par Kerlens Tilus
Samedi 3 février 2018 ((rezonodwes.com))– Depuis près d’une soixante d’année, l’université en Haïti est réduite à une peau de chagrin. Dans les années 60, Haïti exportait des professeurs un peu partout en Afrique et au Canada. Aujourd’hui, ceux qui sont sortis de l’Université d’Etat d’Haïti comme diplômés ne peuvent même pas articuler une idée, voire fonctionner dans la société comme des professionnels.
Je suis entré à l’UEH en Septembre 1995. A l’époque, on assistait au commencement de la fin. Le rectorat de l’UEH était plus ou moins soucieux de faire fonctionner les onze entités qui formaient l’UEH. Dans toutes les facultés, il y avait des professeurs de valeur, des femmes et hommes compétents et performants qui dispensaient des cours. Avec la politisation de l’UEH, la débandade s’est installée. Dans le temps, des détenteurs de licence savaient animer des séances de travaux diriges, mais n’enseignaient pas. Aujourd’hui, dans presque toutes les facultés, on retrouve des hommes qui enseignent avec la licence. Est-ce possible ?
Educateur de formation, je sais ce que vaut un diplôme. On reconnait un fruit par son arbre. Un diplôme n’est pas preuve de science, mais si l’on veut faire les choses comme elles doivent être faites, l’on doit respecter les études et on doit permettre aux jeunes d’étudier dans de bonnes conditions. Il est inadmissible qu’un recteur d’université soit seulement détenteur d’une maitrise. Il est aberrant que des professeurs titulaires puissent détenir seulement des licences. Depuis 2000, l’Etat haïtien est partie prenante d’un vaste complot pour réduire à néant l’Université d’Etat d’Haïti. On peut dire avec tristesse que les thuriféraires ont réussi à mettre l’UEH à genoux.
Je me souviens qu’en 2007, un professeur émérite que j’ai eu la chance de rencontrer à l’Université de Michigan voulait établir un partenariat entre l’UEH et certaines universités nord-américaines. Avec plusieurs d’autres professeurs, il avait écrit un projet et l’avait présenté à l’Administration de René Préval. Après trois ans de discussions et de houleux échanges, les représentants de l’UEH et de l’Etat haïtien lui ont déclaré qu’ils étaient prêts à recevoir toute aide financière et qu’ils n’étaient pas intéresses à établir un partenariat.
Le modèle que ce professeur haïtien voulait établir fait la grandeur de plusieurs systèmes universitaires en Afrique. Des professeurs volontaires sont recrutés en Europe et en Amérique du Nord pour renforcer des universités africaines. Des cours à distance sont établis et même des programmes en ligne sont proposés, allant de la licence au doctorat. Et une ou deux fois l’an, des professeurs voyagent pour animer des séminaires et des cours allant de deux semaines à un mois. Avec tous ces professeurs et professionnels de haut calibre que nous avons à l’étranger, l’UEH aurait pu grandement bénéficier. Surtout qu’aujourd’hui, des merveilles sont réalisées avec les nouvelles technologies de l’information. Le Groupe de Recherche et d’Action pour une Haïti Nouvelle(GRAHN) est en train de réaliser une expérience qui mérite d’être citée. Le GRAHN a établi l’ISTEAH, un centre de formation qui offre des diplômes de maitrise et de doctorat dans plusieurs domaines. Le professeur Samuel Pierre a réussi son pari et travaille dans l’ombre.
Si le GRAHN a pu instituer l’ISTEAH qui marche à merveille, pourquoi l’UEH ne pouvait pas utiliser le même système de l’ISTEAH qui offre des cours en lignes. Je me souviens qu’en Aout 2012, lors de mon dernier voyage en Haïti, j’ai eu un échange assez instructif avec un jeune docteur qui travaillait à l’UEH et ce qu’il m’avait raconté comme témoin était plus que frustrant. Un groupe de bandits à cravate et de politiciens prennent l’Université d’Etat d’Haïti en otage et ils sont aidés malheureusement d’étudiants qui ne comprennent et ne saisissent pas les vrais enjeux. Plusieurs professionnels aux Etats-Unis d’Amérique sont mobilisés pour permettre à l’UEH de se redresser, mais ils attendent un signal clair du rectorat de l’UEH, du Ministère de l’Education Nationale et de l’Etat haïtien.
Mais, il semble que personne n’est intéressé à donner une chance à la jeunesse du pays. Au moment où nous écrivons ce texte, plusieurs entités de l’UEH ne fonctionnent pas dont la Faculté des Sciences Humaines. Hier au soir, je parlais à une jeune étudiante qui m’expliquait que depuis le début de l’année, elle n’a jamais eu de cours. Soit les professeurs sont malades, soit ils sont en voyage. Il n’y a que des professeurs absentéistes qui fréquentent l’UEH. Il y a un phénomène qui prend corps en Haïti depuis tantôt 10 à 15 ans, des écoles de droit pullulent comme des champignons. Tout le monde est avocat en Haïti. Et nous savons comment fonctionnent la justice au pays natal. C’est la désolation totale.
En dehors de l’UEH, il y a plus de vingt universités privées « borlette » qui fonctionnent dans le pays. Qui sont responsables de la formation des jeunes en Haïti ? L’Haïtien est égoïste dans l’âme. Un peu partout dans le monde, on rencontre des Haïtiens qui sont fiers de dire qu’ils sont X et Y, mais jamais ils ne pensent à donner un coup de mains à l’éducation supérieure en Haïti, et les malandrins qui prennent en otage l’éducation supérieure en Haïti ont le support tacite de grands professionnels à l’étranger. Qu’est-ce qui empêche que l’Université d’Etat d’Haïti puisse faire peau neuve.
Est-ce sérieux que l’UEH puisse fonctionner avec un budget d’un milliard de gourdes pendant que le parlement a un budget de plus de six milliards de gourdes. Tant vaut l’école, tant vaut la nation dit l’adage. Quel genre de pays veut-on avoir en Haïti si on ne fait pas fi de l’éducation supérieure. Les politiciens et les cadres qui pillent les fonds du trésor public envoient leurs enfants étudier à l’étranger. Nombre n’ont pas fait d’études, ils n’ont rien à foutre de l’université et d’éducation en général. J’observe les dirigeants de ce pays et j’ai pitié d’eux. Avec quel sentiment, un homme se dit ministre de l’éducation, recteur de l’université, président de la république, sénateur, député, directeur général en Haïti ? Certains te disent dans moins de dix ans, ils seront ministres. Ministres de quoi, se demande-t-on ? Les Haïtiens sont méchants dans l’âme.
Quand les cochons auront terminé de danser sur du fatras en ce mois de Février, il faut bien que cette jeunesse gagne les rues pour demander aux responsables d’Etat ce qu’il compte faire de l’éducation supérieure et de leur avenir. Au début de l’année, le président américain Donald J. Trump a déclaré selon le New York Times qu’Haïti était une latrine. Plusieurs Haïtiens se sont offusqués et sont montés au créneau. Mais, quand nous regardons le fonctionnement de l’UEH et de ses différentes facultés, est-ce que nous ne vivons pas dans un pays de merde ? Je n’écris pas pour dénoncer, mais je propose des solutions. En Haïti, il y a un système en place qui rejette tout ce qui relève du santibon, tout ce qui est beau, bien et bon.
A travers mes réflexions journalières, j’essaie tant soit peu de fournir des réponses à ce dilemme. Franchement, la jeunesse est foutue, Haïti est foutu avec ces cancres heureux au pouvoir. D’un côté, vous avez les dirigeants analphabètes fonctionnels qui, par orgueil refusent de donner une chance à la jeunesse pour se former. D’un autre côté, vous avez les intellectuels égoïstes qui se veulent être les seuls grands connaisseurs dans la basse-cour qui se foutent pas mal de la jeunesse du pays. Entre ces deux groupes, vous avez la génération de Bodègèt et de Fè Wana Mache, ces jeunes qui croient que la vie est faite que de plaisirs et qui au lieu de se mobiliser pour demander accès à l’éducation se complaisent à boire, à fumer et à danser. Nous ne pouvons pas continuer à penser une plaie qui est un symptôme d’un cancer. Le mieux à faire c’est de traiter le cancer et non panser la plaie et croire que tour ira mieux.
Le pays vit dans une sècheresse mentale collective. Les professionnels et les intellectuels ne croient plus au pouvoir de la pensée. C’est le sauve qui peut qui est prôné par la classe intellectuelle. L’intellectuel noir de la classe moyenne est un cancer pour le pays. Qui va changer les choses et comment ? Il est intéressant de faire remarquer qu’un groupe de citoyens mal intentionnés s’amusent à donner des séminaires et conférences en Haïti pour faire leur beurre et souvent fois, ils n’ont ni compétences ni capacités pour être conférenciers. Il y a des hommes et des femmes très formés qui chargent des sommes faramineuses pour délivrer un certificat qui n’est homologué par aucune institution reconnue.
Tout cela c’est du vol. Le niveau de l’éducation en Haïti a considérablement baissé. J’évite tant soit peu d’écouter la radio. Les analphabètes envahissent les réseaux sociaux et se croient être rois. Les Haïtiens n’ont pas seulement un problème de formation intellectuelle, mais aussi de formation de caractère. Les arrogants et idiots ne connaissent pas leurs limites. Quand on regarde Haïti aujourd’hui, il y a de quoi pleurer. Toutefois, je garde espoir. En lisant l’histoire du christianisme au Moyen-Age cette semaine, j’ai pu remarquer que l’Europe qui est flambant neuve aujourd’hui a connu des moments de ténèbres dans son histoire et des fois pendant des siècles. Haïti connait à peine deux siècles de ténèbres, on peut toujours espérer que la lumière luira pour tous un jour.
Je tenais à écrire ce texte aujourd’hui vu que chaque jour je reçois des emails et des appels de jeunes qui ont soif de connaissances, mais qui sont pris dans un labyrinthe. Où sont les leaders de la jeunesse en Haïti ? J’essaie de comprendre pourquoi cette génération a produit autant de lâches, d’opportunistes et de filous. Nous ne pouvons compter sur personne. Le drame est que tout le monde se croit important et cherche de l’attention. Les plus audacieux se font journalistes, analystes politiques et se jettent dans l’arène politique. Haïti se meurt. La jeunesse dépérit. L’Université d’Etat d’Haïti est en mal makak.
Comme croyant, face à certains dilemmes, face à l’impossible, nous nous remettons à Dieu. Mais, nous savons bien que Dieu nous a donné l’intelligence pour agir sur le monde physique. Il nous revient d’utiliser nos ressources pour faciliter le changement. Comment va-t-on s’y prendre pour débarrasser le pays de ces démagogues et forcer les analphabètes fonctionnels qui se croient tout permis à se former ou prendre le chemin de l’école ? Je crois que notre réussite passe par le motto : « L’union fait la force. Nous sommes à une phase de notre histoire ou nous devrions avoir honte de nous-même, de notre égocentrisme, de notre petitesse et de notre incapacité à nous prendre en mains.
Tant vaut l’université, tant vaut la nation. C’est triste de le dire, mais l’Université d’Etat d’Haïti fonctionne à l’image d’une latrine. Il n’y a rien d’honorable pour un étudiant de dire qu’il fréquente l’UEH. Jusque dans les années 80, Haïti produisait de bons médecins, de bons éducateurs ; mais où sont passés ces professionnels ? Si nous ne sommes pas prêts à faire un leve kanpe pour débarrasser le pays de ces imposteurs, un jour même notre survie sera hypothéquée. Nous ne pouvons pas livrer un pays à des opportunistes, des bandits et des assassins. Ce n’est pas sérieux. En attendant d’agir sur le devenir du pays, l’Université d’Etat d’Haïti qui devrait former les cadres pour servir le pays fonctionne en mal makak et c’est vraiment triste.
Kerlens Tilus 02/02/2018
Futurologue/ Templier de Dieu
Tel : 631-639-0844

