la question terrienne en Haïti. Et c’est avec beaucoup de regret que nous constatons l’acharnement hystérique de certaines personnes de la petite élite intellectuelle et militante de l’île de la Gonâve à propos de ce projet relancé par le gouvernent Jovenel. Ce groupuscule extériorise une attitude impulsive et hâtive en se cachant, les poches vides, derrière des revendications sociales et politiques dont le projet en soi n’est pas à l’opposé. Il est égoïste et contre-productif de se montrer contre un projet dans l’unique but de se faire un capital politique et de satisfaire ses intérêts mesquins. La question centrale que nous devrions tous nous poser est la suivante : Qu’est-ce que nous voulons faire de l’île et quelles sont les conditions matérielles d’existence espérées pour la population gonâvienne?
Dans l’histoire sociale et politique de ce pays, la question de la terre est une question à la fois délicate et sensible. Il ne faut pas toucher à notre lopin de terre si bien que la plupart des constitutions haïtiennes du 19 et du 20eme siècle a interdit la vente de terre aux étrangers et n’a pas su résoudre le problème foncier qui ronge et retarde bien des progrès en Haïti surtout dans le domaine mobilier. Depuis 2016, l’État d’Haïti exprime sa ferme volonté de créer un centre financier international sur l’ile de la Gonâve. Pour ce faire, il a publié un décret y relatif le 7 janvier 2016 dans lequel il précise les missions et objectifs dudit centre (Voir chapitre I du décret du 7 janvier 2016 portant création du centre financier international de la Gonâve). En juillet 2018, la Banque d’Haïti a lancé un appel d’offre visant à recruter une firme d’experts qui accompagnera l’État d’Haïti dans l’étude de faisabilité des projets stratégiques prioritaires, de montage des dossiers d’appel d’offres pour ces projets prioritaires, de participation à l’évaluation et à la sélection des firmes d’exécution, de l’élaboration de plans destinés à faire la promotion auprès des potentiels investisseurs pour obtenir les fonds nécessaires pour la réalisation desdits projets (rezo nodwès, 24 juillet 2018). De telles décisions de l’État d’Haïti ont indigné certains haïtiens qui y voient une menace et une tentative de les exproprier de leur terre à laquelle ils sont si gravement attachés.
Qu’est-ce qu’un centre financier ?
Un centre financier est une place physique ou une société regroupant un ensemble de services financiers et de produits bancaires pour le compte de personnes physiques ou de personnes morales (Nizar Fassi, 2016). Beaucoup de spécialistes dans le domaine de la finance admettent l’idée que les centres financiers internationaux partagent des points communs avec les paradis fiscaux. Bernard PLAGNET dans un article publié dans la dépêche le 22 octobre 2002 définit un centre financier international comme une place organisée par certains territoires ou certains États qui réservent des règles spécifiques semblables à celles des paradis fiscaux aux seules opérations internationales n’ayant aucun lien avec une activité économique au sein de leur territoire. Dans un centre financier international, on y trouve des banques qui effectuent des opérations pour le compte d’autres sociétés, des compagnies d’assurance, des sociétés d’affaires internationales, etc. En substance, nous pourrions définir un centre financier international comme un espace de circulation de capitaux et de transaction financière.
Pour ce qui concerne la Gonâve, de quoi s’agit-il?
À bien lire et à bien comprendre les dispositions du décret portant création du centre financier international de la Gonâve, il y a lieu d’interprétations multiples et c’est dans ce sens que nous comprenons la réticence et le pessimisme de certains haïtiens pour la plupart d’origine gonavienne quant à ce projet. Et surtout quand on se réfère à la nature compradore et au fonctionnement bourgeois de l’État haïtien, les doutes et les inquiétudes se font de plus en plus légitimes. Toutefois, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, car, si l’on devait faire foi à ce qui est dit dans le chapitre premier du décret du 7 janvier 2016, l’on dirait que le centre financier de la Gonâve participerait non seulement au développement socio-économique de l’ile de la Gonâve, mais aussi permettrait en même temps à Haïti d’acquérir son indépendance financière. Il est réellement question d’un projet de grande envergure qui pourrait avoir des retombées économiques et financières significatives tant pour la Gonâve que pour Haïti si l’État haïtien définissait des mesures claires et distinctes allant dans le sens des intérêts supérieurs de la république et ferait en sorte que ce nouveau centre financier international ne soit pas un espace de blanchiment d’argent et de brassage de drogue. Soulignons l’existence des centres financiers internationaux dans plusieurs pays du monde. Le Wall Street à New York, la City de Londres, la banque postale à Paris, en République Dominicaine, etc. Les îles des Bahamas, l’une des principales destinations des migrants haïtiens dans les caraïbes notamment des gonaviens regorgent de centres financiers internationaux. Leur économie est reposée sur le tourisme et les offshores. Il faut dire qu’aujourd’hui les Bahamas sont l’un des pays de l’Amérique où les Indices de développement humain sont respectés. Tenant compte de toutes ces raisons, l’introduction d’un centre financier international à la Gonâve ne constituera pas un achoppement ni à sa survie ni à son développement.
Quelles seraient les conséquences de la création d’un centre financier sur l’ile de la Gonâve?
Précisons notre position, nous sommes pour le projet du centre financier à la Gonâve. Cependant, comme nous l’avions si bien démontré à l’ancien Président Martelly nous sommes catégoriquement contre certains articles du décret qui pourraient entraver la concrétisation de cette noble idée. C’est d’abord le caractère extraterritorial, l’exonération de toutes redevances fiscales locale et nationale, l’appropriation des titres de propriétés des gonâviens dans les zones indiquées qui posent les contradictions essentielles. Ensuite, le caractère antisocial du projet soulève l’indignation. Puisque, les investisseurs n’ont aucun plan pour financer les formations des jeunes sur l’ile. Mais arrêtons un peu, ce sont des questions de débat qui peuvent être corrigées si facilement. C’est inadmissible de vouloir rejeter en bloc le projet à cause de ses faiblesses. Nous sommes en face d’une situation sociale et économique critique et précaire avec 75% d’une population qui ne travaille pas, la Gonâve est presque l’arrondissement le plus appauvri en Haïti. Il nous faut des projets porteurs d’emplois et créateurs de richesse sur l’ile de la Gonâve. Et la création d’un tel centre créera sans aucun doute des richesses et des emplois. Il attirera éventuellement l’attention sur nos belles plages vêtues de sables blancs et de flamants roses. Vivre ou vouloir vivre en autarcie ne résoudra aucunement nos problèmes sociaux et ne mettra pas un frein à l’injustice sociale qui tiraille notre société. La dynamique de création d’emplois sur le marché international a longtemps métamorphosé, il faut gagner et perdre aussi en même temps. Nous devons accepter de perdre certains privilèges et d’en gagner le plus que possible de ce projet pour notre population. La seule proposition des détracteurs du projet est de s’y opposer radicalement sous un couvert de chauvinisme et de sentimentalisme romantique. Nous pensons que le moment est aux débats sérieux sur ce que nous voulons et devons faire pour sortir notre pays et surtout la Gonâve du carcan de la misère et de la pauvreté. Le temps de la futilité est révolu.
Aujourd’hui, nous sommes appelés à choisir entre le bavardage politique et les projets économiques sérieux pour les générations futures. Il est l’heure de faire quelque chose de sérieux dans ce pays qui puisse redonner de l’espoir au jeune haïtien se trouvant aux Étroits qui, à chaque jour implore Dieu en vue de se trouver les moyens pour quitter Haïti en vue de se libérer des craintes de l’avenir. Somme toute, alimentons un débat conséquent sur le caractère social du projet de création d’un centre financier international sur l’ile de la Gonâve. Cessons les commérages, les délations et acceptons le projet tout en exigeant des mesures claires et précises sur la question de la propriété et de la redistribution des richesses que générera lequel projet.
Fred Lagrandeur
Fjc.lagrandeur@umontreal.ca
James Osne
James.osne@umontreal.ca
Montréal 25 juillet 2018.


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